Introduction à la première partie sur la théorie

Pour asseoir la psychologie nous avons dû passer d’abord par l’examen des thèses de ses adversaires, ceux qui voulurent l’éliminer du champ des sciences et des pratiques. Ce fut l’objet de notre première partie. Cette bataille pour sauver l’existence et l’utilité de la psychologie visait aussi, et même avant tout à préserver une place pour l’intériorité, pour le sens, pour l’autonomie de la personne, si relative soit-elle car le principe est capital, le pouvoir de changer, d’agir sur soi et sur le monde. Face à ceux qui veulent réduire l’homme aux déterminismes biologiques et sociologiques, les psychologues ouvrent un espace dans le monde de la pensée et animent par leur pratique la vie de cet espace. C’est leur façon de rendre à l’autre un peu plus de sa liberté.

Cette lutte pour la défense et l’illustration de l’existence psychique n’est jamais finie. Aujourd’hui le retour du ‘«’ ‘ mental ’», des « représentations », de l’ » intentionnalité » dans le discours des nouvelles sciences dominantes semble à première vue assurer l’existence du for intérieur. Mais derrière les mots, les sciences de l’information et les neurosciences qui occupent ce terrain, ont toujours en réalité pour objectif final de naturaliser notre espace psychique, c’est à dire de le retourner en pure extériorité 303 . Il est normal que ces sciences « naturelles » aient ce projet, mais on aimerait qu’elles soient moins impérialistes et qu’à coté d’elles la psychologie puisse mieux faire entendre sa partition propre. On nous dira que d’un autre côté, dans la vie de la cité, les psychologues interviennent à tout propos, mais dans ces interventions sur la place publique ne s’agit-il pas encore, et plus, de vider les sacs et extérioriser les intimités.

Quand nous défendons l’affirmation d’un territoire pour la psychologie, d’un territoire propre, nous ne voulons pas cependant défendre l’existence, contre l’extérieur, d’un monde clos sur lui-même. Le psychisme, l’appareil psychique est pour nous, on le verra, un espace de communication entre dehors et dedans, entre dedans et dedans, inter-psychique et intra-psychique. Il s’agit d’une interface, d’une aire transitionnelle. Face aux réductionnismes mécanicistes de toutes sortes, le psychologue pose programmatiquement, et soutient par son action, l’affirmation de cet espace de jeu, de création, d’élaboration. Sinon, si l’on ne croyait pas à la possibilité d’un changement, d’une apparition de nouveauté, à quoi serviraient tant de psychologues ?

Notes
303.

Le « for intérieur », peut-il se réduire à une forme de pratique interpersonnelle, au «forum de soi à soi” dont parle P. Ricoeur” ? («Soi même comme un autre”, 1998, p 77). Il y a plus dans l’expression de Platon que rapporte Ricoeur du « dialogue que l'âme tient avec elle-même ».