Conclusion

‘«’ ‘ Dans la vie de tous les jours, la plupart des situations et actions sont reconnues quasi spontanément par le sujet comme s’inscrivant ou non dans un projet ou plan de vie hiérarchisé ’». 858

Cette proposition, par laquelle J. Nuttin conclut son livre sur la motivation humaine peut paraître déplacée à propos d’enfants. Il est pourtant important de poser comme principe régulateur de notre action que tout enfant porte en puissance un projet à accompagner et à étayer. Chaque existence individuelle est unique dans son histoire et dans son projet. Mais ce projet là, projet de vie, est difficile à porter dans le temps du passage par le système éducatif, compte-tenu de ce qu’il est et des contraintes d’uniformisation qu’il fait peser sur les individus. Nous venons de le voir avec le projet d’orientation. Pour les bons élèves leur projet personnel arrivera à se couler sans problème dans le projet institutionnel, mais pour les autres, pour les enfants en difficulté c’est seulement plus tard à la sortie du système que leur horizon se dégagera. 859

Cependant pour ces enfants, des projets plus limités peuvent trouver leur place et leur utilité 860 . Ainsi ces projets d’aides, formalisés ou non, spécialisés ou non, qui permettent de mettre un peu d’air dans le système, et qui visent à relancer une dynamique avant qu’elle ne soit étouffée et que l’échec avéré n’empêche de penser, de se penser un devenir dans l’école. Le travail d’accompagnement, de soutien et de suivi confié aux réseaux sert à cela, maintenir dans le mouvement, au moins continuer à mettre du sens dans ce qui se fait à l’école. Et par exemple les échanges avec le psychologue scolaire permettent encore pour un temps d'étayer le sujet. L’interaction psychologique dynamique permet au moins de continuer à penser, de maintenir une pensée vivante. 861 Avec un projet il s’agit de permettre à celui qui subissait, qui était assujetti, de redevenir un agent, un acteur. Et même si c’est difficile, et si à un certain niveau d’échec, après trop d’insuccès et de ratages, on en vient à penser que c’est inutile, cela ne l’est jamais. Il reste toujours quelque chose des projets portés pour un enfant, ne serait-ce que cette idée essentielle qu’un jour quelque chose a paru possible, dont le souvenir sera gardé et permettra qu’un projet personnel naisse, plus tard, quand les circonstances le permettront. Le souvenir qu’un jour, dans l’école, il a rencontré quelqu’un qui a pensé qu’il portait quelque chose en lui d’unique à réaliser.

Le rôle du psychologue il est à l’image de celui du moi. Il fonctionne comme lui. Il en a la force et aussi la faiblesse. C’est en effet au moi, représentant de la personne totale, moi intégrateur, à porter le projet. Et c’est en tant qu’auxiliaire du moi, en accompagnant son travail de médiation entre les différentes instances, dans une dialectique inter et intra-subjective, que le psychologue remplit son rôle. « Mon » projet, un projet «personnalisé”, c’est le projet endossé par le moi et mis en acte par lui. Le projet c’est, pour reprendre une expression que P. Ricœur 862 emprunte à Aristote, un « désir délibéré ». Il s’enracine dans le désir, le pulsionnel, le corporel vital, mais pour devenir « pratique » il doit passer par l’intellect, la raison qui éclaire le choix. Ainsi c’est dans le passage du principe de plaisir au principe de réalité que le désir se fait raison pratique. L’acte unificateur c’est le moi qui le porte. Soumis aux contraintes, pris dans le système, il n’en est pas moins l’auteur.

Notes
858.

J. Nuttin, ouvrage cité, p. 338.

859.

A intégrer : les grands projets de vie, le projet professionnel, le projet familial, le projet dans la marge : les violons d’Ingre.

860.

Même : pour tout jeune enfant le projet est forcément limité car à la différence de l’adolescent il a du mal à penser objectivement les possibles (voir J. Piaget l’accès au stade formel). Pour le jeune enfant, compte tenu de sa difficulté à penser rationnellement un projet à moyen et long terme, le projet est limité, il peut y avoir que des projets réduits dans le temps. Il n’empêche que l’imaginaire qui va les porter est déjà là présent dans l’enfance. C’est de là qu’il vient. Le projet rend opératoire l’intention en l’explicitant. Mais l’intention naît dans l’imagination.

861.

Le projet comme support de l’identité (dans le court terme et dans le long terme).

862.

Pour donner une image de l’architecture complexe du projet et de tout ce qu’il mobilise, j’ai trouvé ces quelques lignes de Paul Ricoeur tirée de son article « Volonté » de l’ » Encyclopaedia Universalis ». Il y décrit l'acte volontaire comme projet : «  la volition présente une architecture très complexe : on y retrouve la saisie perceptive d'une situation, l'imagination de certains buts à atteindre, la projection de certains buts à satisfaire, des estimations éthiques et autres, une appréciation des obstacles et des voies praticables, un calcul raisonné des moyens et des fins, un jugement de probabilité sur les chances de réussir, etc. ». Si l’on considère l’architecture complexe du projet, on comprend que le rôle du moi est encore primordial.