Territoires.

Pour Françoise Parot : ‘«’ ‘ l'approche d'une discipline en termes de territoire, porteuse d'évocations éthologiques, incline aux métaphores géographiques et donc guerrières ’» 304 . Guerrières ? Que le territoire de la psychologie soit un lieu de querelles, nous avons pu le vérifier, mais le choix de métaphores géographiques n’est pas en lui-même responsable de ces guerres. Il est bien vrai que l'histoire de la psychologie peut être décrite comme une série de luttes d'influence et de voisinage. Et on sait que les querelles de voisinage, querelles de proches, sont d'autant plus violentes. Mais en réalité les guerres entre la psychologie et les sciences rivales seraient mieux comprises d’être décrites en termes économiques plutôt que géographiques. Les guerres des années 60-70 dans le champ de la psychologie étaient plutôt des guerres commerciales, des batailles de marchés, marché éditorial ou marché du soin. Aujourd’hui c’est sur la manne des subventions que les sciences cognitives mènent une offensive.

Sans doute la géographie n'a-t-elle pas été une science innocente, servant souvent à affirmer des droits sur un territoire. Pourtant elle pourrait nous aider à penser autrement. Des métaphores géographiques pourraient aussi bien nous aider à dépasser les conflits frontaliers. On peut en effet revendiquer un territoire pour la psychologie sans tenir un discours offensif, nationaliste et guerrier. Nous disions au début de notre recherche que les psychologues auraient intérêt à lire Michel Serres, et pour tracer leur territoire à s'inspirer de sa géographie. Ils y découvriraient ce que sont les espaces de transition et de métissage. De plus en plus on voit se développer au sein de la psychologie des discours qui mettent en avant sa fonction d’interface 305 . Il ne faut certes pas être dupes des effets de mode et des métaphores bientôt usées qu’elle véhicule. La médiation pour la médiation, comme la communication pour la communication ne sont pas en elles-mêmes créatrices d'espaces nouveaux, et peuvent même devenir des freins à la liberté de penser. Nous croyons cependant que les lieux de vie de la psychologie et des psychologues sont ces espaces intermédiaires dont nous parlent aussi bien M. Serres que Winnicott.

Notes
304.

Dans son introduction au numéro de la Revue de Synthèse consacré aux « Territoires de la psychologie », n° 3-4, déc. 1994. Albin Michel. Nous nous appuyons ici sur plusieurs articles de ce remarquable numéro, notamment ceux de F. Parot et de P. Mengal.

305.

Un exemple : la métaphore du Moi peau développée par Didier Anzieu. On n’en retient le plus souvent que la fonction défensive. Il s’agit de contenir, l'extérieur ou l'intérieur. Il faut « poser des limites », marquer la frontière à ne pas dépasser. C’est sans doute parfois nécessaire, mais ce n’est qu’un versant de son rôle. Nous nous intéressons plus à l’autre versant, sa fonction d’interface, de traduction ou de médiation. D’ailleurs cette dualité du Moi-peau est celle même du Moi. Il est aussi un médiateur.