Avant d’en venir à l’examen des différentes formes de projet, il nous faut dire un mot de l’école comme contexte d’intervention du psychologue scolaire. Le contexte d’intervention est important par le sens qu’il donne à l’action et aussi par les moyens qu’il met à disposition. Aucune psychologie clinique, même analytique, n’a le pouvoir de se décontextualiser. Mais plus que tout autre psychologue, le psychologue scolaire doit intégrer dans son action le contexte de son intervention. Quand il est tenté de le refuser, de s’en dégager, il commet une erreur. Le psychologue inter agit avec d'autres systèmes, avec le système familial notamment, mais ce qui fait sa spécificité ce sont ses interactions à l'intérieur du système scolaire. Sa possibilité de relancer une dynamique, se joue là pour beaucoup, et c'est un avantage formidable, quand ça marche, c'est-à-dire quand les interactions avec l'enseignant et l’école portent leurs fruits.
Qu'est-ce que la psychologie scolaire ? La question revient régulièrement avec celle du statut des psychologues scolaires. Des associations, des syndicats, pensent restaurer son identité ou mieux affirmer son statut, 819 en en faisant avant tout un psychologue, travaillant accessoirement dans une école. Manière de prendre ses distances avec l’école, de garder les mains propres. Il est pourtant à craindre que les psychologues scolaires n'aient rien à gagner à rejoindre cette immense cohorte, comme disait D. Anzieu, des « psys » de tout poil, y inclus psychiatres et infirmiers. Il demeure un des rares parmi les « psys » à avoir une identité affirmée, et ceci tout en restant un généraliste, c'est-à-dire un unificateur de savoirs psychologiques.
On voit bien des psychologues scolaires tentés par la ligne du retrait. Ainsi la revue des psychologues scolaires a abandonné son titre de : ‘«’ ‘ Psychologie scolaire »’ pour celui de ‘«’ ‘ Psychologie et Education »’. C'est pourtant une chance que la position particulière du psychologue scolaire. « La chance d’une position difficile à définir », telle la jugeait François Gaillard dans un article de ‘«’ ‘ Psychologie et Education ’» 820 . Une chance que sa situation au cœur d’une institution appelée à jouer un rôle essentiel dans la construction de la société à venir, et qui lui donne des moyens d'agir, dit-il (p. 22) Une chance que cette position instable dans un espace d’interface. Le psychologue scolaire est à la frontière, c'est ce qui lui permet de jouer son rôle de médiateur. Il est aussi dedans, il participe aux réunions d’équipe, il va discuter avec ses collègues enseignants durant les temps de récréation, etc., et ceci lui donne des avantages incontestables. ‘«’ ‘ Le psychologue dans l'école se distingue des autres psychologues avant tout parce qu'il a le temps pour lui : le temps non négligeable que l'enfant passe dans l'institution »’ 821 . Il dispose ainsi de plus de temps pour comprendre : il faudra énormément d'entretiens à un psychologue extérieur avant de comprendre ce que connaît un psychologue scolaire rien qu’en vivant dans le même milieu que l'enfant. Du temps aussi pour agir, non seulement parce qu’il lui est plus facile de planifier ses rencontres avec l’enfant, mais aussi par les possibilités d’action sur le contexte réel qui lui sont offertes, sur les interactions relationnelles et/ou d'apprentissage entre l'enseignant et l'élève, sur les méthodes, sur la relation de la famille à l'école. ‘«’ ‘ Il dispose d'une structure large comprenant un véritable système de compétences éducatives et une interface de collaboration parents école si bien qu'il peut choisir entre des actions directes et des actions indirectes susceptibles toutes deux de modifier la situation de l’enfant »’ (id.).
Le rôle de l’école est d’effectuer un travail d’éducation et d’aider ainsi à l’étayage du moi, et au développement des processus de pensée secondaires. La culture n’a pas qu’un rôle répressif, elle donne forme et force à l’esprit. Plus souvent qu’on ne le dit, ce travail permet de compenser les carences de l’éducation familiale 822 . Pour certains enfants aller à l’école est un sauvetage. Nous voyons le plus souvent les difficultés posées par l’adaptation de l’enfant à son nouveau milieu, les conséquences négatives, nous ne voyons plus ce qu’elle apporte parce que nous considérons que c’est là le développement normal de l’enfant.
Le psychologue scolaire est un des « acteurs » de l’acte éducatif, et pas seulement un médiateur. S’il est « psychothérapeute », non au sens professionnel du mot, mais en tant que son objectif est de faciliter, d’améliorer ou de relancer le fonctionnement psychologique de l’enfant, il joue aussi ce rôle comme « pédago-thérapeute ». Par fonction il s’intéresse tout particulièrement aux fonctionnements cognitifs, dans le développement desquels l’école joue un rôle important, tant par les instruments qu’elle fournit, décentration, enrichissement culturel, que par le plaisir de fonctionnement qu’elle peut procurer. On pourrait dire autrement que comme pédago-thérapeute le psychologue scolaire participe à une autre médiation, celle qui en liant l’enfant à une culture, va lui permettre de développer sa pensée en la secondarisant. Cependant l’élève n’est pas séparable de l’enfant, l’épanouissement de l’un n’est pas séparable de l’épanouissement de l’autre. Le psychologue scolaire est entre les deux, entre l’élève et l’enfant. Et par sa seule présence il est le rappel de cela que les enseignants pourraient être tentés d’oublier : que l’élève est aussi un enfant. Doublement médiateur est le psychologue scolaire, il l’est comme psychologue, et aussi comme éducateur.
Au moment où l’on commence à reconnaître la valeur des acquis professionnels, il est frappant de voir certains psychologues scolaires uniquement préoccupés d’avoir manqué d’une année de formation théorique pour atteindre la durée de formation des autres psychologues. Pourtant, pour être recrutés, ils ont dû remplir d’autres conditions. Ils ont passé un concours pour être admis à suivre la formations des maîtres. Après celle-ci ils ont fait la classe plusieurs années. Pour la pratique ultérieure de la psychologie scolaire, la formation en IUFM et surtout la pratique de la classe, ne sont-elles pas plus formatrices qu’une année universitaire supplémentaire ? Mais sans doute certains psychologues scolaires voient-ils une plus grande noblesse dans la position du psychologue que dans celle de l’enseignant ? Ce qui pourrait être une étonnante confusion de valeurs.
« Pluralité de la psychologie scolaire : le cas Suisse », p. 22. Dans cet article tout à fait intéressant, F. Gaillard, pointe en Suisse la même dérive, de vouloir gommer la spécificité de la psychologie scolaire, à la différence de ce qui se passe dans le monde anglo-saxon, où les psychologues scolaires n'ont pas honte de se poser comme tels. (« Psychologie et éducation », déc. 1996, La Pensée sauvage, pp. 25-41).
F. Gaillard, p. 29.
Imagine-t-on ce que serait le développement de beaucoup de ces enfants en difficulté si, « libérés » de l’école, ils n’avaient d’autre horizon que leur famille ou leur quartier. Il ne s’agit pas ici de nier leurs souffrances, mais de rappeler aussi le rôle d’ouverture de l’école. Voir aussi nos remarques sur la « résilience ».