Vers le sujet. S. Bourgès et l’intégration des aspects affectifs à l’analyse cognitive

L'apport propre de Simone Bourgès est d’avoir pointé certains des effets concrets de l'affectivité sur l’intelligence, fournissant par là-même des grilles d’analyse très utiles au praticien. Cependant elle ne s’intéresse pas tant aux aspects dynamiques –dynamisants ou paralysants – de l’inter-action entre le cognitif et l’affectif, qu’à leurs résultats. Elle s’est plus préoccupé du diagnostic que de l’interaction elle-même. D’une certaine façon, on pourrait dire qu’elle nous initie aux aspects projectifs des épreuves cognitives. Il existe des tests projectifs par vocation, qui visent en premier lieu à explorer l’affectivité, et dont nous examinerons tout à l’heure ce qu’ils ont apporté à la compréhension de la cognition, et au delà au fonctionnement mental dans son ensemble. Ce que S. Bourgès nous rappelle et nous aide à repérer c’est le rôle joué par les éléments affectifs et fantasmatiques dans les productions aux tests les plus intellectuels les plus neutres en apparence.

Dans la préface de son ouvrage le plus connu des praticiens, elle insiste sur les effets réductifs d’une approche segmentaire : ‘«’ ‘ Trop souvent l'interprétation omet de considérer qu'en faisant jouer, apparemment, une variable unique ou un nombre réduit de variables, un bon nombre d'autres facteurs s’intriquent, interviennent, demandent également à être interprétés.
Très schématiquement, on peut dire que tout test fait appel en des proportions variables à trois types de facteurs : les facteurs intellectuels, induits au minimum par la compréhension de la consigne et la coordination mentale entraînant la réponse ; les facteurs instrumentaux, induits par la participation plus ou moins importante du corps dans la réponse ; les facteurs affectifs, impliqués dans toute participation mentale ou physique induite par un stimulus dont l'impact varie en fonction de ce que, même apparemment neutre, il représente dans le monde imaginaire de l'enfant.’ » 716

Ce qu’elle apporte de nouveau à la compréhension du fonctionnement intellectuel, la mise en cause des troubles instrumentaux étant ancienne, c’est la prise en compte de l’impact des manifestations affectives sur le fonctionnement cognitif. Cet impact se repère surtout à l’effet inattendu qu’il produit. C’est un résultat insolite qui fait soupçonner l’émergence de l’affectivité. Par exemple : une forte réussite aux épreuves les plus abstraites du W.I.S.C. 717 , comme les Similitudes ou les Cubes de Kohs ‘«’ ‘  peut témoigner d'une recherche d'évitement de la réalité par intellectualisation, de type de psychotique s'il est confirmé par ailleurs, ou comme surinvestissement de la conceptualisation, de la logique, de type obsessionnel. Une chute peut indiquer une inhibition cristallisée sur la conceptualisation traduisant parfois une pseudo-débilité : le symptôme de débilisation signifie et évite à la fois le danger représenté par le fait de penser, comprendre, et la croissance intellectuelle. ’» p.91. Par contre une réussite surprenante au complètement d’images ‘«’ ‘  manifeste la vigilance, la recherche de contrôle de la réalité dans ses détails ’» (p. 99), etc..

‘Un exemple simple : Géraud est un enfant intelligent et qui réussit bien à l’école mais que l’instituteur trouve tout de même un peu trop renfermé, et dont la mère vient me voir parce qu’il lui apparaît de plus en plus préoccupé par des choses sans importance. Déjà le profil de ses résultats au WISC nous en apprend beaucoup sur les particularités de son fonctionnement intellectuel. Les résultats sont très hétérogènes. En verbal, les épreuves d’information, d’arithmétique et de similitudes sont très significativement supérieures à la moyenne. Si l’épreuve de vocabulaire est moins bien réussie ce n’est pas du fait de manques lexicaux, mais de son exigence excessive de précision qui, quand elle ne le bloque pas, l’embarque parfois dans une recherche de plus en plus abstraite. Sa tension physique devient alors très perceptible. En performances les résultats sont très nettement inférieurs, tout particulièrement l’arrangement d’images et l’assemblage d’objets. Le complètement d’images est nettement supérieur à la moyenne. Ce type de profil fait soupçonner une obsessionnalisation défensive et rigide du fonctionnement intellectuel. Malgré ses bons résultats scolaires, ces limites à la mobilité psychique, (l’entretien est marqué par l’énoncé de banalités et un évitement éperdu de l’imaginaire) sont préoccupantes. ’

Les épreuves d'intelligence qui proposent une grande variété de questions et de situations-problèmes, fournissent un terrain d'observation extrêmement vaste et dense des différents fonctionnements mentaux d'un enfant. L'interprétation « projective » des épreuves d'intelligence standards vient compléter utilement cette observation. Encore faut-il ne pas tomber dans l'excès inverse en ne les regardant plus qu’avec le regard du pathologiste et en n’y cherchant plus que les manifestations projectives. Les épreuves intellectuelles ne mobilisent pas qu’une pensée secondarisée certes. On le voit dans les fonctionnements repérés par S. Bourgès. Encore ne faut-il pas oublier ce que l’intelligence en elle-même apporte à la secondarisation de la pensée 718 . Un facteur important du développement de l'autonomie chez l'enfant vient justement de la place que cette pensée secondarisée occupe progressivement dans son fonctionnement mental. Ajoutons que quelle que soit l’autonomisation des processus les plus intellectuels, leur développement n’est pas moins soumise à différents aléas indépendants de tout conflit intra-subjectif.

Notes
716.

« Approche génétique et psychanalytique de l’enfant”, tome1 : « Choix et interprétation des épreuves”, page 11 

717.

S. Bourgès consacre de longues pages à l’analyse des facteurs intellectuels, instrumentaux et affectifs mobilisés dans la réussite, ou l’échec dans les différents tests du W.I.S.C. . Elle ne nous fournit pas les mêmes éléments de réflexion pour des tests de type Binet Simon, dont pourtant certaines épreuves mobilisent à l’évidence autant que des épreuves projectives les parties profondes de la personnalité. On aurait pu analyser avec profit les interprétations d’images selon leur «lisibilité”, comme V. Shentoub analysait l’interprétation des images du T.A.T.. (Voir plus loin).

718.

De même qu’on ne doit pas interpréter la pensée projective comme régie uniquement par le processus primaire. Ce que nous essayons sans cesse de démontrer c’est que c’est dans les interfaces que la vie psychique s’anime, que naissent les nouveautés.