Réflexions sur la place du conseil dans le projet familial.

L’action du psychologue scolaire auprès des parents, s’effectue d’abord en facilitant la compréhension du problème et en ouvrant un espace des possibles. Parfois cela suffit pour leur rendre l’initiative. Mais parfois cela ne suffit pas et il faut les accompagner plus loin en leur faisant des propositions. C’est dire que le psychologue outre son rôle de facilitateur de pensée - de médiateur entre soi et soi -, doit aussi parfois jouer un rôle de conseilleur – en médiateur entre le sujet et l’institution par exemple-. On n’aime pas habituellement entendre dire cela parmi les professionnels, chez qui le conseil reste encore très dévalué. Il trouve pourtant sa place naturelle dans la co-construction d’un projet conçu pour aider l’élève. Personne ne se choquerait de voir un enseignant conseiller les parents sur les points du programme à reprendre et sur la façon dont ils pourraient aider leur enfant à réussir ses apprentissages. Il a une compétence et une autorité pour cela. Pour autant cela ne signifie pas que ces échanges se fassent à sens unique et que des directives soient imposés autoritairement. Pourquoi le psychologue scolaire qui fait partie de l’institution éducative serait-il exclu de ce type de relation et tiendrait-il à se retirer sur l’Aventin ? Nous admettrons volontiers qu’il y ait de bonnes raisons de bannir tout « conseil » du cadre de la psychanalyse classique. Notre niveau d’expertise en la matière ne nous autorise pas à trancher sur ce point. Tout au plus remarquerons-nous que le père fondateur, Freud lui-même ne paraissait pas si intransigeant sur ce point 804 , et que par ailleurs les psychanalystes contemporains ne refusent pas ce rôle actif dans leurs thérapies brèves.

Mais pour ce qui est du cadre de la psychologie scolaire, nous ne voyons pas de raison valable à ce que les conseils y soient forclos. Il suffit qu’il ne soit pas asséné d’en haut, risquant alors de ne rien mobiliser chez les parents, mais prenne une place naturelle dans l’élaboration en commun d’un projet destiné à faire changer les choses. D’ailleurs beaucoup de parents viennent pour recevoir des conseils. Devrions-nous refuser cette demande et leur retourner leur question : ‘«’ ‘ mais vous qu'est-ce que vous en pensez ? ’». Est-il plus aliénant pour l’autre de répondre à sa demande de conseil, où de refuser de lui répondre ? Et ne se place t-on pas plus encore dans une position de surplomb en prétendant que nous savons nous, mieux qu’eux, qu’ils n’en ont pas besoin. Quand nous affirmons par exemple que tout parent a en lui suffisamment de ressources pour trouver la solution tout seul, ne sommes nous pas dans une dénégation totale de ce qui fait ses difficultés concrètes ?

On dit aussi qu’il est inutile de donner de conseil puisqu’ils ne sont jamais suivis. Mais ceux-là même qui le disent, ne cessent d’en prodiguer, des conseils. Dans nos rencontres quotidiennes, à tel collègue nerveux, irritable, malheureux, nous ne cessons d’en délivrer : « tu devrais peut-être aller voir un « psy »… Si tous nous distribuons tant de conseils, c’est peut-être, qu’ils répondent à des besoins, même quand ils ne sont pas suivis. Conseiller autrui fait partie du registre des relations attendues, et le refus d’entrer dans ce type de rapport peut être perçu comme un manque d’égards, un affront, en tout cas une rupture délibérée des règles de l’échange.

Quelle justification profonde, autre que le bien prosaïque et inavouable refus de s’engager, des psychologues peuvent-ils donner de leur rejet des conseils ? On retrouve là les effets d’une conception de la pratique psychologique dérivée tout droit d’une clinique psychanalytique à la française 805 .

Voici deux exemples illustrant les effets de cette position. Le premier est tiré d’un petit livre par ailleurs fort bien fait présentant aux parents le travail du psychologue scolaire :

‘«’ ‘ ’ ‘»’ ‘  Conseils » est le mot que les parents choisissent souvent pour parler de ce qu'ils viennent demander au psychologue, ou de ce qu'ils ont retiré des entretiens avec lui. (Le conseil : ’ ‘«’ ‘ Opinion donnée à quelqu'un sur ce qu'il doit faire » (dictionnaire Robert). Cela suppose que le donneur de conseil a une meilleure évaluation de ce qui convient, en fonction sans doute de son expérience et de ses convictions. Nous ne choisirons pas nous, le terme de conseil pour parler de ce que nous proposons aux parents, car cela impliquerait que nous nous référons à nos propres idées sur l'éducation. Nous n'avons pas à imposer notre propre désir, ce qui risquerait de bloquer toute possibilité d'expression ; de plus, nous ne pouvons pas savoir à la place des autres, mais seulement chercher avec eux ce qui est possible. Le psychologue se réfère aux désirs des parents, à ce qu'ils estiment bon pour leur enfant, aux désirs de l'enfant lui-même ’» 806 .

On voit que le conseil est refusé au nom du respect du « désir » des parents et de l’enfant. C’est donc lui qui doit commander ? Mais demandons-nous si ce désir des parents – a fortiori celui de l’enfant, du jeune enfant en particulier- trouve naturellement à s’incarner dans les valeurs éducatives de la communauté ? Sinon à quel dilemme et à quelle intenable position se trouve alors confronté le psychologue de l’éducation ? Demandons-nous enfin si le « désir » est quelque chose de simple, d’évident à connaître, qui ne demande ni du temps, ni des objets ni des échanges pour se connaître.

Revenons à nos auteurs. Apparaissent des parents confrontés à l’échec scolaire et qui viennent demander des conseils pour aider leur enfant. Dans cette situation, ‘«’ ‘ Le psychologue ne dira pas : ’ ‘«’ ‘ faites ceci ou cela » étant entendu que la relation intellectuelle parents enfants ne passe pas par l'exercice scolaire (qui est artificiel) mais par le dialogue et les ressources culturelles de chacun. ’»(p. 49). Derrière le respect du désir des parents se profile donc une critique plus ou moins avouée de l’école. D’un coté le désir et la culture -» naturels »- des parents ; de l’autre l’artifice scolaire. Pourquoi en effet le psychologue aiderait-il l’école à s’immiscer dans une relation supposée riche et vivante, pour y introduire des exercices « artificiels » 807  ? Nous voilà au cœur du dilemme. Le problème du psychologue scolaire est qu’il n’a pas affaire qu’aux désirs 808 des parents, mais aussi à des objectifs éducatifs. C’est au cœur de cette tension que peut s’exercer son travail de médiation. Fort heureusement pour lui, le vœu le plus cher de la plupart des parents est bien que leurs enfants atteignent ces objectifs, c’est même pour cela qu’ils viennent réclamer notre aide. Ils ne prétendent pas ou rarement, substituer à ces objectifs leurs désirs propres. La mission du psychologue scolaire, pour laquelle la collectivité le rétribue, est d’ailleurs clairement définie dans les textes :‘’ ‘«’ ‘ favoriser l’éducation des enfants »’, et, entre autres, fournir « aux maîtres et aux familles des indications précieuses sur les stratégies à adopter » 809 . Les désirs des parents quant à l'éducation de leur enfant sont des choses avec lesquelles il faut évidemment compter, mais les objectifs éducatifs en sont d’autres bien réelles, qu’ils doivent considérer, et c’est bien à faire se rencontrer ces deux dynamiques que le psychologue doit travailler, sauf à refuser de prendre sa part à la réalisation des objectifs scolaires.

Le psychologue scolaire doit considérer la part importante qu’y prennent les parents, et ceci sans doute à travers leur culture personnelle - mais il faut bien admettre qu’existent ici des inégalités - mais aussi et surtout par la place qu'ils donnent chez eux au suivi scolaire de leur enfant 810 . Partant de là, demander aux parents de faire réviser à l’enfant ses tables, de revenir sur tel algorithme non maîtrisé, d’assurer pendant les vacances la consolidation d’un apprentissage fragile de la lecture, de tels conseils, basés sur une évaluation, ne peuvent être exclus du projet construit avec la famille 811 . Un psychologue scolaire ne peut pas dire aux parents d'un enfant en difficulté : parlez seulement avec lui, nous nous occupons du reste. C'est instaurer une coupure là où elle est le plus souvent préjudiciable à la réussite de l'enfant. Il n’est pas sans danger de faire ainsi de l’école le lieu du travail (artificiel), et de la maison le lieu du plaisir (naturel).

Nous annoncions l’Inconscient dans une note précédente. On n’a pas manqué de l’invoquer pour interdire la pratique du conseil en psychologie scolaire. Dans un article 812 d’un récent numéro de la revue des psychologues scolaires, ‘«’ ‘ Psychologie et Education ’ », J.L. Gaspard et L. Combres défendent au psychologue scolaire de donner quelque conseil que ce soit, au motif qu’on ne conseille pas l’inconscient. ‘«’ ‘ Le psychologue scolaire n’est pas un conseiller. On ne conseille pas l’inconscient »’, p.118. Le raccourci est saisissant, bien propre à clouer le bec. Il mériterait de longs commentaires. Disons rapidement que, pour que la conséquence en soit vraie, il faut admettre le principe que tout psychologue, ici le psychologue « scolaire », n’a d’autre interlocuteur que l’Inconscient. C’est confondre sa place avec celle du psychanalyste, à supposer d’ailleurs que les psychanalystes eux-mêmes prétendent ne s’adresser qu’à l’inconscient. 813

Une telle hauteur prise par rapport à la réalité, doit forcément avoir des conséquences. Les auteurs donnent un exemple de la mise en pratique de leur principe. Voilà deux enseignants qui les appellent à l’aide pour des problèmes de violence et de refus scolaire dans leur classe. Pas question donc de donner des conseils ou d’intervenir personnellement. Comment faire avec l’inconscient qui trouvait sans doute là à s’exprimer. Ils proposent d’ouvrir aux élèves un « cahier de doléances » : ‘«’ ‘ En mettant à disposition un cahier d’écriture dans chacune des deux classes, la part de chacun des élèves, à entendre comme leur symptôme, fut ainsi convoquée. Sur chacun des cahiers, les élèves étaient invités à écrire ce que bon leur semblait, en dehors de tout jugement, note ou autre contrainte d’ordre scolaire. Etaient autorisées les insultes, tout comme le refus d’y écrire ’», p. 119.

Cet exutoire aux pulsions les plus primaires suffira-t-il pour que la classe retrouve son cours ordinaire? Voici la suite que chacun jugera bonne ou mauvaise selon son goût : ‘«’ ‘ Dans la suite de cette expérience, ce fut aux enseignants d’en tirer bénéfice. Conscients des risques d’un cadre et de contraintes trop strictes, ils décidèrent de lier leurs pratiques en permettant la circulation des élèves entre leurs deux classes. A ceci, les élèves répondirent en choisissant en partie leur emploi du temps, en fonction des propositions des deux instituteurs »’. Pour avoir une longue expérience de ce genre de problèmes, je puis assurer que cette solution-là n’a rien d’étonnant ni de nouveau et ne doit pas grand chose de ses effets à la place enfin donnée à l’Inconscient. C’est une histoire assez banale. Quand une classe va mal, que le groupe soit ingérable, ou que l’enseignant soit incapable, on finit toujours par proposer de la faire éclater. Les justifications peuvent varier, ici la libération de l’Inconscient, ailleurs l’individualisation de l’enseignement, mais c’est un des suites des plus ordinaires de ce problème, où l’inconscient joue sans doute son rôle, mais que la rationalité la plus commune, le simple bon sens, suffirait à expliquer. Quant à l’école à la carte, au gré des désirs des enfants, on évitera de commenter. On a compris que les auteurs ne se veulent surtout pas « scolaires », et sans doute même pas « psychologues ». Ils ne veulent surtout pas transmettre quelque norme, ni étayer le moi des instituteurs.

La collectivité a fixé un certain nombre d’objectifs au système éducatif, objectifs à la réalisation desquels les membres de la collectivité éducative doivent concourir. Le psychologue scolaire n’exerce pas dans le cadre libéral de la psychanalyse, surtout pas conçue comme une auberge espagnole où chacun ne trouve que ce qu’il y amène. Les élèves ont des désirs, les parents des idées sur l’éducation, ils ont certes tous un inconscient. Nous sommes bien obligés de faire avec, mais pour autant ce n’est pas à ces désirs inconscients de déterminer les objectifs raisonnés du projet éducatif communautaire.

Eduquer un enfant c’est l’amener progressivement à pouvoir affronter la réalité avec des armes intellectuelles et affectives, et non pas donner libre cours à ses désirs inconscients ou à ceux de ses parents. D’une manière volontairement provocante nous avons retenu deux exemples où l’élaboration du projet s’est faite à partir d’un rappel - sous forme de conseils- à cette réalité là.

Pour Donatien, le premier contact fut un appel téléphonique de sa maman. Elle avait besoin d'aide : son petit gars pleurait tous les matins avant d'aller à l’école et elle n’arrivait pas à savoir pourquoi. Elle pensait qu'à moi il pourrait se confier. C'est un enfant vif disait-elle, actuellement scolarisé avec un an d’avance dans un cours élémentaire première année. «  La discipline de la classe n’est-elle pas trop dure ? Les faire attendre par exemple les bras croisés n’est-ce pas une méthode pédagogique dépassée ? Est-ce que d'autres enfants le maltraitent? Est-ce qu'il s'ennuie, fallait-il lui faire à nouveau sauter une classe ? À trois ans, soit près de trois ans avant les autres, il savait déjà lire” dit-elle. Elle était allée sur le site internet de l’A.N.P.E.I.P. et me demandait si ce comportement n'était pas le premier signe de ce rejet de l’école qui se manifeste souvent chez les surdoués non reconnus par l’école. Ne pourrais-je aussi faire un bilan cognitif ?  Elle ne voulait pas pour le moment que je prenne contact avec l'école 814 . Elle voulait d’abord savoir. Je lui répondis qu’il faudrait qu’on prenne plus de temps pour parler de tout cela, mais que je pourrais effectivement faire une évaluation.
J'ai rencontré la maman de Donatien une semaine plus tard. Elle vit avec ses parents dans une petit village à la campagne, fort loin de son lieu de travail de l'autre côté de la frontière. Le père de Donatien n'a jamais voulu s'occuper de son enfant,
«   il ne le prend jamais même pendant les vacances ». C'est pourquoi ses parents à elle sont venus l’aider et occupent une aile de la très grande maison qu'elle possède. Le matin, c'est elle qui amène Donatien à l’école, avant de rejoindre son lieu de travail à quelques 150 kms de là. Elle occupe un poste de responsable dans une station de radio. Elle et le père se sont rencontrés comme musiciens professionnels. Le père poursuit une carrière de concertiste. Elle n'a aucun problème financier.
«  Donatien savait lire à trois ans, c'est un enfant très bavard, il n'arrête pas de poser des questions », il pompe son entourage. Dans les jeux il est directif et même assez autoritaire. Il dort très bien, «  onze heures par nuit ». Cependant c’est tout un rite tous les soirs que de le coucher. Elle doit s’allonger un moment à ses côtés, fermer la moustiquaire qu’il a voulu comme celle du lit de maman. «  Ça lui plait beaucoup, c'est comme une petite maison, fermée avec les pinces à linge ». Avant de le laisser elle doit impérativement prononcer la même phrase toujours : «  Fais un gros dodo, et mille bisous à ton lit ». Il se lève bien le matin sans problème et de bonne humeur. Mais jusqu'ici il n'a jamais pu dormir chez quelqu'un d'autre. Avec la nourriture il est très pénible, il ne mange que des steaks hachés. Il ne supporte pas que sa maman chante ou joue du piano. Il ne se lie pas facilement avec les autres enfants. Il est très possessif avec sa maman, c’est encore elle qui doit lui essuyer le derrière quand il a fait caca. Depuis les dernières vacances il s'est cependant entiché d'une personne très agée.
L'an dernier à l'école, comme il savait lire il a été scolarisé à mi-temps le matin en maternelle, et l'après-midi au cours préparatoire. Au bout de quelques temps il a choisi lui-même de rester tout le temps au C.P.. Cela s'est bien passé jusqu'à la mi-mai où il a commencé à pleurer tous les matins et même parfois à refuser d'aller à l'école. Sa mère voudrait donc savoir pour quelles raisons il est malheureux à l’école. Est-ce parce qu'il est trop différent des autres, trop en avance ? Sinon peut-être me confiera-t-il à moi psychologue des choses dont il ne veut pas parler à sa maman.
J'ai donc rencontré Donatien. C'était un très jeune enfant qui n'a pas encore six ans qui se retrouve dans sa classe avec des enfants de sept ans et plus. Il est intelligent certes mais brillant surtout dans les domaines de type scolaire et il manque de logique. Son QI le situerait parmi les
« normaux forts ». Malgré son aisance dans le calcul rapide, il risque d’avoir quelques difficultés dans la compréhension des problèmes du CE 2. Il manque de distance, très bavard, trop familier, trop dépendant de l'autre. Quand il n’est pas à l’aise avec moi, qu’il ne s’agit plus d’activités reconnues, il se lance dans un discours brouillon, en arrive presque à bégayer. Il est difficile d’avoir un réel échange avec lui. Il finit par recourir à des attitudes régressives, prend son pouce, parle bébé. Quand j’amène la conversation sur l’école et les copains, il lui est difficile d’en dire quelque chose. Il parle beaucoup de maman. Il était bien avec elle quand il était bébé, «  il mangeait tout ».
Voilà bien un cas qui pourrait se prêter à un exercice de virtuosité psychanalytique. Il y a de quoi parler de l’œdipe. Mais le contrat n’était pas celui là. Une maman m’a demandé une évaluation dans un objectif précis. A moi de restituer mes conclusions et de voir comment le mieux faire passer ce que je comprends de la relation de Donatien à l’école, aux apprentissages et à sa maman. Je lui ai donc répondu sur les deux questions posées. Donatien n’est pas un
«  surdoué », même s’il y a chez lui, comme chez eux, une «  dysharmonie » de développement entre différents domaines. S’il souffe au CE 1 c’est que l’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, mais qu’il faut pouvoir s’y reconnaître dans ses relations aux autres. Je lui ai dit qu’il était beaucoup trop dépendant d’elle (en lui rapportant les propres phrases de son enfant) et, comme il s’agit d’une femme fort cultivée, j’ai utilisé les mots de la psychanalyse. L’oedipe, à elle cela disait quelque chose de fort. Cela mettait du sens dans ce qui se passait chez elle.
A partir de ce moment, et nonobstant l’évolution qui était en train de se faire en elle et qui allait se poursuivre longtemps, nous sommes demandés ce que nous pourrions faire pour aider Donatien. J’ai proposé que nous nous revoyions avec les grands-parents qui prenaient un part importante dans son éducation. Lors de cette rencontre où tout le monde a pu dire ce qu’il avait sur le cœur, le grand-père a manifesté le besoin de pouvoir respirer et, récupérant son épouse, de prendre quinze jours de vacances de temps en temps. La mère s’engageait à trouver quelqu’un pour garder Donatien pendant ces périodes. Elle me priait de rencontrer avec elle l’institutrice dans le but d’aménager un projet individualisé pour Donatien. Enfin elle me demandait quelques conseils sur l’attitude à avoir avec son enfant. Je ne le lui en donnais qu’un mais ferme, ne plus essayer les fesses à son gamin. Il était bien assez grand.

Un exemple classique où le projet ne peut se priver des conseils et même des directives du psychologue est le cas, assez fréquent de nos jours, où les parents de jeunes enfants n’arrivent pas à installer une suffisante discipline. Là aussi on pourra nous objecter que nous imposons nos propres normes éducatives. Mais le problème ne se pose pas tout à fait en ces termes. Voici comment ordinairement il se présente. Des parents alertés sur les problèmes de comportement de leur enfant lors à son entrée dans l’école, viennent nous demander de l’aide. Après une évaluation de la situation avec eux et avec l’enfant au cours de laquelle des ouvertures sont apparues et des liens se sont créés, on en arrive à ce moment où des propositions doivent être faites dont l’objectif est de provoquer un changement. A ce moment, et chaque fois que je n’ai pas de raison de suspecter un trouble pathologique, je propose aux parents, en première intention, un plan assez simple. Il me semble en effet qu’avant de renvoyer la famille en thérapie, il faut peut-être interroger leurs « normes » familiales et la compatibilité ou non de leurs conduites, avec l’objectif recherché. Qu’il s’agisse d’un alibi intellectuel, d’une conviction profonde ou d’une incapacité psychologique, il y a beaucoup de parents, parmi ceux qui consultent pour ces problèmes de discipline, qui ne savent simplement pas dire non à leur enfant 815 . En première intention donc il me paraît nécessaire de rappeler d’une façon ou d’un autre la valeur structurante des interdits et de les aider à les mettre en place.

Histoire de Jules. Les parents ont souhaité me rencontrer pour demander un bilan intellectuel et scolaire sur les conseils du psychothérapeute de Jules. La mère est venue seule. Le père dirige une grosse société en Suisse, et n’est jamais là ; même quand il n’est pas à l’étranger, il rentre à dix heures du soir. La question « officielle » est celle d’une éventuelle importante précocité, mais dans sa description la mère parle beaucoup plus du comportement de Jules que de ses intérêts ou de ses performances intellectuelles. « En classe il a fini avant les autres, alors il fait que les enquiquiner ». Mme J. pense que son fils est un enfant profondément angoissé, et que c’est par sa faute, puisqu’elle n’a cessé de s’inqiéter à son sujet depuis sa naissance. Elle parle surtout de ses propres faiblesses et des erreurs éducatives qu’elle a commises. On se dit que cette maman a beaucoup travaillé sur elle pour comprendre, un peu trop peut-être, jusqu’au moment où l’on perçoit dans son discours une autre voix, le discours du thérapeute de l’enfant, plutôt ce qu’elle en a compris. Il lui a dit que son fils souffrait d'un très fort sentiment d'abandon, que c’est pour cela qu'il se roulait par terre lorsque, vers ses cinq ans, elle voulait partir à quelques cours du soir. Elle se reproche donc cet «  abandon », et elle essaie sans cesse de lui démontrer que, quoiqu’il fasse, elle sera toujours là et ne le quittera jamais.
Bien qu’elle me décrive son enfant en termes très
«  psy », d’une façon très «  interprétative », de mon coté je vois se dessiner le portrait d’un petit tyran domestique, accrochant sa sœur par les cheveux dès qu’elle passe à sa portée, un enfant que plus personne dans la famille ne veut plus garder, et qui, à l’école, devient de plus en plus agressif malgré la psychothérapie. La maman pense que tout est de sa faute, et en vient même à me demander s’il ne serait pas possible que moi, le psychologue scolaire, je puisse la prendre en thérapie. Elle a les larmes aux yeux, elle se sent coupable et abandonnée de tous. Pas une fois elle n’émet un reproche à l’égard de sa famille qui la laisse tomber, ou de son mari, ni l’expression d’une révolte à l’égard de son fils.
J’encourage la maman à s’occuper un peu plus d’elle et j’accepte le bilan demandé. Quand nous nous reverrons il faudra que le père soit là.
Nous passerons rapidement sur cette évaluation
816 . Jules est un enfant extrêmement impulsif, intelligent certes, en tout cas face aux problèmes qui peuvent être résolus rapidement, mais perdant en route toutes les données quand il y faut un peu de temps. Au début du test il exulte de toute puissance : « c'est facile ! Fastoche ! » Mais dès que les épreuves demandent un peu plus de concentration et qu’il se sent en risque d’échouer, il abandonne, jetant violemment le crayon qu’il finira par casser. Il essaie à plusieurs reprises d’imposer ses choix, veut faire ceci et pas celà. Sur le plan relationnel il n'a pas de distance, il ne sait pas rester à sa place, il est indiscret, voire intrusif, me retournant mes questions, confondant volontairement nos positions. Ce problème de limites s’exprime dans une confusion «  physique » avec l'autre. Il me dit par exemple : « te voir écrire, ça me fait mal au bras ». Il fonctionne dans le tout ou rien, brutalement, sans nuance. Je dois plusieurs fois le rappeler à l’ordre, et prendre une voix menaçante. Elle fait son effet, mais il est peu probable que cela marcherait longtemps.
Au point où j’en suis à la fin de mon bilan, il m’apparaît que quelles que soient les causes cachées de l’agressivité de Jules, et dont son psychothérapeute se charge, Jules a aussi besoin, plus que beaucoup d’autres enfants, qu’on lui impose des règles et c’est à cet objectif que je destine le projet familial. Pour cela je vais essayer de réinstaller le père dans le jeu. J’ai obtenu qu’il vienne avec son épouse. J’ai affaire apparemment à un homme assez compréhensif, qui reconnaît avoir négligé un peu trop sa famille, et qui est prêt à leur donner un peu de temps. Comme ils vont partir enfin quinze jours en vacances, qu’ils seront tous deux mobilisables, nous mettons en place un plan dont les bases sont précisées dans un document écrit que je leur remet.
L'idée générale est qu’il faudra marquer fermement à l’enfant, par une punition si nécessaire, que des bornes ont été dépassées et que cela entraîne un changement dans les règles relationnelles. En soi la sanction marque un coup d’arrêt, sur le fond elle signifie que l’on change d’espace. Deux choses importantes : la première est que les règles soient clairement repérables et cohérentes, qu’elles ne changent pas en fonction, de l’état d’épuisement des parents. La deuxième est de ne pas donner à l’enfant le sentiment qu’ils ne sont pas capables de contrôler la situation. Et c’est bien parce qu’ils ne le contrôlent plus de fait qu’il est important que les directives viennent de l’extérieur. C’est à moi de leur rappeler la loi. Il ne s’agira pas de changer du tout au tout, mais d’intervenir sur un comportement cible. Aux parents angoissés par l’idée de traumatiser ainsi leur enfant, je fais remarquer que c’est cette absence de limite qui est angoissante pour leur fils:
«  votre enfant ne se sent pas suffisamment protégé par votre attitude, quand il aura compris que vous pouvez contrôler la situation, vous n’aurez presque plus à punir ». Nous choisissons ensemble le comportement qu’ils veulent voir changer 817 , et la sanction qui peut être efficace. La punition a une valeur symbolique, et de ce point de vue un quart d’heure dans sa chambre fait autant d'effet qu'une heure. L’important ensuite sera de s’en tenir là et de ne pas multiplier les modes d’ interventions. Que les règles soient claires. Si cette stratégie marche il est probable que le reste sera plus facile.
Arrêtons là. On jugera ce plan
«  comportementaliste ». Il n’a pas pour nous de validité universelle. Il nous a paru adapté pour les parents de Jules, mais on ne l’appliquera pas de façon systématique à tous les comportements difficiles. Il n’interdit pas de proposer aussi une aide psychologique pour l’un ou/et l’autre des parents où ils pourront travailler sur les raisons profondes de leur réticence à sanctionner. Simplement dans ce cas il fallait que quelqu’un les rappelle avec autorité au principe de réalité. C’est ce que fait –trop souvent- l’école, et le psychologue scolaire en fait partie.

Notes
804.

Freud n'hésitait pas à donner des conseils parfois même très directifs. Dans ce que certains patients, certes un peu à part, ont rapporté de leur analyse, on trouve des conseils, des règles de vie, des remarques philosophiques (Voir par ex. H. D. « Visage de Freud », Paris, Denoël, 1977 ou Dr. S. Blanton « Journal de mon analyse avec Freud », Paris, P.U.F., 1971). «C’est en assurant diverses fonctions, en devenant pour le patient une autorité et même un substitut de ses parents, un maître et un éducateur, que nous pouvons lui être utile”, Freud, «Abrégé”, p. 50.

805.

Rien à voir avec la psychanalyse originelle. On pourrait par exemple citer A. Aichhorn, notamment son article sur «Les consultations pédagogiques” (Erziehungsberatung), qui décrit une forme de travail avec les parents et les enfants où le psychologue scolaire se retrouverait presque entièrement. On y parle d’”aide”, de «conseils”, de «soutien pédagogique réel”. «L’attitude la plus appropriée consiste, il me semble, à ne pas subodorer le cas «intéressant” derrière chaque enfant ou adolescent qu’on nous amène, mais au contraire à se contenter des outils pédagogiques les plus simples”, dit-il, p. 222 de la tr. fr. dans le choix de textes de la «Revue de pédagogie psychanalytique”( Zeitschrift für psychoanalytische Pädagogik), réalisé par M. Cifali et J. Moll sous le titre «Pédagogie et psychanalyse”, (1985 déjà cité). Dans le même recueil on trouve un article de O. Pfister sur «Le conseiller pédagogique”. Comme le suggèrent les rédactrices, on gagnerait sans doute à «retrouver la modestie et la prudence des «pédagogues psychanalytiques”d’autrefois (p. 209).

806.

E. Bosetti, M.C. Brossais, S. Goulfier, A. Thiriet, « Votre enfant et le psychologue scolaire », Paris, Bordas, 1986, p. 48.

807.

Thème latent et résurgent : l’école facteur de névrose ou d’aliénation. De Rousseau à Illich. Ou F. Dolto affirmant dans sa préface au livre de Maud Mannoni «Le premier rendez-vous avec le psychanalyste» (1976) que «l'adaptation scolaire est maintenant à de très rares exceptions, il faut le dire, un symptôme majeur de névrose”, page 35. «Maintenant” dit-elle ? mais l’école n’était-elle pas plus répressive au temps des hussards de la république, ou de la république des professeurs ? Le problème actuel de l’école ne vient-il pas plutôt de l’effacement de cette image du Maître.

808.

Et derrière les désirs, il y a le Désir, l’Inconscient quoi, il va bientôt surgir. Voir plus loin.

809.

Citations extraites de la circulaire du 10 avril 1990 fixant les missions des psychologues scolaires.

810.

Sur ces points il est tout à fait instructif de relire le livre de C. Jelen « La famille, secret de l’intégration », Paris R. Laffont, 1993. L’implication forte des familles dans la réussite scolaire, l’importance donnée au travail, y apparaissent comme les facteurs essentiels de réussites exceptionnelles dans des familles pourtant durement maltraitées par l’histoire.

811.

Et s’il arrive qu’une partie de ses tâches ne peut être assurée sans accompagnement, alors le projet inclura justement ces interventions complémentaires, aide à la parentalité, soutien scolaire, mais toujours en mettant les parents dans le coup. (Lignes extraites de la « Charte d’accompagnement à la scolarité » : «  L'accompagnement à la scolarité offre aux parents un espace d'information, de dialogue, de soutien, de médiation, leur permettant une plus grande implication dans le suivi de la scolarité de leurs enfants. Dans cette dimension, les lieux d'accompagnement à la scolarité ont vocation à s'articuler avec les réseaux d'écoute, d'appui et d’accompagnement des parents. L'accompagnateur développe des contacts aussi fréquents que possible entre l'entourage familial et les enseignants et facilite la compréhension réciproque. »

812.

«  Psychologie scolaire : quel rapport au savoir ? », article paru dans le numéro 49 de Juin 2002.

813.

Voir plus haut la note sur la pratique de Freud.

814.

Nous dirons plus loin à quel point le fait d’être dans l’école donne comme moyens d’action au psychologue. Cette place a parfois aussi ses inconvénients. Dans le cas présent on pouvait penser a priori que c’est dans un projet construit avec l’école qu’on pourrait le mieux aider l’enfant. La mère cependant ne voulait pas de ce contact.

815.

Il est interdit d’interdire, a encore beaucoup de résonances dans les familles contemporaines, résonances réactivées par les débats autour du lycée, ou des droits de l’enfant.

816.

On ne développera pas ici sur une composante importante de la situation : il se trouve que l’institutrice de la classe est une personne qui a une position assez proche de celle de la maman. Elle s’est toujours beaucoup plus investie dans l’écoute des supposés problèmes psychologiques des élèves ou des parents et n’a jamais pu gérer un enfant un peu difficile.

817.

Le plus souvent c’est le comportement à table, ou au coucher, ou les agressions à l’égard du frère ou de la sœur.