Conclusion

L’évaluation psychologique porte encore les stigmates d'une longue période de critiques. Même si le regard que l’on porte sur elle semble en train de changer, par la grâce de la vogue des sciences cognitives, il y subsiste encore quelque chose d’une vague méfiance. Pourtant hier comme aujourd'hui l'évaluation, si on la regarde pour ce qu’elle est, un moyen et non une fin, n'est pas en soi aliénante. Le diagnostic est utile s’il guide l’action. Une évaluation fermée sur elle-même se contenterait de ranger des individus dans des catégories étanches, les enfermerait dans un destin tout tracé. Elle prononcerait des verdicts. C’est bien le danger du diagnostic, si par lui je referme l'horizon avant de me mettre en marche.

Mais pour se donner les moyens d'agir, il faut évaluer, tracer le tableau de la situation du sujet, des contraintes qui pèsent sur lui, mais aussi de ses ressources, existantes ou potentielles, et de celles de l'environnement. Tel est le but de l’examen psychologique. Et cette approche est clinique si elle s’oblige à aller au plus près du sujet, et de sa situation singulière. L'évaluation a besoin de s'appuyer sur des épreuves objectives, mais elle ne doit pas rester prisonnière de ces méthodes. Pour s’approcher du sujet le psychologue doit abandonner sa position de surplomb. Une vraie clinique, au plus près du sujet, est une clinique capable de s’exposer au risque de l’interactivité. Son objet change alors et elle s’ouvre un nouvel horizon. Il ne s’agit plus de faire un relevé d’ « états », mais d’évaluer la mobilité du sujet et sa capacité à créer du changement.

Ce que nous ont appris J. Piaget, J. Guillaumin, V. Shentoub, E. Schmid-Kitsikis c’est que la mobilité psychique est le facteur essentiel de l'adaptation. Il est appréciable certes dans une évaluation psychologique, de dresser un état des acquis (les savoirs et les procédures, l'intelligence « cristallisée » comme nous disons). Mais plus important encore, dès lors que notre intervention a pour objectif final d’introduire du changement, de libérer l’individu du poids des pesanteurs du passé pour le projeter vers l’avenir, est d’évaluer la capacité de l’esprit à évoluer, à créer de la nouveauté 767 , ce que Binet appelait « invention ». Les liens qui nous intéressent le plus ne sont pas ceux, statiques, des hypertextes installés en mémoire. Plus que l’état de ces liens, nous importe la dynamique psychique, la capacité de l’appareil psychique à en créer activement des nouveaux et à animer cette circulation. C'est ici que les démarches cliniques relativement souples et progressivement ajustées, permettent de faire apparaître des fonctionnements mentaux qui nous échapperaient dans l'application réduite d’épreuves standardisées. Ce qu'on perd ainsi en rigueur scientifique, on le gagne en ouverture d'esprit, en richesse d'hypothèses, en créativité commune. Assumant le choix d’intervenir sur cette mobilité, abandonnant par là même la neutralité « abstentionniste », pour une « neutralité » active et éthique, 768 puisque notre projet doit être de rendre le sujet psychique à plus d’ouverture, plus de mobilité, plus de liberté de penser.

Notes
767.

On a tendance à parler des qualités de l’appareil psychique en termes d’états. On souligne ainsi «la perméabilité du Préconscient”, ou la «souplesse du Moi”. Mais ce sont les mouvements psychiques qui importent et il vaudrait mieux parler en termes de processus.

768.

La position éthique, en clinique, ne peut-être se réduire à un : « j’y touche pas » ( « je garde les mains propres », « je m’engage pas », ou « j’y peux rien »), au demeurant illusoire..