3.2.1. Rôle des représentations imagées dans le traitement d’informations langagières à caractère visuo-spatial

Certains auteurs se sont attachés à rendre compte des interactions de l’image et du langage dans la construction des représentations de configurations spatiales à partir de données textuelles, que ces dernières soient lues (input visuel) ou entendues (input auditif). Les travaux consacrés à cette question soutiennent l’hypothèse de l’existence de deux systèmes de représentation parallèles, l’un propositionnel réservé à l’encodage des informations langagières, l’autre analogique fournissant un « modèle mental » (Johnson-Laird, 1983) ou « modèle de situation » (Van Dijk & Kintsch, 1983) réunissant les données encodées (Denis & Cocude, 1989, 1992 ; Denis & Denhière, 1990 ; Denis & Zimmer, 1992). Aussi, comme le souligne Gallina (1998), « l’image mentale peut être considérée comme un mode privilégié de spécification des modèles mentaux lorsque ces derniers incluent des données figurables [comme] c’est particulièrement le cas des textes à configurations spatiales […] qui ont pour caractéristique d’évoquer des objets liés entre eux par des relations de nature spatiale. […] Le rôle de l’image dans l’élaboration d’un modèle de la configuration est supposé permettre, grâce aux propriétés spécifiques de cette forme de représentation, un degré élevé d’intégration et d’organisation interne » (p. 116). L’imagerie visuelle contribuerait donc à la construction d’une représentation mentale ou « carte cognitive » (Pêcheux, 1980, 1990) de la configuration spatiale décrite.

L’étude menée par Blanc et Tapiero (2000) auprès d’adultes à propos de l’effet du mode de présentation, textuel (description propositionnelle) ou plus « imagé » (mots isolés spatialement disposés), des informations relatives aux éléments d’une île et à leur localisation, témoigne de la plus grande efficacité et facilité d’intégration des données spatiales lorsque ces dernières sont encodées dans un format qui revêt une dimension imagée. Les résultats suggèrent que la représentation spatiale construite à partir de la perception visuelle de l’emplacement des éléments géographiques de l’île est plus précis (moins d’erreurs de jugement sur la position relative des éléments et temps de réponses correctes plus courts) et plus rapidement accessible (temps d’apprentissage de la configuration de l’île plus court) que le modèle spatial élaboré à partir du texte descriptif.

Gallina et Lautrey (2000) ont en outre abordé la question du rôle de l’image mentale dans la compréhension d’un texte à caractère spatial dans une perspective développementale. L’expérience était conduite auprès d’enfants entre 5 et 11 ans. Elle débutait par l’audition d’un texte (enregistré sur bande magnétique, et pouvant être écouté à plusieurs reprises en fonction des besoins du sujet) décrivant un parcours comportant des repères entre les différentes portions du trajet. Puis les enfants effectuaient une série d’épreuves verbales (rappel immédiat et vérification d’énoncés) et graphiques (rappel immédiat et choix de figures représentant des itinéraires) visant à évaluer leur capacité à mémoriser les informations données et leur aptitude à construire une représentation globale de l’ensemble des éléments et de leurs relations spatiales, c’est-à-dire d’élaborer une carte cognitive de la configuration spatiale décrite. Les résultats obtenus ont montré que d’une part, les repères étaient mieux retenus que les trajets (ceci à tous les âges) et, d’autre part, que les représentations évoluaient au cours du développement. Avant 11 ans, les enfants construisent une représentation morcelée, traduisant une juxtaposition d’éléments plutôt qu’une vision coordonnée de la configuration spatiale. A 8 ans, certains enfants parviennent à reconstituer l’itinéraire pas à pas mais sans vision globale de l’ensemble. Par ailleurs, Gallina (1998) a également mis en évidence chez ces enfants que les représentations imagées ne jouaient pas un rôle similaire tout au long du développement. En soumettant trois épreuves d’imagerie visuelle (de génération, de maintien en MDT et d’inspection d’images mentales) en plus des épreuves mentionnées précédemment concernant l’intégration des informations visuo-spatiales issues de la description du parcours entendue par les enfants, il a montré qu’à 8/9 ans aucune capacité d’imagerie visuelle n’était corrélée à la compréhension du texte, alors que cette dernière était liée à la capacité de maintien des images en mémoire à 5/6 ans et à la capacité d’inspection des images à 11 ans. Ainsi, la contribution ou l'implication des différents processus d'imagerie visuelle dans l'intégration de données verbales à caractère spatial ne revêt pas la même importance (ou la même utilité) à différentes périodes au cours du développement.