2. L’incidence du statut visuel dans l’émergence des représentations visuelles

La question fondamentale de savoir s’il existe une relation directe entre imagerie et perception visuelles remonte à plusieurs siècles. Dans la revue de questions de Kaski (2002) à propos des liens entre perception et imagerie visuelles, celui-ci rapporte la situation imaginée par Molyneux à la fin du 17ème siècle concernant ce problème. Ce dernier évoque le cas fictif d’un aveugle recouvrant l’usage de la vue, capable de nommer correctement un globe et un cube lorsqu’on lui présente ces objets (Morgan, 1977, cité par Kaski, 2002). Molyneux pose ainsi la question de savoir si les perceptions tactiles peuvent être « transférés » en représentations mentales, visuelles. Afin de déterminer si l’expérience visuelle est un prérequis pour la formation d’images mentales, de nombreuses études ont focalisé leurs analyses sur l’imagerie visuelle chez des populations de sujets présentant une déficience visuelle, notamment des aveugles congénitaux. Si l’imagerie visuelle se fonde sur l’expérience visuelle, on peut s’attendre à ce que les individus atteints d’une cécité de naissance qui, par conséquent, n’ont pas d’expériences visuelles antérieures, fassent preuve d’une incapacité à générer des images visuelles, ce qui serait susceptible de rendre plus difficile le traitement d’informations spatiales (dans la mesure où, nous l’avons vu, l’analyse spatiale semble mettre en jeu l’activité d’imagerie visuelle). Les travaux visant à tester cette hypothèse sont de deux ordres. La plupart d’entre eux portent sur des mesures comportementales, et d’autres utilisent des techniques d’imagerie afin de déterminer les bases neurales et fonctionnelles du traitement d’informations visuo-spatiales chez des populations de sujets s’opposant par leur expérience ou leur statut visuel.

De nombreuses recherches se sont attachées à comparer, dans des tâches réalisées en modalité haptique requérant l’analyse de propriétés visuelles et/ou spatiales, les modes de traitement de l’information ou/et les performances de sujets voyants aveuglés et aveugles (pour cette seconde population, l’expérience visuelle était prise en compte ; une distinction était en effet considérée entre d’une part, les aveugles congénitaux ou précoces, et d’autre part les aveugles tardifs). Les études conduites à ce sujet rendent compte à la fois de similitudes et de différences, plus ou moins marquées, entre les différentes populations testées.