Dans ce chapitre nous voudrions convaincre de l’importance du temps de l’évaluation dans l’intervention psychologique. Parler soulage, nous l’avons dit dans le chapitre précédent, mais évaluer est important et presque toujours nécessaire quand il s’agit d’enfants. Pour comprendre des difficultés d’apprentissage il faut leur trouver des explications, faire des hypothèses sur les facteurs en jeu, en tester la validité, faire un bilan des contraintes et des ressources, pour ensuite agir.
Toute évaluation est-elle en soi aliénante ? Faire passer un test est-ce nécessairement traiter autrui comme une chose ? C’est un discours qui a longtemps dominé 626 . A la psychologie des bilans on opposait la simple écoute de la parole, plus respectueuse du sujet. Autrui, sujet dans l’écoute, chose dans le bilan. Il suffit de s’arrêter un instant sur ces deux affirmations pour s’apercevoir qu’elles sont tout aussi aisément renversables. En face de quelques psychologues testeurs réduisant le sujet à un animal machine, n’aurait-on pu mettre autant de prétendus psychanalystes dont le « cause toujours », niait tout autant l’autre qui leur « tendait le dos ».
Est-ce le rejet du « psycho-bable » ou l’arrivée des neuro-sciences, il semble bien que les tests retrouvent aujourd’hui un semblant de faveur. Les psychologues en récupèrent une identité perdue. En certains lieux, plus rien ne les différenciait du psychiatre ou de l’infirmier. Le recours à une évaluation répond aussi au besoin de mettre d’un peu de clarté dans un monde de discours brumeux. Le bilan psychologique constitue souvent aujourd’hui pour les parents une précaution préalable à la décision d’entrer dans une thérapie. De même beaucoup de préadolescents et adolescents n'acceptent de rencontrer un psychologue que pour un acte de ce type dont le cadre est bien délimité. Le jeune perçoit cette démarche de bilan comme moins traumatisante, plus proche de l'examen scolaire qu'il connaît bien. Plutôt qu’une démarche aliénante ou intrusive, le testing est perçu, grâce à la présence prégnante du matériel, à la rigidité de son administration, comme plus neutre, mettant à l’abri d'un engagement relationnel trop fort, et/ou d'une effraction de son intériorité. Pour toutes ces raisons le test convient assez bien à tous ces sujets méfiants, hésitants, pas prêts à s'engager dans une démarche dont ils craignent ne pas garder le contrôle, et dont ils évaluent mal la durée et l'impact.
Il y a plusieurs façons de conduire une évaluation. Nous parlerons d’abord de l’évaluation « métrique ». Elle s’appuie sur des tests standardisés. Elle a ses limites. Comme il n’est pas facile de faire entrer le tout de l’être humain dans des grilles de mesure, une évaluation métrique, c’est à dire précise, n’est possible que dans les domaines évaluables métriquement ; trivialement : là où on a été capable de fabriquer le matériel adéquat. Un point positif pour le psychologue scolaire : c’est dans le domaine de l’évaluation cognitive – intelligence, mémoire, apprentissages- que l’on dispose de ces tests fiables. Or le cognitif est presque toujours au premier plan de son questionnement car il joue un rôle primordial à l’école. Même s’il doit toujours le re-situer dans le cadre du fonctionnement psychique global.
Dans ce chapitre, nous allons défendre la place de l’évaluation dans la rencontre psychologique ; en psychologie scolaire, mais pas seulement. Partant d’une conception traditionnelle, psychométrique, de l’évaluation, et d’un domaine, le cognitif où elle est la plus adaptée, nous approfondirons notre réflexion en direction d’une pratique clinique interactive. Une partie de ce chapitre sera consacrée à une clinique du fonctionnement mental qui, dans le prolongement des travaux de Vica Shentoub et Simone Bourgès pour une part, et de Jean Guillaumin et Elsa Schmid-Kitsikis pour une autre part, vise à analyser -dépister et en même temps faire apparaître- les aspects dynamiques du fonctionnement psychique. A nos yeux s’il est important d’évaluer l’état psychologique d’un sujet, plus encore compte la mise au jour et/ou le déclenchement de ses mouvements psychiques. Tout comme Jean Piaget avait fait faire un grand progrès à la psychologie, sur le plan purement cognitif, en mettant l’accent sur la nature opérative de l’intelligence, rejetant alors un peu vite la portée des savoirs, de même aujourd’hui, il nous apparaît primordial d’aborder l’analyse du fonctionnement mental d’un point de vue dynamique, et dans sa globalité cette fois, en essayant de faire apparaître ces mouvements ( incluant les mouvements affectifs, investissements, conflits…) et leurs liens, aussi bien du point de vue intra psychique qu’inter psychique.
Mais avant d’en venir à ces analyses, il nous paraît nécessaire d’opérer un bref retour en arrière, et de revenir sur quelques moments critiques de l’histoire de l’évaluation et des tests, au sein de la psychologie française. Cette chronique est nécessaire pour éclairer la persistance latente dans la pensée psychologique actuelle de préjugés à l’encontre de l’évaluation psychologique.
En France essentiellement des années soixante jusqu’à hier. Voir la première partie, et le reproche de totalitarisme voire de «fascisme”adressé à la psychologie.