Vers le sujet. Clinique et dynamique inter-psychique (J. Guillaumin)

Mais une clinique globale ne peut s’arrêter au repérage des mouvements intra-psychiques du sujet. L’intervention du psychologue ne peut être neutre. Une clinique vraie doit être attentive à une autre dynamique inhérente à la situation d’investigation psychologique, celle sur laquelle J. Guillaumin 719 , un des premiers, attira l’attention, la dynamique inter-psychique, mobilisée par les mouvements transférentiels -entre autres-, se produisant au long de l’intervention.

J. Guillaumin est, à notre connaissance, le premier psychologue français à avoir consacré un ouvrage entier à « La dynamique de l’examen psychologique », dans lequel il en éclairait les aspects interactifs essentiellement à partir d’apports issus de la psychanalyse et de la psychosociologie. Dans sa préface, Didier Anzieu, saluait cette rencontre d'un, comme lui, psychologue et psychanalyste, soulignant comment ces deux formations loin de s'exclure, se complétaient. Sans doute, les situations sont-elles différentes : ‘«’ ‘ il (J. Guillaumin) marque la différence entre cette situation au long cours qu’est une cure psychanalytique, et la brève et intense rencontre en face-à-face que constitue un entretien clinique complété par des tests de performance et de personnalité »’.

D. Anzieu soulignait alors la difficulté de la position du psychologue qui doit tenir le cap entre les deux écueils «  qui menacent son périple », celui d' » une technique marginale et rejetante », et celui d'une ‘«’ ‘ recherche fusionnelle protéiforme et floue »’. Mais il relevait aussitôt l’intérêt de cette position, cette ‘«’ ‘  tension dialectique entre la compréhension sympathique et la formulation rationnelle»’ 720 dont le livre de J. Guillaumin, disait-il, fournit la démonstration minutieuse. Pour peu que le psychologue veuille s'écarter d'une routine machinale, l'examen psychologique devient alors une tâche difficile certes mais incomparablement féconde, dont D. Anzieu trace ainsi les objectifs : ‘«’ ‘ Tache difficile mais féconde que d'établir le bilan psychologique d'une personne à un moment donné, bilan de ses ressources intérieures, de ses zones vulnérables, de ses lignes d'évolution ou de régression, de ses équilibres habituels, de ses possibilités de riposte aux situations inhabituelles, de ses risques d'effondrement, des types de partenaires qui lui sont nécessaires, stimulants, indifférents ou nocifs »’.

L'objectif de Jean Guillaumin dans son livre est d'enrichir et d’éclairer la clinique de l'examen psychologique, en allant, au-delà de l’interaction purement cognitive, 721 vers la prise en compte de la dynamique inter-subjective affective qui vient s’y tisser. Quand J. Guillaumin parle de dynamique, c'est en effet de « psycho-dynamique » qu'il s’agit, au sens de la conception freudienne du psychisme, mettant l’accent sur des mouvements, des pulsions, des oppositions, des conflits, de forces inconscientes 722 . Examinant, dans sa première partie l'approche objective de l'examen psychologique, Jean Guillaumin relève combien Alfred Binet lui-même était attentif aux effets de la relation sur les réponses au test. 723 et regrette que le succès même de ce test ait conduit tant d'utilisateurs à négliger ses analyses et la prudence qu'elles imposaient. Jean Guillaumin passe ensuite en revue les différents modèles de l'interaction, afin d’en tirer des éléments lui permettant d’éclairer la dynamique de l'examen psychologique. D'abord la psychanalyse et ce qu'elle nous a appris sur les mouvements de transfert et de contre-transfert et J. Guillaumin se demande si ces effets proviennent du cadre si particulier et différent du face-à-face dans l'examen psychologique. Ensuite la psychosociologie américaine et ses découvertes quant à l'influence des observateurs sur les groupes observés. Enfin les recherches évaluant les effets des caractéristiques de l'examinateur (sexe, personnalité) ou du contexte (judiciaire, médical) sur les résultats aux tests. Après quoi J. Guillaumin applique ces analyses à la situation d’examen psychologique, les caractéristiques spécifiques qu’y prend le transfert du fait de la dépendance du sujet soumis aux consignes et au regard voyeuriste du psychologue 724 , le jeu des mécanismes de défense ou de dégagement, l’évolution de la relation en fonction des différents moments : le contact, le test, la rupture.

Tout praticien devrait régulièrement relire ces pages à titre de piqûre de rappel contre les illusions de la neutralité. 725

Notes
719.

« La dynamique de l’examen psychologique”. Paris, PUF, 1965, 2ème édition Dunod 1977.

720.

«Faire pénétrer l'objectivité dans l'intersubjectivité”, formule-t-il ailleurs.

721.

Celle qu’ont su utiliser A. Rey ou J. Piaget.

722.

«Dynamique : Qualifie un point de vue qui envisage les phénomènes psychiques comme résultatant du conflit et de la composition de forces exerçant une certaine poussée, celles-ci étant en dernier ressort d'origine pulsionnelle », Laplanche et Pontalis, «Vocabulaire de la psychanalyse », p. 123. Cela dit l’approche psychodynamique est ancienne. H. Ellenberger fait commencer son « Histoire de la psychiatrie dynamique »,( «The Discovery of the unconscious”) en 1775 par le conflit entre Mesmer et l’exorciste Gassner.

723.

Binet avait étudié la suggestibilité. Ellenberger, le cite plusieurs fois à propos de la suggestibilité (p. 122 par exemple) et des doubles personnalités ( page 124). Binet avait esquissé une théorie de l’hystérie comme état permanent de dédoublement de la personnalité, que Janet développera. En 1904, lors de la visite de Janet aux Etats-Unis, Morton Price rappelant les noms définitivement associés à l’étude de l’automatisme subconscient, citait Binet et Janet pour la France, Breuer et Freud pour l’Allemagne.

724.

J. Guillaumin met en avant les aspects sado-masochiques de la relation d’examen. Mais cette relation peut prendre une autre signification où la dépendance est ressentie positivement, acceptée comme maternante.

725.

C’est un avertissement qu’il convient de rappeler même aux praticiens des épreuves projectives qui devraient pourtant être particulièrement prévenus. Sur ce point voir R. Shafer. Son livre « Psychoanalytic Interprétation in Rorschach Testing Theory and application », Grune and Sratton, New York, 1954, comporte un chapitre consacré à la « Dynamique interpersonnelle dans la situation de test ». Ce chapitre a fait l’objet d’une présentation détaillée dans un article de M. Wernert et R. Durand de Bousingen : « La dynamique des relations interpersonnelles au cours de la passation d’un test projectif » du « Bulletin de Psychologie » consacré à la « Psychologie projective » (N° 225 – XVII – 2-7 du 30 novembre 1963) par, p.84-90.)