DEVENIR le passeur de l'autre

"Pour bien transmettre, il faut transformer, sinon convertir. Gardienne de l'intégrité d'un nous, et pas seulement de la mise en rapport de deux ou plusieurs moi, la transmission est solidaire d'une construction d'identité, qui concerne l'être plus que l'avoir des individus" ⁴⁸ .

Il y a tout juste vingt-cinq ans que naissait de l'imaginaire de Charles BAUDOUIN ⁴⁹ l'histoire de Christophe, le passeur :

‘"Il avait décidé de fixer son ermitage au bord du Grand Fleuve, qui coule du Nord au Sud, en cet endroit où le fleuve était guéable à la rigueur. Mais c'était un gué dangereux, coupé de rapides et où, bon an mal an, par le gros temps et les grosses eaux, des passagers imprudents avaient été emportés. Lui, avec sa force et sa haute taille, il se planterait là et il passerait les hommes sur son dos. Telle était sa vocation"… "Et comme le fleuve sauvage et le chemin se croisaient au lieu de sa demeure, ainsi la solitude et la société des hommes se croisaient dans sa vie. Les contraires s'unissaient en lui. O, c'est toujours un point vif, et de puissante fulguration, que celui de la rencontre des contraires. Christophe… lui, avait choisi pour retraite un lieu de passage et il y prenait des hommes, et on l'appelait encore Christophe le passeur".’

Derrière le masque de la métaphore, on imagine aisément le transmetteur qui relie la rive à l'autre. Celui qui entretient la conversation, alimente l'échange, partage des points de vue, informe sur les conditions du voyage.

Le lecteur de ce conte philosophique révèle que le savoir n'est peut-être pas la richesse du monde contemporain. La connaissance –vivant d'invention collective, de transmission, d'interprétation et de partage- devient l'un des lieux où la solidarité entre les hommes peut prendre le plus de sens, l'un des liens les plus forts entre les individus. L'histoire récente de l'apprentissage –sous un angle de vue sociologique- est symptomatique de ce lien visible et palpable.