3. Codages imagé et verbal dans le stockage des informations visuo-spatiales

3.1. La théorie du « double codage » (Paivio, 1986)

Nous avons vu que la MDT permet de maintenir pour une courte durée du matériel figuratif (imagé) ou langagier. En effet, les traces mnésiques qui sont momentanément conservées dans cette unité de stockage résultent d’un codage de l’information traitée soit sous forme visuo-spatiale, faisant intervenir le calepin visuo-spatial, soit sous forme phonologique ou verbale (lexicale), par le biais de la boucle phonologique (Baddeley, 1986, 1992). Aussi, pour encoder une information visuelle ou langagière en MDT, le sujet dispose de deux voies : une voie imagée (visuo-spatiale), et une voie verbale. Ces deux types de MDT, visuelle et verbale, sont fonctionnellement différentes (Andrade, Kemps, Werniers, May & Szmalec, 2002). En recourant au paradigme de double tâche, Gyselinck, Cornoldi, Dubois, De-Beni et Ehrlich (2002) ont mis en évidence l'existence de deux sous-systèmes distincts au sein de la MDT, l'un dédié au traitement d'informations linguistiques, l'autre exploité dans le traitement d'informations imagées ou picturales. Dans une première expérience, ils ont montré comment la boucle phonologique pouvait intervenir dans la mémorisation à court terme d’informations scientifiques présentées dans un format uniquement textuel ou textuel et imagé (texte accompagné d'illustrations). Ils ont observé que lorsqu’une tâche concourante de "tapping" (tâche de nature spatiale dans laquelle le sujet est invité à exécuter des mouvements dirigés vers des cibles, qu'il doit "frapper") devait être effectuée parallèlement au traitement des informations, l'effet bénéfique des illustrations en complément du texte disparaissait. De plus, les résultats d'une deuxième expérience, portant sur la comparaison entre les formats uniquement textuel (texte seul) et uniquement imagé (illustrations) ont montré qu'une tâche concourante articulatoire (tâche dans laquelle la boucle phonologique est rendue inopérante, en demandant au sujet de répéter durant la phase d'encodage un mot ou un pseudo-mot) n'affectait que le traitement des informations présentées sous forme textuel. Ces données confortent l'idée de la présence, au sein de la MDT, d'un sous-sytsème qui sous-tend l'encodage d'informations imagées (le calepin visuo-spatial) et d'un sous-sytème assurant le maintien d'informations de nature verbale ou linguistique (la boucle phonologique).

Toutefois, la nature du stimulus traité, visuo-spatiale ou verbale (linguistique), ne détermine pas le format de stockage de l'information en MDT. C'est notamment le cas de l'encodage d'informations verbales, pour lequel il n'existe pas de règle de correspondance parfaite ou systématique entre la nature langagière du stimulus traité et le format de stockage de l'information. En analysant les mécanismes en jeu dans la construction d’une image mentale visuelle d’un objet ou d’une scène à partir d’une description verbale, Paivio (1971, 1986) montre de quelle manière un changement de format sur le message délivré peut s’opérer. Il relate le processus de transformation d’une information de type symbolique, représentée par des mots, dont la structure ne contient pas les attributs figuratifs de l’objet désigné, à une information de type analogique dans laquelle l’image formée reproduit ces attributs et se situe dans un espace mental qui incorpore les contraintes de l’espace physique. Pour étudier l’interaction entre ces deux types de représentation, Paivio (1986) propose une épreuve de mémorisation de listes de mots, contenant des mots concrets et des mots abstraits. Il remarque que les mots concrets, dont l’écoute est propice à la génération, et les mots abstraits sont codés différemment par le système cognitif. Les mots abstraits ne bénéficient que d’un simple codage, sous forme verbale, alors que les mots concrets donnent lieu à un double codage, à la fois verbal et imagé (cf. figure 9). Ce double codage explique que l’écoute de mots concrets, s’appuyant sur une double représentation, conduit à une meilleure mémorisation que l’écoute de mots abstraits.

Figure 9 : La théorie du « double codage » (Paivio, 1986)
Figure 9 : La théorie du « double codage » (Paivio, 1986)

En outre, la traduction neurale de ce double codage a pu être examinée au moyen de techniques d’imagerie cérébrale, comme la TEP. Mellet et al. (1998, cités par Petit & Zago, 2002) ont montré que lorsqu’il est demandé à des sujets de créer l’image mentale d’un objet concret sur la base de sa définition énoncée oralement, on observe, d’une part, une implication des aires temporales et frontales du langage liée à l’activité de compréhension des définitions, et d’autre part, une activation de régions appartenant à la voie ventrale, alors même que les sujets avaient les yeux fermés et se trouvaient plongés dans le noir complet, interdisant toute entrée visuelle. L’image mentale alors produite provient de la réactivation d’une représentation stockée dans la MLT. Mais les auteurs signalent que l’on peut tout autant construire l’image mentale d’une configuration que l’on n’a jamais perçue visuellement.