2.1.2. La distinction « quoi » (what) et « comment » (how) dans le traitement des informations visuo-spatiales

Plus récemment, la dichotomie "quoi" (what) / "où" (where) a été revue par Milner et Goodale (1995), qui classent les deux voies visuelles selon la distinction "quoi" (what) / "comment" (how). Cette distinction se centre moins sur les différences concernant le type d’informations utilisées par ces deux systèmes, mais davantage sur les différences relatives à la manière dont l’information est transformée en sortie (output). Elle prend donc en compte avant tout le but recherché par le sujet, en considérant l’interaction entre cognition et action (Creem & Proffitt, 2001a). Cette théorie définit deux systèmes visuels distincts, en référence au cadre de référence utilsé. Ces deux systèmes intègrent les mêmes informations sur l’objet perçu et ses caractéristiques spatiales, mais transforment celles-ci d’une manière différente en fonction du but visé. Le système ventral (what) représente le monde visuel tel qu’il apparaît au sujet (cadre de référence égocentré) mais aussi de manière invariante à tout observateur (cadre de référence exocentré, ou allocentré), conférant une conscience de la structure persistante du monde. La conscience perceptive utilise des cadres de référence de l’environnement pour lesquels les attributs et les significations à propos des objets sont encodés en rapport à eux-mêmes ou à des objets externes (Creem & Proffitt, 2001b). En revanche, le système dorsal transforme les informations relatives à la localisation spatiale, l’orientation et la taille des objets. D’autres chercheurs (Jeannerod, 1997 ; Rossetti, 1998), dans une approche similaire, proposent de séparer le sytème de conscience des objets (système « what ») de celui de l’action guidée visuellement (« how »). La dissociation perception/action a été largement approuvée (Daprati & Gentilucci, 1997 ; Jackson & Shaw, 2000 ; Wraga, Creem & Proffitt, 2000). L’étude conduite par Haffenden et Goodale (1998), qui utilisent l’illusion d’Ebbinghaus, va dans ce sens. Dans cette illusion, les deux disques identiques présentés aux sujets paraissent être de taille différente, du fait de la grandeur variable du cercle entourant chacun des disques. Les participants étaient invités à donner une estimation perceptive du diamètre du disque cible, à travers une tâche manuelle d’évaluation de la distance entre leur pouce et leur index. Ils devaient également répondre avec une tâche visuo-motrice dans laquelle ils devaient aller saisir (tâche de grasping) le disque sans voir leurs mains. Les résultats ont montré que l’ouverture des bras pour aller saisir le disque cible était en adéquation avec la taille de ce dernier, alors que l’estimation perceptive manuelle du diamètre du disque était influencé par l’illusion. Faillenot, Toni, Deceti, Gregoire et Jeannerod (1997) ont observé des différences quant à l’activité cérébrale en comparant une tâche de discrimination d’objet et une tâche dans laquelle le même objet était utilisé en vue de réaliser une action. Creem et Proffitt (2001b) font remarquer que bien que ces tâches impliquent toutes deux la perception des caractéristiques de l’objet, leur but diffère substantiellement. Faillenot et al. (1997), en utilisant la TEP, ont comparé une tâche consistant à saisir un objet (« grasping ») et une tâche de discrimination, faisant intervenir les mêmes objets, dénués de signification. De plus, les auteurs ont ajouté une tâche de pointage, afin de contrôler la différence relative à la composante motrice entre les deux tâches. Pour chacune des tâches, le sujet recevait des instructions explicites. Pour la tâche de pointage, il leur était demandé de pointer au moyen de leur index droit le centre de l’objet puis de retourner à la position de départ. Dans la tâche de saisie de l’objet (grasping), les sujets devaient prendre l’objet du bout des doigts de la main droite, et le déposer sur une table. Dans la tâche de discrimination, les sujets observaient les objets présentés sur écran, et appuyaient sur un bouton chaque fois que les formes de deux objets consécutifs étaient identiques. Les résultats ont, comme attendu, mis en évidence une activation du cortex inféro-temporal de l’hémisphère droit durant la tâche de discrimination. Cependant, plusieurs autres aires de la voie dorsale étaient également activées dans cette tâche : le cortex pariétal postérieur droit et le sulcus intrapariétal droit. Pour la tâche de saisie, les aires d’activation se situaient dans les régions motrices de l’hémisphère gauche et, comme pour la tâche de discrimination, au niveau du sulcus intrapariétal droit.

Creem et Proffitt (2001b) relèvent que les études en neuroimagerie soutiennent l’idée d’un système dorsal alloué aux tâches se rapportant aux questions « comment/où » (« how/where ») et d’un système ventral impliqué dans les tâches portant sur la question « quoi » (« what »). Néanmoins, il n’a pas été établi clairement si les tâches de type « où » peuvent être situées dans les régions plus inférieures du lobe pariétal, comme l’affirment certains auteurs (Milner, 1997). L’une des raisons de cette incertitude est que les tâches de localisation spatiale requièrent souvent des mécanismes attentionnels et des stratégies motrices (mouvements des yeux ou mouvements imaginés) qui seraient associés aux aires pariétale supérieure et prémotrice. Il serait donc nécessaire de comparer de manière plus approfondie « les tâches motrices égocentriques, les tâches spatiales égocentriques non motrices, et les tâches spatiales allocentriques » (Creem & Proffitt, 2001b, p. 55).