La demande du jeune.

Le jeune a-t-il lui-même une demande ? A-t-il même toujours conscience d'une difficulté véritable. La rareté d'une démarche spontanée de l'enfant est une des caractéristiques de la clinique infantile 584 . Devant cette réalité nous avons vu certains praticiens conseillant de n'entreprendre aucune démarche tant que l’enfant n'a pas formulé le désir personnel d'être aidé. Si une telle attitude se justifie parfois, l'attente ainsi exigée permettant à chacun de s'interroger sur ses propres responsabilités, la généralisation d’un tel préalable peut avoir des conséquences désastreuses. Nombreuses sont les raisons qui freinent ou interdisent à l’enfant l’expression d’une demande propre. A commencer par son immaturité, immaturité cognitive qui limite pendant longtemps sa capacité à se décentrer et à comprendre même qu’il a un problème, immaturité affective qui l’entretient dans la confusion entre son désir propre et celui de ses parents. Le plus souvent sa dépendance est si grande que sa demande, même quand elle est exprimée, peut-être suspectée. Ce garçon ou cette fille viennent parce que leur père et/ou leur mère en ont décidé ainsi.. S'ils s'inquiètent c'est tout simplement parce que leur mère se préoccupe ou que leur père leur a fait des reproches quant à leurs résultats scolaires.

Et puis quand la souffrance de l’enfant est réelle, comment pourrait s’exprimer une demande personnelle ? Certaines pathologies se définissent par l'impossibilité de pouvoir entreprendre un cheminement vers le thérapeute. Qu’on pense aux enfants narcissiques, dans la toute-puissance, qui n’ont d’autre demande que la satisfaction immédiate de leur désir, ceux gravement perturbés dans leur identité même, ou plus banalement certains enfants très inhibés, anxieux ou dépressifs 585 . L'attente utopique de la demande peut aboutir aux mêmes attitudes défaitistes que les affirmations basées sur les notions d’hérédité ou d'organicité.

Comment recevoir l'enfant ? Certains psychologues reçoivent systématiquement les parents et l'enfant ensemble. Il me semble qu'il ne faut pas avoir d’a priori sur ce point. Si les parents le souhaitent, je les reçois avec leur enfant, mais par expérience il me paraît profitable que sur une partie de l'entretien au moins, ils soient séparés. Ce choix parfois est imposé. On doit tenir compte de l’âge et de la nature du problème. Pour un grand ado en conflit ouvert avec sa mère, il faudra bien en venir à une rencontre commune. Il en va tout différemment avec un petit enfant. Dans la partie de l'entretien où toute la famille est réunie il serait souhaitable de donner la parole à l'enfant : «  tes parents disent que », ou « tes parents voudraient que… et toi qu'est-ce tu en dis ? », mais cela ne doit pas devenir une loi. Il n’est pas si facile de s’exprimer devant eux. Pour certains enfants, dans certaines familles, c’est le meilleur moyen de bloquer leur expression.

En psychologie scolaire, une grande partie du travail étant constituée par une évaluation passée avec l'enfant seul, on pourra toujours au début de celle-ci revenir sur sa demande personnelle. On rappellera les raisons des parents et/ou de l’enseignant, on présentera le travail que l'on va avoir à faire ensemble, et à quoi cela pourra servir, et on lui redira qu’il peut utiliser cet espace pour exprimer une demande plus personnelle. C'est au moment de cette évaluation qu'on essaiera de mieux cerner comment l'enfant voit ses difficultés, s'il les reconnaît, s'il en souffre, comment il essaie de faire face, et ce qu'il attend d'une aide. Les enfants ont plus souvent qu'on ne le croit des informations, acquises auprès des camarades, sur les possibilités d'aide. Avec les plus âgés il arrive parfois que les parents laissent la responsabilité de la parole à l'enfant : « nous croyons que tu as un problème, il faut que tu le dise au psychologue… ». Il revient alors au psychologue le rôle inverse de les impliquer.

Donc, s’il est vrai qu’il faut être prudent face à une demande et qu’il peut être contre-productif, et même parfois nuisible de se précipiter pour répondre à la première demande des parents, pour entamer par exemple la rééducation réclamée, ou pour entreprendre sans attendre un bilan psychologique, et s’il est exact que la prégnance du point de vue réparateur 586 a pu un temps trop marquer la clinique infantile, cependant on ne doit pas s’enfermer systématiquement dans la position exactement inverse où l’on n’engage rien, tant que les entretiens préalables n’ont pas fait émerger une demande véritable. Si cela dure sur 4, 5, 8 entretiens, étalés sur plusieurs mois, cela peut conduire les parents à prendre la fuite. Cela ne paraîtra normal qu’à ceux qui voudraient enfermer le psychologue dans une pure fonction d’écoute et de recueil d’une parole. Il ne s’agirait que d'ouvrir un lieu privilégié de parole où s’élaborerait une demande, travail finalement confondu avec la thérapie elle-même. Une telle attitude repose sur un certain nombre d'erreurs : la certitude dogmatique qu’il n’y a de possibilité de changement chez l'enfant que par le simple jeu de la parole, la crainte de son propre pouvoir, au point de refuser de voir les aspects positifs d'une intervention directe, l'importance exagérée accordée au domaine affectif et à la vie fantasmatique, et le déni de l’importance des autres secteurs de la personnalité. On voit là les effets de la place envahissante occupée par une certaine vulgarisation psychanalytique dans la psychologie clinique, dérive qui a conduit de nombreux praticiens à vouloir recréer la situation de la cure, dans des contextes où elle n'avait parfois aucun sens.

On ne devrait pas oublier que les psychologues ont des cadres d’intervention différents qu’ils ont des formations spécifiques, et que le psychologue scolaire a un savoir et une expertise propres. 587 Ses connaissances sur le développement de l'enfant, sur les liens de ce développement à la relation à ses parents, sur l'institution scolaire, sa capacité à repérer les nœuds de blocages, à travers un questionnement mené en commun et des évaluations précises et standardisées. Ce savoir et son expertise lui donnent un pouvoir. C’est parce que les parents, et bientôt l'enfant, l'investissent de ce savoir et de ce pouvoir qu'ils viennent demander son aide. Je sais bien que leur demande est parfois très ambivalente. Ce qu'ils veulent que je fasse n'est pas forcément ce qu'il est souhaitable de faire. C’est d’ailleurs pourquoi j’adresse souvent à la famille le message suivant : ‘«’ ‘ je ne suis pas un magicien qui peut connaître ou agir sans vous ; je suis un professionnel qui met à votre disposition son savoir afin que vous-même vous sachiez, que vous puissiez un peu mieux comprendre votre enfant et un peu mieux vous y prendre avec lui ».’ Mais on ne doit pas oublier que ni l'enfant n'est une chose à guérir en dehors de ses parents par la magie d'une bulle fantasmatique, ni les parents ne sont automatiquement des adultes à soigner pour libérer leur enfant de leur influence pathogène. Il faudrait que les psychologues sortent du tout psychanalytique dans lequel beaucoup se sont laissés enfermer 588 .

Notes
584.

En réalité c’est trés variable selon les enfants, et surtout leur âge. Certains enfants, sont capables dés le début du primaire, d’exprimer une demande personnelle, mais il est vrai que ce sont rarement des enfants avec des difficultés proprement scolaires, ceux qui sont le pain quotidien du travail du psychologue scolaire. Nous sommes ici obligés de forcer le trait pour faire saisir les particularités de la demande en clinique infantile.

585.

Ce qui doit amener à relativiser la valeur de certains questionnaires. J’ai fait récemment remplir à un enfant d’une dizaine d’années, d’évidence très inhibé et angoissé un questionnaire d’anxiété. Pas une réponse où il n’est venu me signifier que tout allait bien. Il n’avouait pas une seule faiblesse. Une dénégation désespérée pour sauver son image et pour rassurer ses parents.

586.

Réparer en donnant plus de ce qui manque : il échoue en lecture, on l’inscrit sur le planning de l’orthophoniste.

587.

Le psychologue scolaire est un clinicien, un clinicien de la vie quotidienne, et sa clinique, bien qu’elle ne doive rien ignorer de la clinique psychanalytique ou pathologique, ne se réduit pas à cela. La spécificité de son action apparaitra plus clairement dans les chapitres suivants, à propos de l’évaluation qui occupe une place importante dans ses interventions, ainsi que du projet.

588.

Voir dans le chapitre précedent les réflexions désabusées de D. Anzieu sur cette évolution et les dangers qu’elle comporte quant à l’identité du psychologue.