L'espace baroque n'est plus celui que délimite un contenant, l’espace de Brunelleschi, mais l'espace leibnizien de l'ordre des coexistants. Comme le relève P. Charpentrat dans un livre majeur (1985), ce n'est pas un hasard si la « Monadologie » est dédiée au premier client de Fischer von Erlach. Les « mathématiques baroques », dit-il, en s'appuyant sur S. Giedon, ‘«’ ‘ discréditent l'enveloppe tangible des choses et les placent comme on sait, entre deux infinis ’».
De l'esprit, certains aimeraient dire ce que Diderot, dans sa réfutation d’Helvétius, disait de Leibniz : qu'il ‘«’ ‘ est une machine à réflexion comme le métier à bas est une machine à ourdissage »’. Voilà une métaphore parfaite pour introduire un traité d’Intelligence Artificielle. Après tout les computeurs descendent en ligne directe, grâce à Babbage, des métiers à tisser Jacquard. Ce serait cependant réduire l’esprit à la numérisation. Le pli baroque nous signifie plus que cela. Il nous renvoie aux grandes étoffes plissées, qui ne servent pas à protéger ou à contenir, mais dont au contraire le jeu ondoyant permet, en les « compliquant », de voiler les limites trop crues. A leur image, la pensée serait alors comme une étoffe baroque, vivante et dynamique, mouvement entre deux espaces.. Car le baroque efface les limites ; il aime à représenter les passages. L'architecture baroque fait éclater l'espace tridimensionnel avec ses trompe-l’œil, ces renvois redoublés, l'éclatement des points de fuite, multipliés pour créer un espace dynamique. Elle vise l’infini cette architecture qui efface les parois, multiplie les colonnes inutiles pour tordre l'espace, et prolonge son élan ascensionnel par des fresques peintes ‘«’ ‘ scènes d’illusion et l’on dirait d’imagination céleste ’». 947
‘ » L’art est ici non pas objet de contemplation esthétique, comme dans un musée, mais conducteur et récepteur d’énergie psychique, psychagogue » Marc Fumaroli948 ’V.L. Tapié, «Le Baroque”, p. 50. Voir aussi d’Alain Buisine «Les ciels de Tiepolo”.
Préface au livre de V. L. Tapié, «Baroque et classicisme”, poche 1980, page 31.