INTRODUCTION

L'activité de dessin constitue un domaine d'étude intéressant à plusieurs égards, dans divers champs de la psychologie. En effet, celle-ci permet d'appréhender des dimensions psychologiques variées, touchant aussi bien le registre affectif que cognitif.

En psychologie clinique et en psychopathologie, son usage à visée diagnostique et/ou thérapeutique est classiquement adopté, conjointement au jeu. Son caractère ludique en fait un outil de médiation efficace auprès des jeunes enfants. Dans cette optique, le dessin est le plus souvent utilisé comme espace projectif ou comme support d'expression de phénomènes inconscients, reflétant certains traits de personnalité et permettant de qualifier la structure psychique du sujet (Abraham, 1992 ; Davido, 1998 ; Lefebure, 1993; Royer, 1995).

Mais l'étude du dessin, et plus largement des activités graphiques, s'avère également d'un intérêt majeur dans les champs de la psychologie cognitive et de la neuropsychologie. Ce type d'activités intègre une pluralité de mécanismes cognitifs, relevant à la fois de processus périphériques ayant trait au système perceptivo-moteur, et de mécanismes centraux liés au système représentationnel (Rosenbaum, 1991 ; Van Galen, 1991).Les activités graphiques permettent ainsi l'exploration de nombreuses fonctions cognitives de bas et haut niveaux, telles que la sensorialité, le contrôle visuo-moteur, l’attention et la mémoire, et la détection d'éventuels troubles neurologiques (Osterrieth, 1945 ; Rey, 1941, 1959, 1969 ; Wallon & Mesmin, 1998). Leur étude contribue en outre à la compréhension du fonctionnement et du développement cognitifs du sujet.

La présente recherche a pour objet l’étude des relations entre les composantes perceptive, mnésique et représentationnelle intervenant dans la réalisation de tâches ou la résolution de problèmes résidant dans l’exécution de dessins complexes composés de formes simples emboîtées (incluses les unes dans les autres) et l’émergence d’une stratégie particulière consistant à tracer ou restituer les différentes figures élémentaires de la périphérie vers le centre (progression suivant un ordre centripète). En raison de ses propriétés (relatées dans le chapitre 1), ce procédé constitue une véritable « règle syntaxique » et a été qualifié de « principe d’organisation de l’exécution ». On parle de « Principe de l’Exécution Centripète », ou « PEC » (Magnan, Aimar & Baldy, 2000 ; Magnan, Baldy & Chatillon, 1999). Notre travail vise par ailleurs à rendre compte des changements pouvant s’opérer au cours du développement (chez l’enfant) quant à l’incidence des facteurs perceptifs, mnésiques et représentationnels sur le PEC.

Nous formulons l’hypothèse générale selon laquelle le PEC résulte d’une opération de planification de l’action basée sur l’établissement de règles procédurales définies à partir d’un encodage et d’une intégration cohésifs et complets des données du problème. Ce principe reposerait conjointement sur l’extraction des formes simples (propriétés figuratives) et sur l’identification de la relation d’emboîtement caractérisant les dessins exécutés. C’est précisément cette configuration spatiale qui serait à l’origine de l’attribution ou du choix privilégié de l’ordre centripète dans le tracé ou l’assemblage des différentes figures élémentaires, la progression préférentielle allant de la figure la plus extérieure vers la figure la plus intérieure correspondant à la fois à l’exploitation d’un cadre de référence et à un mode privilégié de structuration spatiale (ainsi, le PEC agirait comme un « attracteur »).

Aussi, nous partageons la position théorique défendue par Bialystok et Jenkin (1998) qui, à travers l’exemple de la rotation mentale, soutiennent l’idée selon laquelle le contenu de la représentation construite dans la résolution d’un problème joue « un rôle décisif dans la détermination de la stratégie » (p. 57) adoptée pour répondre au but fixé par la tâche. La mise en œuvre du PEC découle elle aussi des données du problème encodées, relativement aux propriétés figuratives et spatiales des dessins. L’un des objectifs majeurs de cette recherche est de montrer de quelle façon certains facteurs perceptifs et mnésiques, susceptibles de conditionner l’intégration des données du problème (et donc le contenu des représentation élaborées), peuvent influer sur l’émergence du PEC. De plus, nous nous intéresserons à l’évolution avec l’âge du contenu des représentations. Nous prédisons un usage de plus en plus massif du PEC au cours du développement (ce principe étant néanmoins amené à se stabiliser), qui témoignerait de l’accroissement des capacités des enfants à extraire les caractéristiques d’ensemble des dessins exécutés et à construire des représentations unifiées (traitement global) de ces derniers, l’émergence du PEC reposant sur une opération de planification de l’action s’appuyant sur une intégration cohésive des propriétés visuo-spatiales.

Le second objectif est d’étudier le rôle du format des représentations construites dans l’émergence du PEC. Si nous adhérons pleinement à la position théorique de Bialystok et Jenkin (1998) quant au rôle crucial du contenu des représentations, nous nous opposons en revanche à la conception de ces mêmes auteurs concernant l’implication du format des représentations dans la résolution de problèmes, jugée négligeable par ces derniers. Aussi, nous postulons que, tout comme le contenu des représentations, le format de stockage des données du problème à résoudre est également susceptible d’influer sur l’émergence du PEC. En outre, celui-ci serait variable suivant l’âge des enfants (en particulier selon leurs connaissances linguistiques et sémantiques ou conceptuelles), les différences relevées au cours du développement quant à l’émergence du PEC pouvant alors être liées au format de stockage des données du problème.

Notre travail est organisé suivant deux parties :

  1. la section théorique, dans laquelle nous abordons les différents aspects en rapport avec les expériences que nous conduisons dans le cadre de cette recherche. Celle-ci comprend quatre chapitres. Le premier d’entre eux porte sur les analyses syntaxiques dans les activités graphiques. En particulier, nous relatons en détails les travaux relatifs au PEC. Le deuxième chapitre est consacré au processus de planification de l’action (et aux mécanismes mnésiques et représentationnels qui s’y rattachent) intervenant dans la résolution de problèmes. Dans le troisième chapitre, nous nous centrons sur la question de l’encodage perceptif et de l’intégration en mémoire des informations visuo-spatiales, en considérant les deux modalités sensorielles pouvant être mobilisées dans l’analyse des propriétés figuratives et spatiales : la vision et le toucher. Le quatrième chapitre concerne quant à lui le format de stockage des informations visuo-spatiales.
  2. la section expérimentale, dans laquelle nous présentons deux séries d’expériences mettant en jeu l’accomplissement de tâches visant à satisfaire le même but à partir des données du problème posé : exécuter un ensemble de dessins complexes composés de formes simples emboîtées. La première série d’expériences (chapitre 5, comprenant les expériences 1 à 5) porte sur le rôle du contenu des représentations, alors que la deuxième série d’expériences (chapitre 6, constitué des expériences 6 à 8) porte plus spécifiquement sur le rôle du format des représentations dans l’émergence du PEC. Ces expériences permettront de déterminer, à différentes périodes au cours du développement (les choix relatifs à l’âge des enfants et à la procédure suivie dans chacune des expériences étant définis en fonction du niveau de complexité général et/ou des compétences ou connaissances spécifiques requises dans les différentes tâches proposées), dans quelle mesure le PEC est lié au contenu ou au format des représentations construites, ou conjointement à ces deux facteurs.