Le Moi conteur. Le récit de soi. Retour sur la psychologie naturelle. 485

Jusqu’ici pour expliquer le rôle du Moi, son travail, nous avons mis l’accent sur sa place d’interface au sein de l’appareil psychique 486 . Son efficace tient à cette place et à l’étayage que cette place lui permet de trouver dans l’univers environnant. Mais en donnant de ces choses une image spatiale, nous laissons échapper quelque chose d’essentiel. L’environnement c’est l’univers physique mais ce sont surtout des personnes. Cet étayage que les personnes environnantes fournissent au développement du Moi, certains les appellent des « enveloppes ». On reste encore dans l’imagerie spatiale jusqu’au moment ou un chercheur comme D. Stern fait apparaître que l’efficace de ces enveloppes vient de ce qu’elles sont « narratives ». Si nous réfléchissons par ailleurs, à ce qui fait la puissance de la psychologie naturelle, nous devons nous demander si cette force ne vient pas, là aussi, de ce qu’elle aussi fonctionne essentiellement sur la base de récits. Souvenons aussi du projet de Politzer. Il voulait établir sa psychologie dans le prolongement de la psychologie naturelle, sur des récits, il parlait de « drame ». Pour J. F. Le Ny - voir plus avant- seul le roman peut nous faire comprendre la succession des évènements qui ont conduit au drame 487 et cela dans le cadre d’une psychologie naturelle « admirablement conduite ».

De toutes ces notations se dégage l’idée que la psychologie naturelle comprend les conduites psychologiques sur la base de récits. Elle semble même avoir été construite su ce support.. Nous verrons que la psychanalyse elle-même est faite de récits. Ainsi dans différents domaines de la psychologie un nouveau paradigme est en train de s’imposer, celui de la narrativité. Il pourrait y jouer un rôle unificateur. Entrons un peu plus profondément dans l’analyse.

Notes
485.

Nous allons parler du Moi et du Soi. Précisons rapidement comment nous voyons leur rapports. La tendance à la réduction et à la réification du Moi, devait entrainer la résurgence de ses aspects dynamiques sous la forme du Soi. Ne s’y sont pas trompés ceux n’ont pas manqué d’y dénoncer le retour du bon vieux Moi pré-freudien (Il y a en effet quelque chose de la phénoménologie voire du bergsonisme dans l’accent mis sur le côté «vivant”, «ouvert”, «existentiel” du Soi par rapport au Moi). La difficulté c’est qu’il y a déjà cette ambiguïté chez Freud. Le Moi est chez lui à la fois le Moi d’avant la psychanalyse, la personne, l’agent conscient de soi, et et le Moi comme instance organisatrice. D’où la gêne d’un Pontalis (1975) qui critique chez Guntrip ce qu’il va admettre de Winnicott ( le self, dit-il, p.298, en l’opposant à un Moi figé ou compulsif, est «le représentant du vivant”). Il est dangereux de multiplier les entités et de les substantifier. Le Moi est une tension ( c’est le sens du Wo es war) et le Soi un de ses aspects ou un pôle, le pôle intégrateur. Le Soi pourrait-on dire est intention, projet. Mais, en France la fonction intégratrice ou synthétisante du Moi continue à porter le poids de la critique de Lacan, ce qui explique le succés du Soi de Winnicott qui apportait une bouffée d’air et permettait de penser les aspects positifs de l’intégration des expériences et de l’unification de la personne. Une anecdote : E. Pichon et L. Daudet s’opposaient sur la traduction du Ich freudien, le premier proposant le «Je”, le second, le «soi”, cependant l’un comme l’autre avaient une conception du Moi beaucoup plus proche de celle de Hartmann que de celle de J. Lacan. Une remarque enfin : J. Guillaumin (1997) proposait de faire du Soi le fondement de la fonction de synthèse du Moi. Fondement peut-être, mais aussi pour nous fin : principe régulateur et projet.

486.

Si cette position nous intéresse, c’est aussi parce qu’elle est celle du psychologue dans son travail. Nous y reviendrons dans la partie suivante consacrée à la pratique.

487.

Comme il le dit, on ne peut expliquer le coup de pistolet de Juilien Sorel contre Madame de Rênal sur la base de l’application d’une loi scientifique.