Le projet d’intégration

Une des missions clairement assignées par les textes au psychologue scolaire, est de soutenir l’intégration des jeunes handicapés dans l’institution scolaire, objectif né de la loi Veil de 1975, et de plus en plus affirmé au long des années dans les circulaires d’application. 835 Ainsi dans la dernière en date, en 2002, 836  : ‘«’ ‘  Les dispositifs d’intégration scolaire concourent à la scolarisation d'élèves présentant des maladies ou des handicaps sur l'ensemble des niveaux d'enseignement. Chaque école, chaque lycée a vocation à accueillir, sans discrimination, les enfants et les adolescents handicapés ou malades dont la famille demande l'intégration scolaire. Il n'est dérogé à cette règle que si, après une étude approfondie de la situation, des difficultés importantes rendent objectivement cette intégration impossible ou trop exigeante pour l ‘élève ’» 837 .

Le psychologue scolaire apporte ‘«’ ‘ l’appui de ses compétences » ’à l’élaboration et au suivi du ‘«’ ‘ Projet d’intégration ’» 838 . Sa connaissance des différents handicaps lui permet en effet de jouer un rôle de conseil auprès des enseignants qui accueillent l'enfant, ainsi qu'auprès des parents. Cependant, dans de nombreux cas, ce rôle peut-être rempli, et de meilleure façon, par des intervenants extérieurs spécialisés qui ont une meilleure connaissance de la pathologie spécifique présentée par l'enfant. Le psychologue, l’infirmier, ou l'éducateur, du centre d'éducation motrice, ou de l'hôpital de jour par exemple, sont mieux à même de jouer ce rôle de conseil. Ils ne sont cependant pas toujours présents. Quoi qu'il en soit, il reste toujours un rôle à jouer pour le psychologue scolaire, dans l'étayage, l'écoute des enseignants et des parents et surtout dans la médiation entre eux. Un des éléments importants de la réussite d'un projet d'intégration, est l’existence d’un lieu où ils puissent dire leurs difficultés, 839 mais aussi où ils puissent être entendus de l'autre. Deux fonctions d’accueil et de filtre cruciales à ces moments de crise qui surviennent toujours, où il devient pour chacun difficile de continuer à penser dynamiquement l’intégration. Parce que c’est souvent lui qui se trouve là, disponible, c’est au psychologue scolaire qu’il échoie d’assurer cette fonction. ( Ce rôle d'écoute et de médiation il peut aussi le remplir dans le cadre de groupe de parents et d'enseignants, quand il s'agit des dispositifs collectif d'intégration, CLIS et UPI, dont nous parlons plus loin).

L’intégration de Paulin. Il y a des intégrations qui marchent bien, où les différents intervenant se sont sentis compris des autres, ont pu échanger dans les moments difficiles, dire et être entendus sur ce qui n’allait pas, où l’on n’était pas dans la dénégation des difficultés réelles, celle de l’enfant, celle des parents ou celles de l’équipe enseignante.
C’est la directrice de la maternelle qui m’en a parlé la première fois. Paulin est un enfant I.M.C. suite à des difficultés d’accouchement. Sa maman demande s'il ne pourrait être accepté à l'école à mi-temps le matin, il en a tellement envie. Il habite tout près de l’école. Dans la semaine je reçois un appel téléphonique de la psychologue du centre de l'éducation qui propose une réunion afin de préparer au mieux l’accueil de Paulin. Avant cette réunion les deux enseignantes faisaient toutes deux grise mine, réclamant des garanties. Mais proposant quand même des choses, comme çà, en l’air ; c’est déjà un projet qui commence à s’élaborer sans s’avouer. On admet qu’on allègera l’effectif de l’autre classe, que l’institutrice qui l’accueillera aura l’aide du réseau une heure par jour. Une des Atsem, jeune et solide, est volontaire pour la classe qui l’accueillera
840 . Une réunion est prévue à laquelle j’arrive avec quelques minutes de retard. Mais l’essentiel s’est déjà joué, les parents et l’enseignante se sont déjà choisis sans que l’on sache bien comment. Il n’y a plus qu’à clarifier les engagements de chacun. Le projet présent dans son intention, se concrétise alors peu à peu. Dans la discussion des idées naissent, portées avec émotion. Le projet s'enrichit de l'investissement de chacun, mais aussi des différentes compétences professionnelles. Celles du représentant du centre I.M.C., celle des membres du réseau, celles de l’institutrice qui découvre qu’elle a déjà des savoirs utilisables, dans cet échange qui nous rend tous intelligents, à notre propre surprise parfois. Partant de là, l’intégration de cet enfant se poursuivra avec facilité. Les équipes pédagogiques étant participantes, Paulin est bien connu de chacun, et tout le monde est satisfait de son évolution. Bien sûr il y aura quelques moments un peu plus difficiles pour l’institutrice, des moments où elle aura besoin de trouver quelqu’un d’un peu extérieur qui l’écoute. Au retour des vacances de Noël, elle m’appelle pour que je vienne observer Paulin dans la classe. Il a beaucoup perdu de ce qu’elle lui avait appris, et elle se demande si ce qu’elle fait sert à quelque chose. Ne progresserait-il pas mieux s’il avait affaire à des enseignants formés pour de tels enfants? Une évaluation de la situation montre que Paulin a un peu perdu pendant les vacances, mais que cela tient à ce que tout le monde a un peu relaché la pression à la fin d’un premier trimestre assez éprouvant pour tous. En outre, pour des raisons fortuites, l’équipe qui entourait l’institutrice avait annulé deux rencontres. Tout marchait si bien. C’était sans doute cela qui avait manqué à l’intitutrice, ces échanges où elle pouvait parler de ses inquiétudes, et où on la rassurait. En réunion de réseau on décida donc, qu’à chacun de mes passages dans l’école, je profiterai de la récréation pour aller aux nouvelles. A partir de là l’intégration reprit son cours ordinaire. Paulin continua son parcours sans anicroche du moins jusqu’à la fin de la maternelle où il dût changer d’école, 841 les classes de l’école élémentaire étant toutes en étage.

Mais en matière d’intégration plus qu’ailleurs, compte-tenu de la charge psychologique que fait peser le handicap sur nos psychismes, il y a à coté de projets vivants portés par une dynamique mentale, des projets morts qui n’existent que sur papier et dans les classeurs de l’administration. Parfois la qualité de la relation est bonne, mais elle ne suffit pas. Il n’y a pas que la socialisation à réaliser, mais des apprentissages à acquérir. Et s’il y a des échecs visibles, par exemple avec des enseignants de grande valeur, motivés mais un peu trop perfectionnistes quant à la réalisation des objectifs, (ils demandent parfois plus à ces enfants qu’aux autres élèves de la classe) il en est d’autres qu’on ne voit pas. Il y a des intégrations qui ne sont des réussites qu’en apparence, tout simplement parce qu’on y a abandonné toute exigence pédagogique.

‘Dans une école voisine, un enfant présentant la même infirmité. Mais la situation n’est pas la même. Il y a d’abord une Atsem qui a mal au dos, mais qu’on ne veut pas changer, parce que cela arrange tout le monde qu’elle freine le projet. Tout le monde ressent au long des réunions de mise en place et de suivi du projet, la glaciation progressive des échanges. L’année suivante la mère demandera l’accueil à temps complet de son enfant en centre spécialisé. Elle pense à juste raison que c’est là-bas qu’il sera porté par une dynamique.
Dans la classe voisine, l’intégration d’un enfant trisomique se passe en apparence correctement, il est accueilli en tout cas parmi les enfants normaux. L’enseignante est souriante avec les parents. Pour autant le projet n’est qu’un conjonction de mensonges et de faux-semblants. Pas de projet au fond pour lui ; que celui d’être posé parmi les autres. Une intégration d’autant plus acceptée qu’elle n’a d’autre réalité que celle du papier.
Ainsi celui qui pouvait participer activement aux échanges intellectuels n’a pu en profiter parce qu’il fallait souvent le porter de sa table de classe à son fauteuil roulant. L’autre ne pose aucun problème de ce type, et comme personne n’a d’autre ambition pour lui que sa présence formelle dans la classe on est assuré que l’intégration se passera sans heurt et sans conflit. Dans ce cas là le projet n’a qu’une réalité formelle, aucune vie psychique.’

On peut comprendre que certains parents se contentent de cela, qui est déjà beaucoup pour eux. Ils ont raison de se battre d’abord pour un principe. Mais au moment de faire passer dans la réalité ce désir abstrait, il est important qu’il soit concrétisé en un projet détaillé, portant mention précise des acquis à réaliser, et évalué, pour ne pas être une trompeuse illusion, qui tôt ou tard sera confrontée à une réalité douloureuse. Une évaluation objective de la situation, des contraintes et des ouvertures, est ainsi très importante. De ce point de vue, il y a dans les textes directeurs, des expressions, généreuses d’intention, mais trompeuses sur la situation réelle et qui ne préparent pas aux bonnes orientations. Comme lorsque on présente les enfants souffrant de handicaps comme des enfants « en situation de handicap », ou « perçus comme différents ». En disant cela et en le répétant, on finit par signifier que leurs difficultés sont toutes extérieures. Au bout du compte, on donne à penser qu’en faisant « comme si » on effacerait le plus gros de leurs difficultés. Quel projet concret personnalisé construire sur de telles bases, sinon le projet général d’intégrer pour intégrer?

Notes
835.

La loi du 30 Juin 1975 définissait un certain nombre de droits, dont le droit à l’éducation, en faveur des personnes handicapées (« une obligation nationale »). Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 l’accent est mis sur l’intégration en milieu scolaire (voir la circulaire du 29-01-1983 et plus tard celle du 18-11-1991).

836.

Circulaire 2002-111.

837.

La circulaire poursuit en évoquent les solutions alternatives à l’intégration. Nous y reviendrons.

838.

Pour les enfants présentant de « purs » problèmes médicaux (classique : l’asthme) le « Projet d’Aide individualisé » P.A.I..

839.

Le psychologue scolaire joue là le rôle de sein-poubelle évoqué dans le chapitre sur la parole. De là au mauvais objet, il n’y a pas loin.

840.

A l’époque il n’y avait pas d’auxiliaire de vie, ni d’aides-éducateurs dans les écoles.

841.

Une question qu’on n’aime pas beaucoup entendre : l'évaluation de l'intégration. Si le projet est autre chose que la simple intention morale, il doit détailler un certain nombre d’objectifs accessibles et vérifier dans quelle mesure ils ont été atteints. A moins qu'il n'y ait d'autre objectif que l'intégration en soi.