Défense de la psychologie d’un point de vue éthique.

Au vrai, c’est aussi une interpellation éthique qui nous a poussé à tenter de répondre aux assauts des systèmes réductionnistes. Notre affirmation du droit à l’existence de la psychologie voulait aller au-delà de la défense « corporatiste » de pratiques 918 . Nous avons vu en effet que l’attaque portée contre la psychologie a été étroitement liée à une critique des valeurs d’individualité, de privacy, d’humanité 919 . L’affirmation de la psychologie et de l’existence de son objet propre, le penser, a pour nous une dimension morale. Et reconnaître cela, fournit déjà aux psychologues un principe directeur pour leur pratique. Ils devront toujours agir pour qu’au final soient au moins préservés, sinon étayés, ou même renforcés et enrichis, l’intériorité, le moi, l’humain dans l’autre. Ce principe ne répond pas seulement à une exigence déontologique, il a aussi une vertu pratique, il produit des effets.

Accepter de rencontrer une personne, un sujet individuel et unique, c’est refuser de n’entendre dans ce qu’il me dit qu’un grand discours impersonnel et/ou collectif. Accepter l’autre comme ce qui peut m’échapper, comme il peut échapper à tous les déterminismes familiaux et sociaux, à tous les systèmes. Savoir que c’est dans son for intérieur qu’il en trouvera les ressources. Défendre l’idée qu’un changement, une création, l’apparition de nouveauté, est toujours possible, et en tout cas se mettre professionnellement au service de cette ouverture. ‘«’ ‘Traiter l'homme comme un objet revient à se dénaturer soi-même, jusque dans le cas où la liberté de cet homme semble abolie, qui reste cependant inviolabl’e”, dit France Quéré. 920

Tels sont les grands principes de la pratique professionnelle. Il faut savoir reconnaître les contraintes qui pèsent sur un sujet, mais ne pas les accepter comme un destin, même si dans un premier temps cela peut le soulager. Les déterminations qui pèsent sur un sujet, un enfant en particulier, ne peuvent être niées. D’où la nécessité d’ailleurs, que nous avons soulignée, de réserver une place importante à l’évaluation de la situation du sujet, de ses contraintes et de ses opportunités. Tout ce que nous ont appris les sciences non historiques (au sens de Piaget) doit être utilisé et constitue un point d’appui pour accompagner le sujet concret dans son changement. Tel est l’objet de l’évaluation. Mais cette partie de notre intervention n’est qu’un moyen en vue d’un objectif final qui doit être de donner un peu plus d’autonomie et de liberté au sujet concret, de l’ouvrir vers de nouveaux projets, de « réenchanter » sa vie.

Notes
918.

Par exemple celles, éclectiques, du psychologue scolaire.

919.

Non chez le Canguilhem «réel”, mais dans l’interprétation donnée.

920.

Cette phrase figure dans «Connaissance et maîtrise du système nerveux », une conférence devant le  comité consultatif national d'éthique (Publiée dans « Conscience et neurosciences », Bayard, p. 56). Même lorsque les éclipses de sa raison semblent le ravaler à un simple morceau de nature, la médecine ne peut en disposer comme d'un objet. « Elle a seulement pour tâche de rendre, à qui l’a perdue, la capacité de soi sur soi. ».