Evaluation de troubles spécifiques

Il y a d’autres cas où, la solution reposant sur la bonne orientation vers une aide appropriée hors du milieu scolaire, il importe que le psychologue scolaire soit capable d’effectuer une évaluation précise et suffisamment exhaustive et d’établir un diagnostic juste. Cela suppose qu’il ait des connaissances suffisantes en psychopathologie et en neuro-psychologie.

Il doit par exemple être capable de dépister une dyslexie. Le développement récent de la neuro-psychologie cognitive conduit parfois ses nouveaux prosélytes à considérer la dyslexie comme une découverte récente qu’ils seraient les seuls capables de repérer. D’où une accusation récurrente portée contre les psychologues scolaires. Je cite : ‘«’ ‘ Ce sont ces derniers qui sont le maillon faible de la chaîne chargée de dépister les dyslexies. Ils ne sont pas au point sur les troubles du langage. Beaucoup pensent encore que les facteurs psychologiques sont les seuls en cause. Et ils sont souvent responsables de l’orientation des dyslexiques dans des classes de perfectionnement pour enfants inadaptés ou issus de milieux à problèmes ’» 660 .

Nous avons nous-mêmes dénoncé ces dérives de la psychologie scolaire. Mais quand on parle de l’orientation des dyslexiques dans les classes de perfectionnement il faudrait être plus précis. Rappeler que dans nos pays développés 20 à 25 % des enfants présentent des difficultés d’apprentissage de la lecture. Que ces difficultés ont des conséquences telles que, si elles ont entraîné parfois des orientations en classe de perfectionnement, celles-ci étaient peut-être tout à fait justifiées 661 . Mais qu’il est peu probable que des ‘«’ ‘ dyslexiques purs ’» au sens étroit où on l’entend aient été orientés en classe spécialisée, le recrutement dans ces classes s’étant toujours fait sur la base de tests intellectuels.

Contrairement à ce qui est affirmé de manière récurrente par certains jeunes neuro-psychologues, la dyslexie n’est pas une découverte récente. Son existence est connue depuis longtemps par les psychologues scolaires. 662 Mais une chose est le diagnostic, autre chose la possibilité de traiter le trouble.

Raymond. Enfant de milieu assez modeste d’une vallée isolée. Beaucoup de cas de dyslexie dans la famille. Le papa est un «  taiseux », il ne vient à l’école qu’avec réticence et un fort sentiment de malaise. C’est moi qui me suis rendu dans leur chalet. Dans ce hameau isolé d’une vallée où l’on se souvient comme si c’était hier d’avoir repoussé « manu militari” les «  républicains », on considère plus qu’ailleurs l’école de la république avec méfiance. Heureusement une superbe institutrice est arrivée il y a plusieurs années et a conquis le village. Le papa de Raymond est sous le charme comme les autres. Mais c’est difficile pour lui de la rencontrer, il a des difficultés réelles pour s’exprimer et un vécu d’échec dans cette école. C’est un homme qui ne dit pas, mais c’est un homme qui fait, qui s’engage. Cet homme simple s’investit beaucoup dans l’action «  humanitaire » catholique.
Après notre rencontre, chez eux, j’ai donc vu son garçon. L’institutrice, pense que l’aménagement de sa pédagogie ne suffira pas à permettre de monter la lecture. Elle a déjà pensé à une rééducation orthophonique, mais les troubles de Raymond sont multiples. C’est pourquoi elle a demandé que je fasse un bilan. Les résultats aux épreuves d’intelligence sont limites et tout ce qui est verbal est particulièrement échoué. Il paraît assez bien comprendre, mais à l’expression, son vocabulaire est pauvre, il prononce mal, a du mal à répéter les mots un peu longs, parle en langage télégraphique,
«  a-syntaxique », sans mots de liaison. Il est aussi maladroit, et assez dysgraphique. Devant l’importance des troubles, je conseille donc aux parents de voir l’orthophoniste du canton, pour un examen plus complet du langage, également je recommande un report de l’entrée au C.P..
Le maintien en section enfantine a été refusé
663 mais la rééducation sera menée régulièrement, même quand les routes étaient enneigées.. Malgré la poursuite de cette rééducation sur plusieurs années, Raymond présentera de très grosses difficultés à monter la lecture et de ce fait accumulera un retard croissant des apprentissages. A l’époque il y avait au chef-lieu une classe de perfectionnement, aussi vers sa dixième année nous sommes nous posé la question, avec l’institutrice et les parents, d’y orienter Raymond, éventualité que nous avons écarté, le bénéfice par rapport à sa classe unique étant minime. Au long de nos rencontres en dialoguant avec les parents, j’appris que beaucoup de cousins du coté paternel avaient présenté des difficultés sévères d’apprentissage de la lecture. Il y avait dans ces cousins un montagnard célèbre, bon matheux, mais qui avait traîné toute sa scolarité des difficultés de lecture.
Quoique qu’on puisse penser des réels problèmes relationnels de Raymond, il n’y a jamais eu de doute pour nous sur l’existence d’une
«  vraie » dyslexie chez lui. Pour autant, la mise en place d’une rééducation soutenue ne lui a pas permis de dépasser suffisamment ses troubles pour suivre normalement 664 . Ferait-on différemment aujourd’hui ? Peut-être avec l’appui d’un centre spécialisé, la rééducation serait-elle conduite autrement 665  ? Une classe spécialisée pour enfants dyslexiques, forcément dans une agglomération éloignée, avec obligation de l’internat ou d’une famille d’accueil n’aurait-elle pas présenté pour l’équilibre de cet enfant là et de cette famille là plus d’inconvénients que d’avantages. 666  

Nous rapporterons plus loin d’autres histoires montrant l’importance de l’évaluation. Dans certaines l’évaluation a réellement fourni un éclairage nouveau de la situation, sur des ressources inattendues, mais parfois aussi en révélant des contraintes insoupçonnées jusque là. Dans d’autres l’évaluation n’a fait que confirmer ce que l’on soupçonnait. Mais ce n’est pas rien. Voilà pourquoi la nécessité d’effectuer une évaluation est présentée comme une des conditions -non catégorique et rédhibitoire- que je pose à mon intervention comme psychologue scolaire.

Devant certains refus d’évaluation, je suis amené à prévenir les parents ou l'instituteur, ceux qui font la demande, que les conditions de mon intervention s’en trouveront modifiées et que c'est avec eux seulement que je pourrai travailler, sur les représentations qu'ils se font de l'enfant et de ses difficultés. On peut certes faire un travail psychologique sur ces représentations, mais on se place alors dans une zone incertaine quant aux conditions d’intervention. Pour un psychologue scolaire, un travail efficace, même si au bout du compte c’est sur les parents ou l’enseignant qu’il faudra agir, repose sur une évaluation complète des problèmes décrits, dans leur réalité.

Notes
660.

Mme M. Piazza, neuropsychologue spécialisée dans le dépistage de la dyslexie à la Pitié-Salpëtrière, dans Science et Avenir de Nov. 1998, p.52.

661.

Aujourd’hui où elles disparaissent on découvre qu’elles fournissaient des espaces qui n’ont pas été remplacés pour individualiser notre enseignement.

662.

C’est un psychologue scolaire P. Lefavrais qui a élaboré le test de l’Alouette en 1965.

663.

Les conséquences en ont été limitées étant donné qu’il s’agissait d’une classe unique.

664.

Plus tard il a suivi la voie de l’apprentissage et est entré dans l’entreprise où travaillait son père.

665.

Mais je ne suis pas encore convaicu que la sophistication des nouveaux modèles ait entrainé une amélioration des techniques de rééducation.

666.

J’ai un autre exemple, Achille, enfant très attachant, plus intelligent que la moyenne (Q.I. 118), avec des parents ouverts, réfléchis et étayant. Malgré une rééducation orthophonique menée dans les règles, Achille n’en a pas moins échoué à monter une lecture et une orthographe de niveau suffisant. Il a dû abandonner la voie « royale » et passer par la voie de l’apprentissage. Une dizaine d’années plus tard il a ouvert un restaurant aujourd’hui réputé.