Le dépistage des déficiences.

Aussi regrettable soit-il d’enfermer l’action du psychologue scolaire dans l’enseignement spécialisé, il est de fait que pour la plupart d’entre eux c’est une priorité obligée.

On se rappellera sans doute que les recherches de Binet-Simon furent menées pour répondre à ce problème majeur posé à l’instruction publique de l’époque. Ce problème n’a pas disparu avec le siècle. La loi du 15 avril 1909 créa des ‘«’ ‘ classes de perfectionnement annexées aux écoles élémentaires publiques »,’ ainsi que des ‘«’ ‘ écoles autonomes de perfectionnement »’ destinées à fournir un enseignement adapté aux enfants « arriérés ». Aujourd’hui ces classes de perfectionnement devraient être remplacées 655 par des CLIS destinées à permettre l’intégration en milieu scolaire ordinaire d’enfants « handicapés ».

Qu’il s’agisse de l’admission dans les classes de perfectionnement, plus tard les S.E.S., ou dans des établissements relevant de la santé, un bilan psychologique a bientôt été réclamé, bilan qui vers la fin du XXème siècle a été de plus en plus de la charge des seuls psychologues scolaires, les cliniciens des C.M.P. et C.M.P.P. leur renvoyant cette tâche, pris qu’ils étaient, de plus en plus, par obligation ou par choix, dans leurs thérapies.

Le repérage des déficiences intellectuelles et la participation aux décisions d’orientation constituent de fait une part importante (la plus importante dans certains secteurs) du travail du psychologue scolaire. 656 Ces évaluations s’inscrivent dans un processus, comme on l’a vu pour Ernest.

En voici un autre exemple.

Agathe, signalée en maternelle, en début de section de grands, pour des difficultés de compréhension. Elle est née d’une rencontre sans lendemain. Sa maman vit seule, occupe un emploi non qualifié, salissant et fatigant, dans une imprimerie. Une assez jolie figure, des mains très abîmées. Elle a du mal à s’exprimer, avec peu de mots et quelques paroles crues qui surprennent. Plusieurs malentendus se produisent au cours de notre échange. Aucune manifestation d’émotion, même quand elle parle des difficultés qu’elle a traversé dans sa jeunesse ou après la naissance de son enfant. Très visiblement sur la défensive et même méfiante à mon égard, mais acceptant mon intervention car elle a une grande confiance en l’institutrice, avec qui elle s’attarde souvent, et qui l’a conseillée.
Quand je vois Agathe, je suis surpris par son apparence qui contraste avec ce que je m’étais imaginé. Une fillette à l’aspect soigné, vêtue à la manière très
«  bourgeoise » petit col blanc, et mocassins bleus à boucle, longs cheveux blonds, yeux bleus, et un large front. Une apparence qui la valorise, mais qui va d’autant plus contraster avec ses difficultés de compréhension. Ses échecs sont constants et répétés à ce premier test d’intelligence passé en maternelle, l’échelle de Wechsler pour l’enseignement préélémentaire (WPPSI). Son Q.I. Global est de .67, avec un Q.I. Performance de .68 (4-6-4-6-5) et un Q.I. Verbal de .70 (5-7-5-6-4). L’homogénéité des résultats va dans le sens d’un retard réel de développement. Par ailleurs notre échange n’est jamais vivant. Rien ne semble en mesure de l’animer, ni quand je reviens sur l’histoire qu’elle dit préférer, ni quand j’essaie d’inventer avec elle une petite histoire simple, en dessinant pour elle ou en jouant avec elle avec des personnages de playmobiles. Bien que l’évaluation nous laisse assez pessimistes sur la possibilité d’une amélioration significative de son fonctionnement mental, nous allons, avec l’aide du réseau d’aides, essayer de mettre en place des conditions favorables à son évolution. Nous proposons de l’envoyer au C.M.P.P où elle sera suivie dans un groupe d’orientation psychodramatique. D’autre part elle sera prise dans le petit groupe de soutien au langage que nous allons mettre en place à la maternelle. Compte tenu de son niveau de développement – exprimé en âge il correspond à un âge mental inférieur à 4 ans tant en verbal qu’en performance, soit un retard d’environ un an et demi par rapport à son âge réel - on va proposer dans une rencontre mère, institutrice, psychologue, de faire passer l’acceptation d’un maintien en maternelle, en expliquant qu’on mettra à profit ce maintien pour la soutenir plus activement. La maman accepte, subit plutôt.
Dans les deux années suivantes Agathe sera suivie de loin en loin par moi, plus étroitement par le réseau. Elle sera soutenue de manière importante en C.P. Elle arrive à déchiffrer, mais les problèmes de compréhension subsistent. Elle passe tant bien que mal au CE 1 où, malgré un travail et une application soulignés par son institutrice, son niveau scolaire évolue peu. Vers les vacances de Pâques on décide que je ferai une nouvelle évaluation, en vue d’une éventuelle proposition d’orientation en classe spécialisée. Son deuxième test d’intelligence passé trois ans après le premier, le WISC III, donne des résultats assez voisins, un Q.I. total de .65 avec un Q.I. verbal de .71 (5-3-5-6-7) et un Q.I. de performance de .67 (5-7-5-4-3). Son niveau scolaire a peu évolué depuis la fin du CP. Et je ne vois pas comment elle ne serait pas perdu en CE 2. Agathe s’applique visiblement. Elle est soucieuse. L’échange reste très pauvre et je n’arrive pas à l’animer, tant dans les épreuves plus cognitives, que dans l’entretien où nous parlons de sa vie à la maison, de ses copines, ou encore quand j’essaie d’ouvrir sur son imaginaire : inventer une histoire à partir de dessins faits ensemble, échanger sur sa chanteuse préférée, imaginer ce qui pourrait arriver à son personnage préféré de dessin animé à la suite de l’épisode vu la veille. Elle reste très factuelle, n’arrive pas se dégager de la simple énumération. Elle peut restituer des savoirs, mais à aucun moment, quel que soit le domaine, elle paraît capable de faire preuve de mobilité ou d’ouverture psychique. La collègue du réseau qui l’a suivie longtemps confirme ce jugement. C’est donc la proposition d’une entrée en classe spécialisée qui va être présentée par l’équipe à la maman. Cette fois la mère d’Agathe refusera cette orientation qu’elle acceptera l’année suivante après une année difficile de CE 2.

Si l’évaluation des capacités intellectuelles permet de repérer les retards marqués - les contraintes qu’ils font peser sur les apprentissages - et de mettre en place un enseignement adapté aux spécificités intellectuelles de l’enfant, il arrive à l’inverse qu’elle révèle des potentialités réelles mais ignorées. Il est important pour l’enseignant et les parents d’écarter l’hypothèse d’un retard ou de manques spécifiques. L’évaluation sert aussi à cela.

Notes
655.

En réalité cette transformation des classes de perfectionnement en CLIS a été longue et difficile pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons tout-à-l’heure. Disons déjà que les classes de perfectionnement avaient progressivement élargi leur recrutement vers le haut ( comme l’a montré tout à l’heure le cas d’Ernest).

656.

«La participation du psychologue aux travaux des commissions de l’éducation spéciale peut être utile dans un certain nombre de cas. Elle est obligatoire dans le cadre institutionnel”. Même circulaire, en 2.2.