Chapitre 10
La rencontre psychologique :
Le temps de la parole

«  Le plus court chemin de soi à soi passe par autrui ». P. Ricoeur ’ ‘ « Les affaires humaines iraient beaucoup mieux s’il était également au pouvoir de l’homme de se taire ou de parler. Mais l’expérience montre assez – et au-delà – que les hommes n’ont rien de moins en leur pouvoir que leur langue”. B. Spinoza, Ethique, III, 2, scolie.

A l’origine de la rencontre, il y a d’abord une demande. Dans la pratique ordinaire de la psychologie en milieu scolaire, c’est l’enseignant, plus souvent que les parents ou que l’enfant lui-même, qui est à son origine. Cependant l’intervention du psychologue scolaire n’a de sens et d’efficacité que si elle est portée par un besoin commun de faire évoluer la situation. 567 C’est une des raisons qui font qu’une demande réclame du temps pour s’élaborer. Il y a un élément déclencheur, auquel l’enseignant va le plus souvent réagir le premier, mais à partir de cet événement, le psychologue scolaire travaillera à mobiliser chacun dans un projet partagé.

Donc quand nous parlons du « temps » de la demande, cela ne veut pas dire que la demande n’a qu’un temps, avant qu’on passe à autre chose (par exemple le temps de la réparation ou du soin). Si une action est engagée, la demande continuera à vivre au long de l’intervention. Vivante, elle pourra évoluer, non seulement comme il est normal durant le temps de l’évaluation qui permet d’apporter des éclairages nouveaux sur la situation 568 , mais même durant le temps de la réalisation du projet. Des trois temps auxquels nous consacrons les trois chapitres de cette partie : le temps de la parole, le temps de l’évaluation, le temps du projet, chacun est tissé des deux autres. Le projet est déjà souvent en germe, même à simple titre d’intention, au début de la rencontre. Au fond le projet n’est qu’une demande qui s’est élaborée, parfois modifiée, enrichie de tout un travail d’information et de réflexion, élaboration sous-tendue de dynamiques inconscientes ou plutôt de mouvements intra-psychiques 569 . Le projet est une demande clarifiée, assumée, et en marche vers une réalisation concrète. On voit là toute l’importance d’une évaluation de la situation réelle, des contraintes et des possibles qu’elle enferme.

Parfois cependant il suffit qu’une demande ait trouvé un lieu pour s’exprimer, que l’enseignant et/ou le parent aient pu parler de leur inquiétude, réfléchir, avec quelqu’un à leur coté qui accompagne l’élaboration de cette parole, pour que les choses s’apaisent et qu’ils retrouvent ce dynamisme psychique naturel qui nous permet ordinairement de dépasser nos moments d’hésitation ou de crise. Parler de soi soulage, parler de son itinéraire lui redonne un sens, une «direction”. Cela suffit parfois, mais parfois aussi parler ne suffit pas et peut même n’être qu’une fuite.

Dans ce chapitre nous allons parler de ce premier temps de la rencontre, ce temps de la parole, de ses pouvoirs, et de ses limites aussi.

Notes
567.

Il est important de rappeler dès à présent que, selon le Code de déontologie des psychologues, II, 2, article10 : « Le psychologue peut recevoir à leur demande, des mineurs ou des majeurs protégés par la loi. Son intervention auprès d'eux tient compte de leur statut, de leur situation et des dispositions légales en vigueur. Lorsque la consultation pour des mineurs ou des majeurs protégés par la loi est demandée par un tiers, la psychologue requiert leur consentement éclairé, ainsi que celui de détenteurs de l'autorité parentale ou de la tutelle. » Dès lors que le psychologue scolaire est appelé à intervenir il doit donc obtenir le consentement « éclairé » des parents. Il ne peut le faire sans les rencontrer. Voilà pour l’obligation déontologique. Mais il doit plus que cela s’il veut relancer une dynamique. Il doit créer les conditions d’une rencontre qui permettent de les mobiliser. Le simple consentement satisfait à la déontologie, mais pas à l’efficacité psychologique.

568.

Voir le chapitre suivant.

569.

Nous renvoyons à nos réflexions sur le fonctionnement psychique du chapitre «Vie psychique et médiations” dans la partie précédente. Dans ce chapitre nous avions surtout voulu insister sur l’importance des mouvements intra-psychiques dans le travail de penser. Ces réflexions sur les mouvements «synchroniques « de la pensée gardent toute leur valeur, même si dans cette partie où nous suivons l’élaboration dans la durée d’une demande en projet, nous mettrons plutôt l’accent sur les mouvements diachroniques, et sur les dynamiques de conscientisation.