Préalables à l'apprentissage

La compréhension générale des conditions d'apprentissage a été largement facilitée par les travaux conduits en Sciences Humaines et, en particulier, par ceux de Kurt LEWIS sur la dynamique des groupes, de Jean PIAGET 21 et de Carl ROGERS.

Nous retiendrons trois préalables :

  • Motivations, confiance, réciprocité :

La motivation est un moteur puissant de l'apprentissage. L'utilité sociale et professionnelle des savoirs à acquérir aussi. Pour être réellement fructueuse, une relation pédagogique ne se construit pas dans la contrainte. Le savoir ne s'acquiert pas, ou mal, dans l'insécurité d'un pouvoir coercitif. Un tel savoir nuit souvent aux apprentissages ultérieurs, soit en créant un effet de filtre, soit en replongeant à son insu l'adulte dans des situations pédagogiques traumatisantes.

La confiance et la réciprocité apparaissent aussi comme des composantes essentielles d'une situation pédagogique favorable. Confiance en soi et en l'autre, qu'il soit formateur ou apprenant. Relation construite dans la réciprocité, au sens où chacun reconnaît l'autre pour ce qu'il est, dans sa richesse et ses insuffisances, en essayant de ne pas s'arrêter à ses premières représentations et impressions.

L'éducation des adultes est en cela une bonne école de tolérance et d'ouverture. La réciprocité vise aussi à donner à chacun un statut non dépendant, à faire que la parole soit un acte partagé, à reconnaître chez chacun une expérience sur laquelle s'appuyer.

  • Jouer le conflit socio-cognitif :

Au-delà de ces conditions nécessaires pour que s'instaure un climat favorable aux échanges et à l'apprentissage, il est important d'utiliser le "conflit socio-cognitif", de savoir jouer sur les interactions, les échanges contradictoires et leurs effets sur la pensée et le raisonnement de l'individu et du groupe : jeu indispensable et nécessaire aux mécanismes de l'apprentissage, comme l'ont montré de nombreux travaux (VYTGOTSKI, DOISE...). Il s'agit de s'appuyer sur la dynamique des petits groupes, qui sont à la fois des espaces de production, d'appropriation, de mémorisation et de débat. Espace et temps propices à l'écoute et à la libre parole, ils sortent le sujet apprenant de son isolement car "on n'entend pas tout seul… les liens avec les pairs, les personnes ressources, l'environnement social constituent un facteur primordial de conquête active du savoir" 22 . De plus, cette situation de groupe est proche des conditions professionnelles "dans les conditions ordinaires, l'action à plusieurs, outre sa valeur immédiate, revêt aussi une valeur d'apprentissage pour l'avenir et contribue à la constitution de savoirs. Les interactions de travail supposent toutes, de la part de ceux qui y participent, des inférences, des constructions de signification, des confirmations ou réfutations pratiques venant réactiver et enrichir un savoir préalable et contribuer à l'action future" 23 . Cependant, quelles que soient les vertus du travail collectif, il ne faut pas omettre de susciter, voire de provoquer, dans des situations plurielles, un autre type de conflit, le conflit "intra-cognitif", où l'apprenant se retrouve face à lui-même et à ses difficultés. La conjugaison des dynamiques inter et intra groupales avec les dynamiques individuelles apparaît aujourd'hui comme le garant d'une plus grande productivité pédagogique : double dynamique permettant à chacun de progresser, seul et avec les autres.

  • La professionnalité du formateur :

Le formateur n'est pas un enseignant. Il ne se définit pas seulement comme détenteur d'un savoir à transmettre ; c'est davantage un "facilitateur", qui s'efforce de mettre en place et d'impulser un processus d'apprentissage. Il doit accepter les remises en cause, les "atteintes à son statut". Il est à même d'entendre les critiques, souvent pertinentes, de sa gestion pédagogique, de ses manières d'être ou de conduire l'activité. Il doit faire amende honorable pour reconnaître ses ignorances, voire ses insuffisances, et ainsi accepter d'apprendre de ses stagiaires.

Le formateur est un médiateur et un modulateur. Toute pédagogie implique de créer une synergie mais elle doit aussi favoriser l'acte d'apprendre, qui est une mise en relation avec l'objet à connaître. Cette mise en relation "s'opère… à l'aide de moyens et/ou de personnes qui exercent une fonction de médiation auprès du sujet ou une fonction d'organisation de l'objet" 24 . C'est dans cette double fonction que l'activité de formateur prend du sens. Médiation volontairement produite, plutôt que laissée au hasard ; rencontre opportunément provoquée entre un individu et un geste, un concept, une procédure. Tout l'art, souvent fruit de l'expérience, consiste à se saisir d'un environ-nement, d'un climat, de contenus, et de les transformer en occasions d'apprentissage.

En milieu adulte, le formateur devient une personne ressource privilégiée, un conseiller et un médiateur. Il est un faiseur de situations propices aux apprentissages, plutôt qu'un diseur de savoir. Il crée ou aide à créer, facilite la rencontre d'un individu ou d'un groupe avec un espace, un temps et une organisation où l'acte d'apprendre devient possible.

Dans ce rôle de médiateur, il "s'efforce d'organiser et de rendre facilement accessible le plus grand éventail possible de ressources d'apprentissages… Il se considère lui-même comme une ressource pleine de souplesse utilisable par le groupe… Il est capable de devenir lui-même un participant en apprentissage, un membre du groupe, exprimant ses vues comme étant simplement celles d'une personne… Il s'efforce de reconnaître et d'accepter ses propres limites" 25 .

Notes
21.

PIAGET Jean – Introduction à l'épistémologie génétique – Puf (1950), Logique et perception – Puf (1958), Traité de psychologie expérimentale, Puf (1963).

22.

AUMONT B., MESNIER Ph. - L'acte d'apprendre – PUF p.187 (1992)

23.

BORZEIX A., LACOSTE M.- Apprentissage et pratiques langagières : perspectives socio-linguistiques – Editions de la M.S.H. – cahier n°6 (1991)

24.

AUMONT B., MESNIER P.M., Op.cit; p.37

25.

ROGERS C. Liberté pour apprendre – Dunod – p.163 (1976).