Le temps de la restitution

La restitution comme échange actif et rappropriation.

Après ces remarques générales, il nous faut parler concrètement des projets. Si l’intention d’un projet est présente à l’aurore de la rencontre, le projet lui-même, pour devenir réalisable et se concrétiser, devra disposer de fondations solides sur lesquelles s’appuyer. Le troisième temps de la rencontre, le temps du projet commencera donc par une restitution de tout ce qui a été dit et élaboré de significatif tout au long de la rencontre, dans les paroles échangées, ou au cours de l’évaluation, tout ce que nous avons pu saisir de la situation du sujet, de ses potentialités et des contraintes pesant sur lui. Le temps de la restitution va ainsi dessiner le champ des possibles.

C’est un moment délicat. Il était annoncé au départ de l’échange. C’est une des conditions, à la fois éthique et psychologique, pour qu’un projet puisse prendre vie dans cette rencontre. Si durant l’évaluation, il était déjà important de ne pas traiter le sujet comme un objet passif de testing, un sujet de laboratoire, mais de le mobiliser dans un échange dynamique, plus encore le moment de la restitution doit-il impliquer le(s) sujet(s) intellectuellement et affectivement. Il doit participer, reconnaître, ou discuter ce qui va fournir le socle de construction de son avenir possible. Les observations du psychologue seront donc restituées à l’enfant, aux parents, à l’enseignant  793 dans un échange interactif, une discussion en commun, et non comme un jugement asséné ex abrupto. Il faut certes donner les chiffres précis quand on les a, avec toutes réserves qui s’imposent, mais à partir de là il faut élaborer. Plus qu’une discussion, il s’agit d’un échange, d’une élaboration commune, progressive, reposant sur l’empathie, l’accordage, l’apprentissage d’un langage commun.

Une brève remarque sur ce dernier point. Il est sans doute plus facile à un psychologue ayant une longue expérience de dialogues avec des parents de milieux sociaux très différents, de s'adapter à leurs différents types de langage. Cela étant, même après des milliers de rencontres, il y a toujours des cas où il est difficile de s’entendre. Dans ce cas, si l'on ne peut bénéficier de l'appui d'un tiers, par exemple un traducteur ou un proche, il est important d'être le plus simple possible, et de laisser l’interlocuteur prendre le contrôle de la discussion avec ses propres grilles de compréhension. D'une manière générale d'ailleurs il est important d'ouvrir à tous les parents, et à plusieurs moments, cette possibilité de prendre en main l'entretien, de poser des questions ou de contester ce qui a été énoncé.

Dans ce travail en commun on le voit, ce n'est pas au psychologue de prendre seul la conduite de l'entretien. Il n'a d'ailleurs pas, et c'est heureux, une maîtrise suffisante des processus psychiques pour cela. Les interlocuteurs ont leur propre manière de le conduire qui peut nous surprendre. Il arrive même souvent que tel entretien qui nous a laissé un sentiment de malaise, découvre brusquement ses effets positifs, par exemple par un commentaire final, sur le pas de la porte, de parents qui ont paru tout au long sur la défensive. 794

Répétons encore une fois que tout cela doit se faire dans un dialogue où il n'y a pas d'un côté un expert qui assénerait des chiffres sans discussion, et de l'autre des parents venus recevoir un diagnostic, mais un échange où les parents sont invités à questionner, contester, éclairer l’évaluation par des faits qu'ils apportent eux-mêmes sur les comportements observés à la maison. Outre le progrès objectif (en contenu) apporté par ces données nouvelles, un travail peut ainsi s'effectuer en dialogue, mobilisant à la fois la dynamique cognitive, mais aussi la dynamique affective, émotionnelle, inter psychique et intra psychique. Cette double mobilisation est en effet la condition nécessaire à l’élaboration d’un projet vivant.

Notes
793.

Nous parlerons surtout de la restitution aux parents. Mais ce que nous disons des conditions de la restitution vaut mutatis mutandis pour les autres intervenants.

794.

Il est heureux que toujours nous échappe quelque chose du cheminement psychologique des parents. Parfois l’effet de cet entretien nous parait nul voire négatif, les parents nous quittant arqueboutés sur un refus rigide. Mettant en cause l'institution, ils préféreront changer d'école, passer par des enseignements parallèles. Cependant cela ne signifie pas que rien n’a été entendu, par exemple du parent resté en retrait, qui aura son effet beaucoup plus tard.