Les projets personnalisés.

Les textes officiels rappellent qu’il revient à chaque enseignant, à l'intérieur de sa classe, de différencier sa pédagogie pour répondre aux besoins divers des élèves. Il est sans doute nécessaire de le rappeler 825 . Mais il n’est pas pour autant nécessaire de passer toujours par la formalisation de projets. L’important est que sa dimension dynamique anime la relation entre le maître et l’élève.

‘Histoire de Thècle. C’est l’histoire d’un enfant arrivé dans notre école un peu par hasard, à la suite d’une conversation avec un des psychologues du C.M.P.I.. Cet élève, me dit-il, rencontrait de grandes difficultés d’apprentissage, et ses conditions d’accueil dans son école d’alors se dégradaient gravement. Un climat de conflit aigu s’était installé entre l’enfant, sa mère et les enseignants. Sa mère était persuadée, sans que, à ce qu'il semble, on lui en ait jamais dit rien dit officiellement, mais peut-être avait-elle l'oreille fine, que l’école se préparait à exclure son fils, et qu’on allait lui demander de le placer dans un établissement spécialisé. Thècle lui ne voulait plus rien entendre de cette école et ses absences se multipliaient. Le psychologue qui le suivait se demandait d’ailleurs s’il ne devait pas demander au médecin de lui rédiger un certificat d’exemption.
Durant notre conversation, ce collègue clinicien, que je connais depuis longtemps, et dont les propres enfants sont passés chez nous, se souvient de la façon chaleureuse et contenante, dont le maître du C.M 2 chez qui son fils était passé, avait accueilli un enfant difficile. Il se demande tout haut devant moi s’il ne pourrait pas accueillir Thècle, et si j’accepterais de faire le lien.
Cela m'a pris tout compte fait assez peu de temps pour convaincre le directeur et l'enseignant d’examiner sa demande. Quelques jours après nous étions tous réunis dans le bureau du directeur, Thècle, sa mère, l'enseignant, le psychologue qui le suivait, et moi-même. Une fois quelques conditions posées et acceptées, en particulier que Thècle poursuive son suivi psychologique, l’affaire fut faite. Je ne vais pas m’attarder sur les péripéties parfois rocambolesques de la scolarité de Thècle dans cette classe. L’école en a longtemps gardé le souvenir. Dans la plupart des matières Thècle n’était vraiment pas à sa place. Pourtant il avait un place particulière dans la pensée et le cœur de l’instituteur et ils ont trouvé quelque chose à partager. Je crois que leur relation s’est nouée autour d’un projet né de leur amour commun de la pêche. J'ai moi-même assisté à la présentation par Thècle à la classe d’un exposé sur ce sujet. Est-ce à dater de ce jour, en tout cas cette année-là quelque chose a changé du rapport deThècle à l’école. À la fin de l'année il a redoublé cette classe avec le même maître. Il n'a certes pas fait de progrés transcendants, mais suffisants pour qu’on l’envoie en sixième normale, lui qu'on avait effectivement envisagé d’orienter vers l’enseignement spécialisé. Je crois bien que le souvenir de ces deux années passées avec ce maître est resté suffisamment vivant en lui pour lui permettre de supporter les autres années d’enseignement général à faire avant son orientation vers l’enseignement professionnel. Une dizaine d'années plus tard, celui qui était devenu un jeune adulte est venu remercier avec émotion son instituteur au moment du départ de celui-ci à la retraite. Il n’était pas tout seul mais un parmi plusieurs autre élèves reconnaissants. Ce maître bourru et exigeant, mais chaleureux, amateur de foot et de vins, avait su réveiller chez lui, comme chez tous les anciens élèves là présents, le plaisir d’aller à l’école. ’

À ce maître pourtant il ne fallait pas demander de participer à la rédaction d’un projet d'école ou projet de cycle pour satisfaire l’administration. Il avait quelques expressions bien senties pour qualifier les textes administratifs en général et sur ce sujet en particulier. Il était de la vieille école, celle où le maître, sans qu’on ait besoin de le lui rappeler dans un langage parfois abscons, se sent responsable de chacun de ses élèves, et avec chacun d’eux a une relation personnelle qui va le porter en avant.

Si nous avons tenu à rapporter cette histoire, c’est pour montrer que l’important est qu’un projet s’anime de la relation vivante entre le maître et l’élève. Avec un autre maître, ce type d’action aurait pu être formalisé et donner lieu à ce qu’on appelle un « Projet pédagogique personnalisé » 826 . Ce type de projet, prévu par les textes, a pour objectif de permettre à l’équipe pédagogique, avec l’accord des parents, d’adapter la pédagogie (pédagogie différenciée, groupes de soutien, intervention éventuelle du réseau d’aide) à l’élève. Nous allons y venir. Dans le cas de Thècle ce projet a été porté essentiellement par le maître qui s’est voulu patron et seul responsable, et par la relation vivante créée entre eux. La mère, le psychologue scolaire, le psychologue du C.M.P.I., n’ont été présents que comme garants et jamais n’ont eu à intervenir activement dans le projet. Rien ici n’a été formalisé. L’important nous le savons c’est que le projet soit mobilisateur, qu’il soit construit dans une rencontre authentique. 827 . Il arrive cependant des situations où l’enseignant ne peut porter seul le projet, où tel membre du réseau doit intervenir régulièrement, où d’autres personnes de l’équipe pédagogique sont concernées ( décloisonnement, fonctionnement en atelier). Il devient alors nécessaire de clarifier par un écrit, les tâches et les objectifs de chacun.

Notes
825.

« La difficulté est inhérente au processus même d'apprentissage » rappellent les textes.

826.

Dénomination utilisée dans la circulaire 2002-113 du 30/04/2002, p. 3. Encore désignés parfois sous l’ancienne dénomination de Projet pédagogiques individualisés », P.P.I.. La nouvelle expression est bien préférable car elle renvoie à la « personne ». Elle nous dit ainsi que l’objectif est que projet devienne le projet « personnel » de l’élève, un projet « pour soi » susceptible de le mobiliser ( de « movere », mettre en mouvement).

827.

Que le projet de l’enfant se construise dans l’interaction, voire l’identification, avec les adultes (les parents, l’enseignant) n’en fait pas un forme d’» aliénation ». Réaliser le désir de ses parents n’en fait pas nécessairement un « névrosé ».Il est faux d’affirmer que l’enfant ne peut développer un projet personnel que contre celui de ses parents (ou contre celui de l’école). Le projet que ses parents ont pour lui le porte et le soutient plus souvent qu’il ne l’étouffe (l’enfant remède, pour réparer un deuil, une séparation). En grandissant, en élargissant le cercle de ses rencontres, et de ses investissements, il prendra la juste distance avec ce socle, réalisant parfois leur désir de manière inattendue. Mais il est important que les enfants bénéficient d'un environnement riche offrant de multiples possibilités d'attachement et lui permettant de se voir dans des miroirs différents.