De l’évaluation du niveau scolaire.

Nous avons vu pourquoi, pour l’enfant, sans doute plus que pour l’adulte, une évaluation extérieure est nécessaire, parce que l’enfant manque de la capacité de faire sa propre évaluation, d’évaluer ses manques et même ses souffrances. En outre il arrive souvent aujourd’hui que même les parents soient désarmés quant au jugement à porter sur les résultats scolaires de leur enfant. Même des parents motivés et attentifs ont parfois du mal à s’en faire une idée précise à travers ce que leur renvoie parfois l’école. A la recherche d’une évaluation claire et compréhensible, ils viennent la réclamer au psychologue scolaire. C’est un fait que, malgré sa présence envahissante dans le discours de l’institution, l’évaluation utile, égarée entre « évaluation formative » et « évaluation diagnostique », a disparu de certaines écoles. Après l’ostracisme dont a été frappée la notation traditionnelle, sans doute critiquable dans ses excès, mais compréhensible par tous, même des parents cultivés ont eu du mal à se repérer dans les nouvelles grilles d’évaluation. Comment par exemple des parents pourraient-ils se guider quand les niveaux d’apprentissage sont exprimés en termes d’objectifs souvent très généraux 667 et dont on leur dira le plus souvent qu’ils sont « en voie d’acquisition »? Autrefois on vous disait : qu’il ne savait pas faire les soustractions à retenue, qu’il ne connaissait pas ses tables, et les parents pouvaient essayer d’y remédier. Mais qui se sent capable d’aider son fils à atteindre des objectifs si généraux, qu’on pourrait toujours douter de les avoir jamais atteints. Certes, à côté de ces objectifs généraux et difficiles à évaluer, il y avait heureusement des objectifs plus précis comme distinguer a/à, et/est, on/ont, mais tout cela était mélangé et présenté dans un jargon de spécialiste interdisant aux parents de s’y retrouver, excluant particulièrement les gens simples. Si l’on ajoute que ces objectifs sont fixés pour une durée longue, celle d’un cycle, chaque cycle durant trois ans, les parents manquent aussi des repères temporels de la progression. Autrefois on s’attendait à ce qu’à la fin du cours préparatoire, son enfant sache lire 668 . Aujourd’hui il est plus difficile de savoir à quel moment on doit vraiment s’inquiéter. 669

Quoiqu’il en soit les parents se sentent souvent désemparés et réclament plus souvent l’avis d’un « expert » extérieur - un médiateur ou un traducteur si l’on veut-. Ajoutons que les tests scolaires ont un degré d’objectivité supérieur aux évaluations faites par les enseignants eux-mêmes 670 . D’une école à l’autre, d’un quartier à l’autre, le niveau d’exigence et l’interprétation des objectifs, sont variables. Même lors d’un contrôle, même en mathématiques où l'évaluation semble la plus facile, les problèmes sont de structure et de difficulté variées. Quelle est alors la valeur de la note totale, et celle des différences entre les notes des différents élèves. L’intérêt du test scolaire est par contre d’être standardisé, étalonné au niveau national, les normes pour la notation ou l'interprétation des réponses sont claires et précises. C'est possible parce que le test a été élaboré à partir d'un travail important d'étalonnage. 671

Voilà André. Ses parents s’interrogent, la maman surtout. Elle est infirmière de l’autre côté de la frontière. Comme la plupart des mères c’est elle qui s’occupe des leçons et des relations avec l’école. Le père lui n’a jamais été très scolaire. Sa mère trouve qu’ André lit mal. Elle s’attendait d’ailleurs à ce qu’en fin de cycle II on lui propose le redoublement. L’enseignant lui a dit que si l’on maintenait André, il faudrait maintenir la moitié de la classe… La maman s’est accommodée de cette réponse. André arrive en fin de cycle III, il va devoir partir au collège, il lit toujours très mal, et on ne lui parle toujours pas de maintien. Elle me demande de faire un bilan scolaire. On ne détaillera pas ici les raisons institutionnelles et celles propres à l’école qui ont fait qu’on n’a pas proposé aux parents le maintien à la fin du cycle II 672 (dans son cas c’est le C.P. qu’il aurait dû «  redoubler » et avec une rééducation orthophonique soutenue), puis qu’on l’a laissé filer en se disant les années suivantes qu’à présent ça ne servait plus à rien.

A travers ces quelques histoires de cas nous espérons avoir montré la place et l’intérêt de l’évaluation pour le psychologue implanté dans le dispositif scolaire. L’évaluation sous sa forme la plus simple y est déjà nécessaire, surtout quand l’institution fonctionne mal ou quand elle parle un langage ésotérique. On attend là d’abord qu’une évaluation soit précise, claire, objective. C’est justement l’intérêt de la psychométrie de fournir des instruments fiables, et particulièrement dans les domaines qui concernent de près le psychologue scolaire, car mobilisés particulièrement dans l’enseignement. Evaluer la rapidité d’un raisonnement, la justesse d’un calcul, l’étendue des savoirs, la maîtrise des algorithmes et des heuristiques, c’est ce que le psychologue scolaire peut faire et c’est ce qu’on attend de lui. A juste raison. Mais parce qu’il est un psychologue, que l’objet de son intérêt est le fonctionnement mental global, on comprend que la question de l’évaluation l’amène à dépasser le simple bilan psychométrique, pour rejoindre la clinique la plus complexe. Peut-être l’a-t-on déjà pressenti à travers l’évocation de quelques cas. L’évaluation apporte des éléments objectifs et fiables à l’analyse d’une situation ; c’est déjà beaucoup ; mais son intérêt est de s’inscrire dans une dynamique interactive, dont la prise en compte l’enrichit.

Après avoir souligné l’intérêt de disposer d’une évaluation objective la plus précise possible, et par là défendu le point de vue de la « psychométrie », il est temps pour nous de voir ce que le regard « latéral » sur la dynamique de l’évaluation apporte à la compréhension du fonctionnement psychique, menant à son terme une approche intégralement clinique.

Notes
667.

Par exemple, l'enfant «sera capable de mener un travail à son terme”... Ou dans le domaine de la langue : « l'enfant doit pouvoir : organiser logiquement son propos pour traduire et commenter ses action, ses attitudes et ses productions etc..”. Dans le domaine des mathématiques, il doit être capable d’ «analyser des problèmes de recherches simples ; - choisir les données nécessaires à leur résolution ; - mobiliser les connaissances déjà acquises ; - exposer clairement le résultat”. Les objectifs cités ici sont tirés des «Programmes de l’école primaire”, CNDP, Paris, 1995. Les nouveaux programmes (CNDP/XO Editions, 2002) sont plus précis («On a beaucoup parlé d’évaluation ces dernières années. Mais qu’évaluait-on ? On le saura mieux maintenant”déclare le ministre J. Lang dans sa préface, p.12).

668.

On avait d’ailleurs des manuels qui permettaient de vérifier où son enfant en était dans sa progression. Les parents avaient eu souvent les mêmes. Il arrive aujourdhui que les manuels soient remplacés par de mauvaises photocopies de pages de manuels variés et divers.

669.

On pourrait parfois se demander si le but recherché n’est pas d’entretenir le flou sur ce que doit réellement savoir l’enfant. J.P. Le Goff affirme c’est pour servir « le contrôle social » que le discours de l’évaluation est passé de l'entreprise à l’école ( « La Barbarie douce. La modernisation aveugle des entreprises et de l'école », La Découverte, Paris, 1999). En réalité, à l’école, le jargon de l’évaluation –au demeurant pas si « psychologisant » qu’il le dit-, sert surtout à empêcher toute évaluation précise et compréhensible par tous. Peut-être sert-il la machine elle-même, mais ni les parents, ni le ministre, ni le grand capital ne contrôlent plus quoi que ce soit depuis longtemps.

670.

Une des questions posées par les tests scolaires est celle de leur validité compte-tenu des changements dans les programmes et les horaires. Il n’est cependnt pas sans intérêt de conserver des épreuves anciennes, elles permettent l’évaluation non pas de tel élève particulier mais de l’exigence de qualité du système.

671.

Mais évidemment aucun psychologue scolaire ne connaît autant de choses qu’un bon enseignant sur le niveau d’apprentissage de chacun de ses élèves. Ce dernier n’effectue qu’un contrôle, mais ce contrôle est parfois nécessaire.

672.

La règle imposée parfois avec rigidité aux enseignants par certains inspecteurs, c’est qu’il n’y a plus de redoublement, mais un maintien dans le cycle. Le cycle des apprentissages fondamentaux comporte trois classes : la grande section de maternelle, le cours préparatoire, et le cours élémentaire 1ère année. Autrefois on apprenait à lire au C.P.. Aujourdhui on est censé apprendre à lire tout au long du cycle (et même ne manque-t-on pas de dire tout au long de la scolarité). Le problème est que c’est toujours au cours préparatoire qu’est mené un apprentissage méthodique de la lecture. Pour les enfants qui n’ont pas acquis les bases élémentaires du déchiffrage, le CE1 offre rarement les conditions de cet apprentissage méthodique. Dans ce cas que leur apporterait le maintien dans cette classe. C’est sans doute ce qui a valu à André de poursuivre sans redoublement ni maintien, mais pas sans difficulté.