Unité de la Psychologie : 1- à propos de la psychologie naturelle.

Il y a quelques années, le Bulletin de psychologie consacrait un numéro spécial 415 à la question de l'unité de la psychologie. L’avis général répandu dans ces pages était que cette unité est inexistante, et que si elle avait semblé possible à l’époque des Lagache, Piaget et Zazzo, on ne pouvait plus l’envisager aujourd’hui. Dans l’article le plus intéressant de ce numéro, Jean-François Le Ny, un des représentants les plus en vue de la psychologie scientifique, expliquait pourquoi la psychologie est ‘«’ ‘durablement duale’” 416 . Ce n’était pas dû selon lui à l'explosion démographique des psychologues et à la diversification qui en résultait. Après tout, disait-il, la multiplication des spécialités dans les sciences naturelles, et la difficulté réelle de communication entre les différents spécialistes, n'empêchent pas, que l'on considère le champ de la physique ou celui de la biologie, comme fondamentalement uns. Pour Jean-François Le Ny, la division, « durablement duale », de la psychologie venait de ce que si la réalité psychique est une, il y a deux façons de la décrire, toutes deux légitimes. Il y a deux types de psychologies : une psychologie d’une premier type, qu'il appelle «clinique”, et qu'il situe comme nous dans le prolongement de la psychologie naturelle (folk psychology), et une psychologie de deuxième type, «à visée scientifique,” la psychologie cognitivo-expérimentale. Pour répondre à la question titre : la psychologie est-elle durablement duale ? ou bien peut-on espérer ramener le premier type de description au second ? Le Ny va donc procéder à la comparaison des caractéristiques de ces deux psychologies. Nous en viendrons tout à l’heure à l’examen de cette opposition, mais auparavant il ne nous parait pas inutile de rappeler quelques éléments de ce que nous savons de la psychologie naturelle.

La psychologie naturelle est la psychologie commune, celle que tous nous utilisons tout à fait simplement, naïvement, dans la gestion de nos relations aux autres ( et à nous-mêmes). Et cela depuis notre plus jeune âge. C’est cette capacité à développer ou à construire une « théorie” 417 c'est-à-dire un système de généralités sur la façon dont pensent les autres, et sur les représentations et intentions qui commandent leur comportement. De bonnes études, au label «scientifique” pour le coup, semblent confirmer que les bébés dès la naissance ont des capacités et des attentes programmées qui, à l'épreuve des échanges avec autrui, avec la mère dans la généralités des cas, vont donner cette «Theory of Mind”, laquelle, au même titre d’ailleurs que la physique « naturelle” ou naïve, va permettre une adaptation suffisamment efficace au monde environnant (dans la vie de tous les jours, la physique «académique” nous est rarement utile).

Cette T.O.M. qui semble devenu un domaine à part entière de la psychologie scientifique, on pouvait déjà en trouver les prémices chez Piaget, dans ses études sur la genèse de la capacité de décentration chez l’enfant 418 . L'étude de la façon dont l'enfant se construit une théorie de l'esprit est un domaine actuellement en plein développement. Elle paraît en effet d'un grand intérêt pour mieux cerner les difficultés rencontrées par les enfants autistes qui souffriraient d’une incapacité à comprendre les intentions d'autrui (cf. Baron-Cohen, Leslie, Frith (‘«’ ‘ Does the autistic child have a theory of mind ? »’1985) 419 . L'exemple habituellement rapporté pour faire comprendre ces difficultés est cette expérience Sally-Anne que décrit Uta Frith dans son livre 420 . À travers cette expérience et d’autres mettant parfois en scène des personnes réelles, les auteurs de ces recherches nous ont conduits à conclure à l’incapacité des enfants autistes à penser l'esprit d'autrui, alors même qu'ils peuvent être de meilleurs «physiciens” ou d'aussi bon «béhavioristes” -c'est-à-dire capables de raisonner sur des séquences causales ou comportementales - que les autres enfants. (Ils confirment ainsi la thèse de H. Gardner de ‘«’ ‘ la pluralité des intelligences ’» et indirectement cellede la non-réductibilité de la psychologie à la physique, thèse de P. Churchland à la suite du positivisme viennois).

Si nous parlons ici de ces recherches, c'est parce qu'elles aboutissent à établir clairement l'importance capitale qu'il y a, pour comprendre les comportements des autres, pour être naturellement psychologue, à pouvoir leur prêter un for intérieur et des intentions personnelles 421 . Elles montrent en tout cas qu’on peut être un bon béhavioriste et un très mauvais psychologue. Cette incapacité à penser qu'autrui a une pensée propre, des croyances propres (Sally-Anne), mais aussi des intentions propres, a été mise en relation avec d'autres déficiences de la meta-représentation. Celle qui permet par exemple à l'enfant de distinguer un jeu, d'une agression réelle, c'est-à-dire de comprendre qu'il y a derrière le geste ou la parole dite, une intention qui les contredit, à saisir que le camarade ou le maître plaisantent. U. Frith prend un exemple dans le film «Citizen Kane”. La carrière de Kane rappelle-t-elle, a été torpillée par ce gros titre de la presse : ‘«’ ‘Candidate found in love nest with ’ ‘«’ ‘singer” ”’, et surtout par ces guillemets que Kane va s’évertuer sans succès de gommer et qui signifient que derrière «singer”, il faut entendre tout autre chose qu’une chanteuse.

Bien évidemment l'humour repose sur cette capacité à prendre en compte deux niveaux de langage, le texte énoncé, et le sous-entendu. Mais en réalité, toute la communication entre êtres humains est sans cesse connotée par des « sous-entendus”. Si je demande à mon vis-à-vis : « pouvez-vous me passer le sel ? 422 et qu'il se contente de répondre «oui”, sans rien faire, je peux en conclure à une intention de rompre la relation au niveau où je l'établissais 423 . La capacité de se décentrer, de se dégager de l’immédiateté des réflexes comportementaux, de prendre du recul sur l’énoncé lui-même, d’être capable de prendre en compte le contexte d’énonciation et saisir ainsi l’”intention” de l’acte ou de la parole prononcée, voilà quelques éléments de cette «theory of mind”, qui fait de nous en permanence des psychologues, suffisamment performants bien qu’amateurs.

Nous interprétons quasiment sans cesse les comportements et les paroles d’autrui. Spontanément, naturellement, nous postulons que l’autre peut avoir des pensées différentes, des intentions autres que ce que nous dit objectivement son comportement. Si la blague sur les amants béhavioristes nous fait rire (‘«’ ‘ C’était bien pour toi, comment c’était pour moi ? ’»), c’est par ce qu’elle montre d’inintelligence des rapports amoureux chez ces psychologues. Car l’autre peut simuler. Le comportement de l’autre est commandé par des intentions, des objectifs non « physiquement » présents. Au-delà des interprétations naïves commence la parfois difficile expertise du décryptage de ces intentions. C’est le travail du psychologue de métier. La formation professionnelle, et surtout l'expérience, apportent un plus, cependant il suffit d'observer la subtilité avec laquelle une fillette de sept-huit ans s'essaye à tester de manière très détournée les intentions réelles de ses parents, pour comprendre que la compétence psychologique dont nous sommes naturellement munis fournit la base essentielle –la partie immergée de l’iceberg- de nos compétences à comprendre ces transactions psychologiques, compétences dont on voit mal comment elles pourraient être saisies par toute science « naturelle » 424 .

Dans la construction de cette intelligence psychologique, intelligence d'autrui et de soi-même, si un dispositif inné est nécessaire, le rôle ultérieur des relations adultes - jeunes enfants est d'une importance capitale, comme l’ont vérifié de nombreux travaux. Ce que nous avons appris de recherches concordantes ( Trevarthen, Stern ou Lebovici ), c'est que le bébé est lui-même initiateur dans ces échanges : ‘«’ ‘ l’enfant crée sa mère ’» disait Lebovici. Dès sa naissance il est prédisposé à recevoir l'influence organisatrice de l'environnement, mais aussi à la susciter, à éveiller la compétence maternelle. Il est apte à recevoir les interprétations psychologiques de sa mère qui prête des intentions à ses comportements leur donnant ainsi un sens. Et dans ces échanges mères-enfants, « séquences transactionnelles », « échoïsations », « synchronisations interactionnelles », il passe beaucoup d'implicite. Dans ce dialogue tonique et/ou verbal, ce ne sont pas seulement des significations explicites qui sont échangées -d'ailleurs elles ne pourraient être saisies comme telles par le très jeune enfant- . Le dialogue se développe aussi dans une autre dimension, émotionnelle et affective, qui donne du corps à ces échanges. C'est enfin toute une dimension de rêverie et de fantasme qui passe et participe à la construction de l'intériorité de l'enfant. Pour qu'une intériorité se construise, s'étoffe, s'enrichisse, puis s'autonomise chez l'enfant, il faut que la mère ait rêvé son enfant. À tous ces niveaux d’interaction, des malentendus peuvent s'installer.

À côté ou plutôt en avant de la psychologie dite scientifique, il existe donc une psychologie naturelle, partie innée, partie acquise, corps de savoirs permettant une compréhension suffisamment valide des pensées d'autrui. Cette psychologie « naturelle » constitue le socle ou mieux le fondement de cette psychologie que J. F. Le Ny appelle « clinique » terme que nous acceptons, et que nous qualifions pour notre part d’» interprétative » ou de « compréhensive ». La psychologie clinique, au sens étroit et professionnel, a perfectionné cette psychologie naturelle vers plus de profondeur sans jamais cependant s'en couper 425 . Elle s'est enrichie de toutes les subtilités apportées par la psychanalyse, dont d'ailleurs beaucoup de points de vue sont passés dans la psychologie commune, le refoulement par exemple 426 , mais aussi (et cet enseignement, je le crains, nous sommes au contraire en train de le perdre) de tout ce que les observateurs attentifs de l'âme humaine, romanciers et moralistes, nous avaient apporté 427 .

La psychologie scientifique s'oppose-t-elle à cette psychologie là, comme l'affirme J. F. Le Ny ? Avant de lui laisser la parole on voudrait bien que chacun s’interroge et se demande si, dans l'énorme production d’articles de la psychologie à visée scientifique, si l'on écarte les travaux relevant de la psychophysiologie ou de la neurobiologie portant le plus souvent sur des phénomènes élémentaires, le plus grand nombre de ces investigations, dont la plupart d’ailleurs ne font que doubler, contrôler, contredire, des recherches précédentes, ne font pas autre chose que vérifier, souvent lourdement, avec le secours d'un appareil mathématique disproportionné, les intuitions de la psychologie naturelle 428 . Restent quelques travaux présentent un intérêt réel, le plus souvent parce qu'ils ont su quitter le laboratoire et aller au plus près des préoccupations du terrain.

J. F. Le Ny, dans son article consacré à la « durable » dualité de la psychologie, relève quatre caractéristiques qui distinguent la psychologie naturelle, ou clinique, et le psychologie « à visée » (sic) scientifique. La première consiste dans la façon dont elles décrivent les événements psychologiques. Pour la psychologie à visée scientifique, la description devrait s'en tenir aux phénomènes physiques, alors que la psychologie de type 1 (clinique) inclut des caractères de l'état mental qui accompagnent ce comportement, et en particulier les aspects conatifs, intentions et buts.  ‘«’ ‘  L'exclusion des états mentaux accompagnateurs a longtemps été une caractéristique de description de la psychologie 2 ( le béhaviorisme) ’» (p. 277), mais aujourd'hui, dit-il, la psychologie à visée scientifique prend en compte les états mentaux, sous la forme, précise-t-il, de processus ou d'opérations. Là où on parle dans la psychologie 1 d’ » imaginer, désirer, aimer… », la psychologie 2 parle de ‘«’ ‘ traiter, coder, stocker de l’information, activer (des représentations)’ » . Pour J. F. Le Ny il s'agit d'une différence de point de vue tout à fait analogue à celle qui sépare la physique scientifique de la physique naïve, l'une disant H2O là où l'autre parle d’eau. 429

La deuxième opposition, selon J. F. Le Ny, tient au rôle donné à la conscience dans la psychologie 1 (clinique), où même les états ou opérations inconscientes sont pensés sur le modèle des états ou des opérations conscientes ( hypothèse d’une intentionnalité inconsciente), tandis que dans la psychologie à visée scientifique, cognitive en son état actuel, les états et processus sont pensés comme les objets non conscients.

3-la troisième opposition réside dans le type d'explication. Dans la psychologie 1, clinique, par des causes, dans la psychologie 2, à visée scientifique, par des lois. La psychologie 1 croit en des régularités, mais qui n'ont pas le caractère des lois naturelles en ce sens ce qu'elles ne valent pas toujours mais en général, dans la plupart des cas. J. F. Le Ny prend comme exemple le fait divers qui constitue la base du roman de Stendhal ‘«’ ‘ Le Rouge le Noir »’ : un individu A tire un coup de pistolet sur un individu B, et il nous amène à reconnaître qu'on ne peut prétendre expliquer cet événement singulier sur la base d’une loi. On peut certes lui trouver des explications sociologiques, mais l'explication psychologique devra nécessairement y ajouter la recherche des événements spécifiques qui ont conduit à cet acte. ‘«’ ‘  Le roman raconte et explique, à sa façon, dans les cadres d'une psychologie 1 qui demeure admirable, les causalités qui ont conduit à l'acte final, et les circonstances du passé à long et à court terme qui a formé l'infrastructure causale de l'événement ’» (p.278). Il ajoute en toute honnêteté (‘«’ ‘  je vais botter contre mon camp »)’ un argument en faveur de la psychologie 1 : le psychologue scientifique recourt naturellement à la psychologie 1 pour s'orienter dans sa vie quotidienne.

4- la quatrième différence porte sur les méthodes. Si la psychologie clinique doit s'améliorer sur ce point, il ne peut être question de lui demander ‘«’ ‘ de ne regarder qu’en direction des techniques sophistiquées du laboratoire ’», dit-il.

De ce repérage sérieux et honnête des différences, J. F. Le Ny tire deux conclusions. La première c'est que ces deux psychologies sont profondément et foncièrement différentes. La seconde c'est qu'il n'existe aucune raison de vouloir aujourd'hui faire passer l'une des deux psychologies existantes sous les fourches de l'autre, et qu'il n'est pas plus raisonnable d'espérer les unifier dans un terme raisonnablement court. On ne peut qu'être d'accord, avec ces conclusions, du moins pour qui s’en tient à l'objectif d'une unification théorique. La situation est différente dès lors qu'on considère que les deux psychologies, comme le montre l'exemple du psychologue scientifique utilisant la psychologie naturelle dans sa vie quotidienne, ne jouent pas tout à fait dans le même champ. La psychologie clinique est essentiellement une pratique et quand elle devient professionnelle, dans cette pratique les choses en viennent bien à s'unifier.

Notes
415.

«Bulletin de Psychologie”, 440, Mars-Avril 1999.

416.

«La psychologie est-elle durablement duale?”, 1999, p. 273-285. Il ne pose pas cette dualité comme fondamentale et définitive.

417.

Le mot peut paraître excessif. Il ne s'agit évidemment pas d'une théorie explicite de type scientifique ; plutôt d’une connaissance implicite, «by acquaintance” et non «by description”. Nous gardons toutefois le mot de «théorie” pour signifier qu'il s'agit d'une construction complexe, comportant des «lois” qui, même si elles ne prétendent pas énoncer de vérités universelles ont un caractère suffisant de généralité. Elle souffrent d'exceptions et s'expriment dans la forme : « généralement”..., et non « pour tout”... et sont donc «infalsifiables”au sens de Popper.

418.

On sait comment Piaget explique le développement intellectuel par un dégagement progressif de l'egocentrisme enfantin. Le progrès dans la maîtrise des relations psychologiques, comme des relations physiques, tient à la capacité de prendre en considération le point de vue d'autrui. Dans l’épreuve des 3 montagnes -une maquette en relief avec trois montagnes différentes- Piaget demande à l’enfant ce que verrait une poupée située ailleurs. Pour évaluer la T.O.M., Baron-Cohen, Leslie et Frith demanderont au sujet ce que pense autrui, voir plus loin. (Sur Piaget et la théorie de l’esprit, voir Mounoud 1997).

419.

S’agit-il d’un déficit «cognitif”, d’un manque de «théorie”, ou d’un défaut émotionnel, d’un manque d’empathie. Il faut bien relever qu'en parlant de”Theory” of mind, on met implicitement en avant l'aspect «cognitif” de cette capacité, avec des implications possibles sur le mode de traitement de ses troubles. Nous avons trouvé une présentation claire et rapide des théories cognitives de l'autisme, dans U. Frith (1989), Claire Hughes (1994) et J. Nadel (1994).

420.

«Sally a un panier et Anna une boîte ; Sally a une bille, qu'elle met dans son panier ; ensuite Sally sort ; en son absence Anne prend la bille de Sally et la place dans la boîte ; à présent, Sally revient et veut jouer avec sa bille. C'est à ce moment que nous posions la question cruciale : « Où est-ce que Sally ira chercher sa bille ?”. La question posée à des enfants de trois-quatre ans d'âge mental, permet de vérifier que les enfants souffrant d'autisme ont une incapacité spécifique à penser que Sally, n’ayant pas vu ce qu’ils ont vu, puisse avoir une croyance personnelle différente de la leur. (U. Frith, 1992, pp.262-263).

421.

Pour Leslie la capacité à apprécier l'intentionnalité – il emploie le mot- est innée et comparable au Language Acquisition Device de Chomsky.

422.

L’anecdote du malentendu à propos du sel reprise par U. Frith (1992, p.295) est tirée de Sperber et Wilson qui ont développé une «théorie de la pertinence” (1986) à partir de la théorie générale de l’”implicitation” de Grice (comment signifier quelque chose sans le dire).

423.

Au mieux j’ai affaire à un plaisantin, ce qui ne m’empêchera pas intérieurement de pester : «quel con !”. Ceci me rappelle l’article léger que René Zazzo avait consacré à la «connerie” (««Qu'est-ce que la connerie, madame ?” dans «Où en est la psychologie de l'enfant”, 1983) où il rapportait les résultats de son enquête, auprés d’une centaine de praticiens de Sainte-Anne, «Qui est con selon vous parmi vos collègues ?”. Deux résultats significatifs : pas une personne n’était épargnée, on est toujours le con de quelqu'un ; mais une personne ralliait un maximum de suffrages, «un brave homme sans doute et un grand patron, mais dépourvu de tout sens de l'humour, très érudit en son domaine mais analphabète pour tout le reste, à la fois dogmatique et crédule, ne se trompant pas plus qu'un autre dans ses diagnostics mais incapable cependant de se mettre au point de vue d'autrui”, ne manquant surement pas d’intelligence logique, mais de compréhension d’autrui, d’intelligence des situations, ça oui ! «C’était un homme à gaffes, des gaffes dont il n’avait même pas conscience”(p.51). Il nous arrive à tous de faire des gaffes, mais à ce niveau il s’agit d’autre chose ; « un con ne se doute pas qu'il l'est. Pour le savoir il lui faudrait se décentrer, se voir avec les yeux d'autrui... ce qui suppose alors qu'il ne le serait pas”(id.).

424.

Jamais tout l’implicite, toute la signification de nos conduites ne peuvent être totalement explicités. Les échos qu’on y trouve sont infinis ( à l’exemple de la monade leibnizienne dont l’image décidemment nous hante).

425.

Nous y tenons beaucoup : il n’y a pas de coupure entre la psychologie naturelle, et la psychologie clinique, ou psychanalytique. Nous consacrerons plus loin un développement sur la prétendue coupure entre psychologie et psychanalyse sur la base de laquelle les «éliminativistes” des années 60 (Althusser, Lacan, Foucault), prophétisaient la mort de la psychologie.

426.

Et même la sexualité infantile, encore que ce soit un point encore contesté. Pour D. Widlöcher, à l’inverse de l”attachement («merveilleux objet d’inter-disciplinarité”), c’est la sexualisation de l’inconscient freudien qui ne passe pas dans le discours commun. Entretien avec A. Braconnier, «Le Carnet Psy”, mai 2000.

427.

En perdant cette culture littéraire, nous perdons beaucoup dans la compréhension de nous-mêmes et des autres. Les grands récits, comme Ricoeur l’a rappelé, sont des médiateurs essentiels dans la connaissance/construction de soi (cf. «Soi-même comme un autre”, par exemple la sixième étude, «la littérature s’avère consister en un vaste laboratoire pour des expériences de pensée où sont mises à l’épreuve du récit les ressources de variations de l’identité narrative”, p. 176). Nous y reviendrons dans la partie consacrée à la pratique.

428.

Le contenu en est souvent faible. Le dispositif statistique ne peut cacher le flou des concepts étudiés et du dispositif expérimental. On pourrait en trouver des exemples dans certaines recherches sur la classification.

429.

On peut déjà relever que la psychologie cognitive utilise des termes suffisamment généraux ou abstraits pour s’appliquer aussi bien aux machines qu'à des esprits humains. Ses deux concepts généraux sont la «mémoire”, et le «traitement de l'information” . «Traitement”, c’est un peu vague, même si on parle de vitesse de traitement, d’espace de traitement, de traitement sériel ou de traitement parallèle, c’est toujours de «traitement”, tout est ramené à une opération suffisamment générale. Voici par exemple le début de l'article «Traitement”, signé J. F. Le Ny, du «Grand dictionnaire de la Psychologie Larousse”: «n;m; (angl. Processing). Génér. Transformation ou suite de transformations de l'information. La théorie du traitement de l'information constitue la base de la psychologie cognitive. Elle suppose que les organismes vivants reçoivent de l'information et la saisissent de façon sélective par leurs organes récepteurs ; cette information est alors transformée et conduit à certains comportements”. S'il y a une correspondance précise entre l'eau et H2O, on attend toujours la traduction des notions de la psychologie naturelle, imaginer, désirer, aimer, en termes d’”opérations” ou de «processus” plus nettement explicités qu’un trop général «traitement de l’information”.