De la demande.

Dans une conception convenue, très influencée par la pensée lacanienne -mais aussi par les techniques non-directives, et les philosophies extrêmes-orientales de type zen-, le questionnement de la demande parait constituer l'essentiel de la démarche thérapeutique. Pour Lacan par exemple, c'est le refus de comprendre le sens de sa demande qui constitue en soi le problème du sujet. Ce sens doit être assumé 570 par lui. Mais ce sens ne doit pas lui être révélé de l'extérieur. Ce n'est pas à l'autre, à l’analyste, au nom d'un savoir supposé, de le lui dire ; ce serait lui refuser d'être sujet. Ce principe débouche habituellement dans la pratique sur une attitude abstentionniste, voire de refus. C’est en ne répondant pas à la demande exprimée - à la première demande exprimée, puis à la deuxième… -, qu'on ouvrirait la possibilité pour le sujet d'assumer ce sens. Le problème du demandeur étant qu’il n'assume pas son désir, ce sont seulement les refus répétés du thérapeute qui l’amèneront à abandonner cette demande fondamentalement biaisée. A partir de là, toute demande cessant, la thérapie serait terminée. Guéri de sa demande le sujet serait guéri tout court.

Une telle conception, interprétation simplificatrice mais des plus répandues de l’analyse lacanienne, tend à laisser de côté les ambiguïtés et les mécanismes subtils de l'élaboration de la demande, et surtout la dimension temporelle qui lui est nécessaire. A la question qui anime le sujet, on peut en effet répondre par le renvoi systématique d’un refus de réponse ; on peut aussi répondre par un travail de mise au clair, et d’étayage. Une demande, comme un projet, cela requiert du temps pour s'élaborer, s’épaissir, s’étoffer 571 . On ne peut poser comme préalable qu’elle soit clairement exprimée avant même d’avoir commencé. Ce travail d’élaboration de la demande est d’autant plus nécessaire, lorsque le domaine d’intervention est celui de la clinique infantile, où d'emblée nous avons affaire à plusieurs personnes avec des discours, sinon des demandes, différents dans leur position et leur contenu.

En psychologie scolaire nous ne sommes pas placés dans le cadre d'une démarche thérapeutique au sens strict, médical, et encore moins dans une demande de psychanalyse. La plupart du temps le psychologue ne dispose que d'un temps d’intervention limité. La part qu’il peut consacrer à l’analyse de la demande est donc nécessairement réduite. De fait, dans la réalité de sa pratique, le psychologue scolaire est souvent amené à passer plus de temps sur le projet à construire avec l’enfant, les parents, l’école, que sur l'analyse de la demande. Il importe cependant qu’au départ de son intervention, l’exigence d’une clarification de la demande soit bien présente à son esprit. Pour l’élaboration même du projet, il doit commencer par clarifier les différentes intentions des personnes qui l’ont saisi de leur demande. L'objectif principal de la première rencontre doit donc être de démêler les différentes demandes, d’en éclaircir les raisons, et d’évaluer dans quelle mesure elles autorisent ou empêchent un processus de changement. 572

Notes
570.

C'est en cela affirmera-t-il, que la psychanalyse est une technique qui respecte la personne humaine.

571.

Sinon on reste dans la plainte. L’essentiel de ce que nous ont appris les théoriciens des thérapies stratégiques brèves pourrait tenir en deux règles : transformer le plaignant en client, lui fixer un objectif précis. Il s’agit d’élaborer une demande, non de la supprimer. La réponse stratégique apportée n’est pas celle du «conseil”, elle est souvent manipulatrice, mais nous sommes là dans un cadre thérapeutique, pour des problèmes enkystés aprés échec des actions de soutien ou de guidance. Les auteurs ne prétendent pas en faire l’alphha et l’omega de la relation humaine. (Voir Fish, Weakland, Segal : «Tactiques du changement”, Seuil, 1986)

572.

La nature même de l'événement qui a précipité la décision de demander à rencontrer le psychologue, sa gravité, peut être un facteur important des conditions de changement. Parfois c'est un événement grave : l'école vient de demander un redoublement, ou bien l'enfant a failli mettre le feu à l'appartement en jetant des allumettes enflammées sur le canapé où sa mère faisait la sieste. Parfois c'est un événement anodin qui souvent cache autre chose.