L’examen progressif

De René Zazzo, qui fut le vrai père de la psychologie scolaire en France, il faut d’abord rappeler qu’à coté de ses fonctions de chercheur, il voulut toujours maintenir une activité de clinicien à Henri-Rouselle. Pour G. Mialaret, ‘«’ ‘ Zazzo était l’exemple même du scientifique qui savait allier la rigueur de l’observation, la finesse de l’analyse et la perspicacité de l’interprétation. Pour lui, la question du qualitatif et du quantitatif ne se posait pas, puisque constamment on passait dialectiquement de l’une à l’autre ’» 698 . S. Ionescu rappelle 699 que la clinique selon Zazzo, impliquait quatre choses : un diagnostic progressif, l'association de la rigueur 700 et du sens clinique, un travail d'équipe, et le lien avec la recherche.

Le diagnostic selon R. Zazzo est progressif, quand le clinicien ‘«’ ‘  avance pas à pas, sans programme fixé à l’avance ’», et en guidant le choix des tests successifs sur les réponses données par l’enfant C'est une méthode  alternative à ‘«’ ‘ l'utilisation d'une batterie d'épreuves préalablement établie »’, stratégie qui ‘«’ ‘ semble présenter un maximum de rigueur mais c’est une rigueur sans grande souplesse ’».(…)‘»’ ‘ La rigueur n’est pas automatisme. Elle est intelligence, circonspection pour reprendre les termes employés par Binet lui-même »’ 701 . Pour S. Ionescu, c’est ainsi que Zazzo arrivait à conjuguer les deux qualités nécessaires au psychologue, la rigueur et la finesse 702 .

On trouve dans le manuel de la NEMI un exemple de ce type de progression diagnostique. C’est un mode opératoire très fréquemment rencontré en psychologie scolaire. Aussi le citons-nous largement :

‘«’ ‘ Ainsi nous voulons comprendre un échec scolaire. Nous commençons par appliquer notre test d’intelligence. Le résultat de ce test est le constat de base, et qu’il s’agit d’expliquer. Il est rare, nous l’avons déjà dit, que ce constat soit d’une interprétation univoque. L’analyse du constat permet cependant, comme nous en avons fait la démonstration, de privilégier une ou deux hypothèses. Il s’agit alors d’éprouver ces hypothèses : par exemple la déficience constatée n’est pas attribuable, semble-t-il, à une véritable insuffisance intellectuelle mais à un trouble grave du caractère ou à un trouble du langage. Nous éprouvons par des moyens adéquats l’hypothèse ’ ‘«’ ‘ trouble du langage » qui nous paraît la plus probable. L’hypothèse est infirmée mais au cours de cette seconde phase de l’examen nous recueillons des informations, nous notons des signes qui précisent l’hypothèse ’ ‘«’ ‘ troubles du caractère ». Nous passons alors à la vérification de cette hypothèse avec telle épreuve, puis éventuellement avec telle autre. Petit à petit, grâce à diverses épreuves (tests, questionnaires, enquêtes) le champ des hypothèses se rétrécit jusqu’au moment où nous considérons que nous avons compris ou qu’il n’est pas possible d’aller plus loin dans la précision du diagnostic »’ 703 .

Chez R. Zazzo, comme chez A. Rey, nous avons trouvé la même tentative d’essayer de satisfaire à l’exigence clinique en conciliant rigueur et souplesse, la rigueur par le recours à des tests standardisés, la souplesse 704 dans la conduite de l’examen progressivement orienté vers la singularité du sujet. Ces pratiques ont légitimement le droit à s’affirmer comme « cliniques ». Cependant on doit remarquer qu’ici seul le psychologue est le « patron » responsable de cette modulation de l’examen. La souplesse chez Zazzo se limite au choix de l’épreuve suivante, et seul le psychologue sait qu’il s’agit d’une réponse à la production antérieure du sujet. Quant au sujet le sens de cette inter-action lui échappe le plus souvent.C’est le psychologue qui supervise l’observation et transporte le sujet ici et là en fonction de ses réactions, toujours dans l’objectif fixé. Il surplombe de manière neutre et détachée l’examen. 705 C’est ainsi que les tenants de l’objectivité psychométrique et des épreuves standardisées tentent de répondre aux exigences de la clinique. Avec ce type d’épreuves, c’est une façon de faire, et très utile, mais dont la profondeur est limitée.

Notes
698.

G. Mialaret «Quelques souvenirs personnels sur les débuts de la psychologie scolaire en France”, «Psychologie et Education”, n°41, Juin 2000, p. 17-26. Erès, Toulouse. On trouve ces lignes à la page 20. Il poursuit à la page suivante : «Et il n’oubliait pas que la fonction essentielle des psychologues scolaires n’était pas de transporter dans l’école le travail du laboratoire, mais d’étudier in vivo les problèmes de l’école. Il répétait que le psychologue scolaire n’avait pas de problèmes qui lui étaient propres mais que ses problèmes étaient ceux de l’école, des enfants et des enseignants”.

699.

S. Ionescu : «René Zazzo et la psychologie clinique”, « Enfances”, 2/96, n° spécial d’hommage à René Zazzo.

700.

Même pour Zazzo, il s’agit d’une rigueur relative. Quant à nous, nous avons suffisamment souligné les dangers de la science quand elle prétend régir les relations humaines pour que l’on comprenne que nous nous félicitions de cette indigence.

701.

1966, «Nouvelle échelle métrique de l’intelligence”, t. 1, p.184-185.

702.

C’est une clinique un peu sèche que celle dont la souplesse se limite au cheminement dans le graphe des tests. En réalité la démarche clinique de R. Zazzo va plus loin En conclusion de sa « Nouvelle échelle métrique de l’intelligence », il dit que : « Le diagnostic progressif par quoi nous allons du constat à l’interprétation est une démarche qui exige, elle aussi, beaucoup de rigueur. Mais la rigueur n’est pas automatisme. Elle est intelligence, circonspection, érudition pour reprendre les termes employés par Binet lui-même quand, dans les « Idées Modernes sur les Enfants », il décrivait pour la dernière fois la pratique des tests ( p. 185, A. Colin, 1966).

703.

Idem.

704.

Cette idée de maintenir le maximum de souplesse va nous apparaître de plus en plus comme une règle pratique capitale pour la conduite de l’évaluation psychologique, dès lors qu’on pense que le plus important dans le fonctionnement psychique c’est le mouvement.

705.

Une remarque sur le diagnostic progressif. Elle peut receler un piège. Il y a un plaisir narcissique à vérifier son diagnostic. Le risque c’est de plus attendre du sujet qui me fait face qu’il me surprenne, mais uniquement qu’il confirme ma prévision. Le risque est grand surtout chez les psychologues expérimentés, qui peuvent faire trop confiance à leur une bonne « vista ».