Un deuxième temps pour la clinique.

Une autre façon de concilier rigueur et finesse est de faire un examen en deux temps. Un temps standardisé, et un deuxième temps pour une clinique plus interactive. C’est la sorte de compromis proposé par A. Rey. qui nous invitait à revenir après coup avec le sujet, dans un dialogue plus libre, sur tout ou partie de ses réponses aux épreuves standardisées. Il faisait ainsi suivre son ‘«’ ‘ analyse expérimentale progressive »’ d’un temps « clinique » de dialogue lui permettant de mieux comprendre la démarche intellectuelle du sujet. Qu’une réponse soit juste ou erronée, elle peut avoir été obtenue par des cheminements multiples et donc une réponse à un test standardisé doit toujours être considérée comme pouvant avoir plusieurs sens 706 . Le sujet peut avoir utilisé des stratégies de recherche différentes, indépendamment même des aspects interactionnels, de la mobilisation, sur lesquels on peut aussi revenir en les faisant varier. L’intéressant est de pouvoir réduire cette polyvalence. Durant le test donc, les consignes standardisés seront absolument respectées. Mais une fois le résultat engrangé, le psychologue peut répéter l'épreuve avec certaines modifications ou analyser avec le sujet comment il s'y est pris pour arriver au résultat. Il est par exemple presque toujours fructueux de revenir sur les épreuves d'arithmétique du W.I.S.C. III 707 . Dans une perspective moins cognitive et plus projective, il faut aussi interroger (hors notation toujours) certaines réponses surprenantes des épreuves de compréhension ou de vocabulaire. Ou même de l’arrangement d’images, pour lequel il est toujours utile de faire raconter l’histoire dans les cas d’erreurs.

Une parenthèse. Une même réponse chez différents sujets, ou chez le même sujet à des moments différents, peut avoir, disions-nous, de multiples significations, et résulter de cheminements variés. Disposer d’une grille d’analyse qui permette de passer en revue les causes susceptibles d’expliquer un échec, peut être très utile. D’où l’intérêt de conduire le temps de l’analyse avec en tête une grille du type de celle de Feuerstein 708 . Cette grille d’analyse constitue un aide-mémoire utile quant aux questions à se poser et aux éléments à prendre en compte dans l'évaluation d’une réponse. Nous l’utilisons souvent dans les analyses que nous effectuons avec les enseignants. On se demandera par exemple à quel moment l’erreur s’est produite, au moment de l’énoncé du problème (le sujet était-il inattentif, envahi par d’autres préoccupations, a-t-il compris les mots, quelle représentation mentale se fait-il du problème etc) ; pendant les opérations mentales (dispose-t-il des « transformateurs » nécessaires, schèmes opératoires, algorithmes, heuristiques, etc.) 709  ; ou bien est-ce seulement la restitution de la solution qui a péché (par timidité » ou relâchement brutal du contrôle).

Jusqu’à présent nous avons étudié comment des psychologues essayaient d’approcher la singularité du fonctionnement cognitif d’un sujet, tout en maintenant le principe de l’utilisation d’épreuves standardisées. On peut aller plus loin dans l’interactivité, l’ajustement réciproque des questions du psychologue et des réponses du sujet. De A. Rey à Piaget la filiation s’impose.

Notes
706.

C’est l’interêt d’ouvrages comme ceux de J. Grégoire ou de S. Bourgès que d’ouvrir au clinicien des pistes de réflexion sur la pluralité de significations d’une réponse. Le premier analysant les facteurs intellectuels impliqués dans les différents subtests du W.I.S.C. La seconde ajoutant à l’analyse des facteurs cognitifs celle des facteurs affectifs. (J. Grégoire, «L’évaluation clinique de l’intelligence de l’enfant”, Bruxelles, Mardaga, 2000 pour la dernière édition ; S. Bourgès «Approche génétique et psychanalytique de l’enfant”, tome 1: «Choix et interprétation des épreuves”, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1998 pour la dernière édition).

707.

A l’item 14 par exemple, le sujet a-t-il fait 8*3, ou 8+8+8, et comment alors a-t-il traité cette addition?

708.

Lui-même s’inspirait d’A. Rey. Sur le P.E.I. et l’éducabilité cognitive en général, voir « Education permanente. Apprendre peut-il s’apprendre”, n° 88-89, 1987, Paris, et R. Debray « Apprendre à penser”, Paris Eshel, 1990.

709.

Cette étape étant la plus mentalisée, celle où le sujet ne peut toujours s’appuyer sur des supports extérieurs (cahier brouillon par exemple), c'est à cette étape tout particulièrement que les parasitages intérieurs, l'envahissement par les affects où les émotions peuvent être les plus destructeurs.C’est le point de souligner l’aide que l’écrit fournit à la mentalisation. En permettant de fixer les données, les orientations de recherche, les résultats provisoires, l’écrit (langage ou dessin) libère de l’espace mental, donc l’élargit indirectement.