Actualité de la question.

‘«  L'individu qui pense, contre la société qui dort, voilà l'histoire éternelle et le printemps a toujours le même hiver à vaincre. » Alain. 24 avril 1911.’

Pourquoi demandions-nous au début, toutes ces analyses pour défendre la psychologie, alors que l’attaque à son acmé date maintenant de plus de trente ans, et que la psychologie semble ne s’être jamais aussi bien portée ? Comment vont aujourd’hui, la psychologie, le sujet psychologique, et l’humanisme lui-même? 934

Il semble que l’histoire ait tranché. La psychologie est omni-présente, chacun prend soin de son moi et de son développement personnel. Et quant à l’humanisme, la fin des régimes totalitaires, l’a ramené au centre de toutes les sollicitudes. Si leur règne est, comme il semble, assuré, qu’avions nous besoin de les défendre. Mais allons quand même y voir de plus près.

L’humanisme. On pourrait penser qu’après la chute des régimes de l’Est, le renouveau des questions éthiques, la prééminence des droits de l’homme et des actions humanitaires, sont les signes probants d’un retour de la pensée humaniste. Voire. Car d’un autre coté P. Sloterdijk dans son opuscule ‘«’ ‘ Règles pour le parc humain : une lettre en réponse à la lettre sur l'humanisme de Heidegger ’» 935 ou M. Houellebeck dans son roman ‘«’ ‘ Les particules élémentaires »’, nous promettent un monde où les valeurs humanistes seront remplacées par la technologie biologique.

Le Moi . Jamais l’individualisme n’a été aussi apparent qu’aujourd’hui.  Aucune époque, semble-t-il, ne l’a autant cultivé. Mais c’est un moi narcissique, idéalisé mais désarmé, bref un moi « spéculaire », non un moi fort. J. Lacan aurait-il eu raison trop tôt ? A moins que ses attaques du Moi fort et adapté, ne soient responsables de l’apparition de ces Mois de surface. Des Mois qui s’étalent, se répandent. Notre époque poursuit l’œuvre de destruction de l’intimité dénoncée par G. Steiner. Il faut tout extérioriser.  On étale son self jusqu’aux exhibitions intimes. Catherine M., c’est encore le loft, remarque J. Beaudrillard. 936 . D’ailleurs qu’aurions-nous à intérioriser, puisqu’il n’y a plus de grands modèles, plus de repères ni de Pères. Comme l’a dit M. Schneider 937 , si l’on voulait écrire aujourd’hui un nouveau « Malaise dans la civilisation », il faudrait le titrer :«Malaise sans la civilisation”.Charles Péguy nous avait pourtant prévenu que les vrais aventuriers de notre monde seraient les pères de famille 938 . C’est aujourd’hui la quatrième tâche impossible, dit M. Schneider, soulignant que ‘«’ ‘ la dimension paternelle des trois autres (enseigner, gouverner et soigner ) a d’ailleurs été peu à peu effacée ’». 939

La psychologie enfin comment se porte-t-elle? Dans le champ théorique, toujours menacée par de nouveaux positivismes, elle est prise entre le risque de l’éclatement et la menace de l’émimination. A l’université, on voit les filières de psychologie cognitive remplacer peu à peu les filières cliniques. L’enseignement de la psychologie était né dans des Facultés de lettres et sciences humaines. Toujours hantée par son besoin de reconnaissance scientifique, la psychologie semble se pousser du coté des sciences du vivant. Elle risque d’y perdre son identité et quelque chose de son humanité. Car malgré certaines dérives que nous avons signalées, la clinique reste ce lieu où l’on peut rencontrer l’autre dans sa richesse et sa singularité, celui aussi où les différentes psychologies, naturelles ou scientifiques, peuvnt réussir leur métissage.

Hors université, nous avons pointé d’autres dérives qui conduisent à centrer tout le travail sur la pure expression de soi. Cause ou conséquence, ces pratiques s’ajustent un peu bien aux nouvelles personnalités. Elles tendent un miroir à leur narcissisme. Par ce biais du besoin de s’exprimer, la psychologie fait retour en déluge dans l’espace quotidien. Elle nous envahit, et mobilise les médias, mais uniquement au service des petits narcissismes. Une psychologie pusillanime et complaisante qui se borne à accueillir sans proposer, à recevoir sans construire. Une psychologie hémiplégique.

Nous voilà au bout de notre chemin. Fallait-il l’entreprendre? Avions-nous besoin de nous lancer dans ce travail difficile et peut-être vain. Faisant le bilan, à la fin de notre carrière, nous nous sommes demandé ce que nous avions fait, quel fut notre rôle. Les vraies réponses, plutôt que dans ces pages, elles furent sans doute plutôt dans nos actions. Ai-je bien servi les autres, les ai-je aidés à progresser, ai-je participé à ma place à former des individus plus libres et plus autonome pour affronter le monde qui vient ? Nous avons cependant eu besoin de tenter de penser cela.

Quel futur demandions-nous? C’est aux autres à présent d’y travailler. Le temps est venu de passer le relais. Mais plus que jamais il est nécessaire de penser la psychologie.

«  Au milieu du chemin de notre vie
je me retrouvai par une forêt obscure
car la voie droite était perdue.
…/…
Tandis que je glissais vers le bas lieu,
Une figure s’offrit à mes regards,
qu’un long silence avait toute affaiblie.
.../...
Alors il s’ébranla et je suivis ses pas.

La Divine Comédie. Chant I.
Diane de Selliers, Paris, 1996, p. 5
Notes
934.

C’est encore la place du moi c’est-à dire aussi de l'intériorité et de l’humanisme, du sujet individuel face au collectif. Pour nous le moi est le moi «humanisé”.

935.

Mille et une nuits, 2000. Il s’agit du texte d’une intervention lors d'un colloque en 1999, où il s’attaquait à la «Lettre sur l'humanisme » de Heidegger. En faisant de l’homme le «berger de l’être”, Heidegger lui montrerait encore trop de respect. Pour Peter Sloterdijk, l’humanisme ayant échoué comme «éleveur” de l’homme sera remplacé par une « zoo-politique » sélectionnant, grâce au clonage et à l’eugénisme, les caractéristiques de ce troupeau de bipèdes. La position de Sloterdijk est ambigüe, entre critique de Platon, de l’eugénisme (associé aux «lycées humanistes de l’époque bourgeoise” -p.50) et fascination pour Nietzsche et son surhomme.

936.

La copulation mécanique, version behavioriste, c’est le monde machinique de Deleuze et Guattari réalisé. Où est l’érotisme sans l’interdit, sans l’entrevu, sans l’imagination ? Et c’est encore au niveau du moi, dans l’entre-deux, qu’il peut se jouer.

937.

M. Schneider «Big Mother. Psychopathologie de la vie politique”O. Jacob (2002), p. 296.

938.

«Il n'y a qu'un aventurier au monde, et cela se voit très notamment dans le monde moderne : c'est le père de famille.”(  « Dialogue de l'histoire et de l'âme charnelle », éditions de la Pléiade tome III , p. 647) 

939.

Id., p. 279.