Il est dans la nature fondamentale de la psychologie d’être écartelée entre science et intuition, entre esprit de géométrie et esprit de finesse. C’est ainsi depuis ses origines. Il est instructif d’y revenir, car ces querelles anciennes pourraient bien nous aider à comprendre certains positionnements actuels.
Dans un autre des articles de la Revue de Synthèse consacré aux ‘«’ ‘ Territoires de la Psychologie »’, Paul Mengal 313 nous montre comment dès sa constitution, à la fin du XVIe siècle, la psychologie était tiraillée entre au moins deux grandes tendances, l'une d'inspiration naturaliste, dans le prolongement de la physique aristotélicienne, l'autre d'inspiration hermétiste et interprétative, dérivant de l'exégèse biblique et ouvrant sur les « cures d'âmes ».
Chez Aristote la science de l'âme liée au corps relève de la physique. À côté d'elle existe une science de l'âme séparée du corps relevant de la métaphysique. On retrouve cette division chez Scipion Dupleix : ‘»’ ‘ Or l'asme peut être considérée en deux manières. L'une avec relation à la nature et comme forme qui avive le corps tant en ceste vie qu'après la résurrection. L'autre à part soy et sans nulle relation à la matière, ains plutôt comme une substance séparée d’icelle »’. On comprend qu’émergeant dans une telle configuration, la psychologie était sous le coup d’une double menace. Soit elle se situait sur le terrain de la nature au risque d’être réduite à une physique. Soit elle se coupait des sciences de la nature et se trouvait sur le terrain de la métaphysique, puis de la théologie durant l’époque chrétienne.
Aristote fait de la psychologie telle qu’on l’entendrait aujourd’hui, la science de l'âme « intellective», liée au corps, les fonctions inférieures étant laissées à la médecine et à l'anatomie. Autant dire que pour exister, entre anatomie et théologie, la psychologie devait déjà se faire « cognitive ». Ceci, qui ne posait pas de problème aux théologiens, allait entraîner des conflits de territoire avec les philosophes qui un peu plus tard (Descartes, Kant) ne manqueront pas de revendiquer un droit de propriété sur l’entendement. Et quand la psychologie voudra pour se développer récupérer à son profit l’étude des facultés végétatives et sensitives, elle se trouvera en compétition avec des sciences du corps déjà bien établies. Sur cette première ligne de développement on voit donc se dessiner les futurs affrontements entre psychologie et philosophie d’une part, et entre psychologie et « neurosciences », d’autre part.
A côté de cette ligne de pensée d'origine aristotélicienne, la psychologie pouvait trouver à s’appuyer sur une autre tradition spirituelle. La pensée hermétiste et interprétative inspirée du néoplatonisme, qui prit son essor à la fin du XIVe siècle, pour se développer particulièrement au moment de la Renaissance, avait développé tout un corps de savoirs sur les pouvoirs de l'esprit et de l'imagination, inspirés du Corpus Hermeticum et de la Kabbale. Ainsi Paracelse invitait à agir sur l'imagination des patients pour les soigner. L'analogie, la sympathie, le décryptage des signes cachés, la recherche de la langue adamique (Ursprache) étaient les instruments et les objets de cette pratique de l’esprit humain. Cette pensée hermétiste se développera particulièrement dans les cercles Rose-Croix, martinistes et francs-maçons (rappelons que Messmer était oracle dans la loge de l'Harmonie).
Cette autre tradition a plutôt inspiré les techniques psychothérapiques. Le spiritisme qui se développera au XIXe siècle lui est apparenté. Rappelons au passage que ce mouvement que nous rangerions aujourd’hui dans les superstitions a longtemps représenté une pensée de progrès. Le fondateur du spiritisme français, Allan Kardec –nom du barde celte qu’il prétendait réincarner -, proclamait le progrès par la réincarnation. Comme il était anti-clérical cela ne manqua pas de lui attirer les sympathies de la gauche. Dans son article de la ‘«’ ‘ Revue de synthèse »’, Françoise Parot évoque cette alliance : ‘«’ ‘ Dans la mouvance du spiritisme français on trouve aussi bien Jean Jaurès, ami de Léon Denis (héritier de Kardec) que Jean Macé fondateur de la Ligue de l'Enseignement avec P. G. Leymarie, autre kardéciste »’. 314
A jeter ces quelques coups de projecteur dans le passé, on comprend vite la suspicion dont la psychologie allait faire l’objet. Des fées bonnes ou mauvaises étaient penchées sur son berceau. Rejetée, mais tiraillée entre ses multiples marraines, de la Physique 315 à la théosophie en passant par la Philosophie, elle est toujours tentée de les rejoindre 316 . Françoise Parot parle à son sujet de duplicité comme pour la condamner. Mais les hommes dont elle s’occupe ne sont-ils pas eux-mêmes doubles ?
Le temps a passé depuis Aristote et Paracelse. Cependant, pour nous il y a quelque chose à garder de ces différents héritages. Ne pas être hermétiste ou spiritiste, mais savoir donner une part à l’interprétation. Ne pas être « physicien », mais prendre en compte la « phusis » (nature) humaine. Ne pas être philosophe, mais savoir accoucher l’autre. Bref, être un peu de tout cela. Ce n’est pas une position facile et souvent le psychologue est amené à bricoler des solutions provisoires et bancales. Mais c’est là son travail. Savoir se tenir dans un lieu interlope, toujours menacé, et jour après jour faire avec tout cela du lien.
« Naissance de la psychologie. La nature et l'esprit », «Revue de synthèse, Les territoires de la psychologie” 3-4, 1994, Paris, Albin Michel, pp. 355-373.
C’est ainsi que le spiritisme s’est trouvé du côté de la science et du progrès. Mr. J. Hochmann me rappelle avec raison les liens d’un traditionnaliste comme Maistre avec l’hèrmétisme. Mais Maistre est-il représentatif de la droite catholique ? L’Eglise n’aime guère les mysticismes. A l’autre bord, n'est-ce pas la persistance latente d’ancienne alliance Kardec-Macé qui expliquerait l’attirance de tant d’enseignants, s'affirmant par ailleurs rationalistes, pour les médecines parallèles, l’écologie dogmatique, ou la celtitude…
Anatomie et Médecine.
Pensez d'un côté aux cognitivistes, et de l'autre à Jung par exemple