2.1.3. Discussion

Les résultats de cette expérience ont montré un effet différencié du codage verbal sur l’organisation de l’exécution des dessins selon la tâche effectuée. En situation de copie, l’usage du PEC n’est pas conditionné par l’exploitation du codage verbal. En revanche, en situation de reproduction de mémoire, le recours à ce même codage favorise l’émergence du PEC ainsi que le rappel des dessins explorés. Ces données suggèrent que les mécanismes en jeu dans la mise en œuvre du PEC divergent dans chacune des deux situations.

Dans la condition de copie, l’adoption de la stratégie de l’exécution centripète serait sous-tendue principalement par des mécanismes perceptifs, relatifs au mode d’appréhension ou de structuration des stimuli explorés. L’émergence du PEC serait alors indépendante de l’exploitation de représentations verbales.

Dans la condition de rappel, le PEC jouerait un rôle facilitateur dans le maintien des informations visuo-spatiales. L’analyse de la liaison (calcul du coefficient de corrélation linéaire de Pearson) entre les performances de maintien des informations visuo-spatiales (nombre de dessins correctement rappelés) et la fréquence d’usage du PEC (nombre de dessins exécutés suivant une organisation centripète, indépendamment des erreurs commises) conforte cette idée. En effet, les enfants utilisant le plus souvent le PEC dans la tâche de rappel sont ceux témoignant d’une capacité importante de maintien en mémoire des stimuli, les enfants commettant un nombre plus élevé d’erreurs ayant plus rarement recours à ce mode d’organisation de l’exécution (r=0,39 ; p<.01). De plus, cette corrélation n’est significative que chez les enfants de 10 ans (r=0,51 ; p=.05) et tend à l’être chez ceux de 9 ans (r=0,50 ; p<.06), mais pas chez les enfants de 7 ans (r=0,15 ; n.s.). Ce résultat pourrait témoigner de la plus grande utilité du PEC chez les enfants de 9 et 10 ans, qui présentent des capacités de rétention des propriétés visuo-spatiales plus élevées que les enfants les plus jeunes. Aussi, le PEC optimiserait les performances de rappel chez les enfants les plus âgés. Lorsque les enfants disposeraient de capacités de maintien plus réduites, l’usage du PEC s’avèrerait moins bénéfique ou utile dans le rappel des dessins. Aussi, l’absence de lien entre les performances de rappel et l’usage du PEC chez les enfants les plus jeunes pourrait provenir d’un manque de capacités de maintien en mémoire des informations visuo-spatiales. L’adoption d’un mode d’organisation de l’exécution centripète favoriserait le rappel des dessins uniquement quand les enfants disposeraient de capacités de maintien suffisantes. Il existerait un seuil « critique » quant aux capacités de maintien des données visuo-spatiales en mémoire en-dessous duquel le recours au PEC ne pourrait jouer un rôle facilitateur dans le rappel des dessins.

L’absence de lien entre les performances de rappel des dessins et l’usage du PEC chez les enfants les plus jeunes pourrait non seulement s’expliquer par la nécessité de capacités mnésiques suffisantes, mais également par le fait que le recours au PEC serait utile dans le rappel des dessins seulement pour les items composés de formes élémentaires abstraites, les items constitués de formes élémentaires familières (verbalisables) étant mémorisés sans difficulté (effet plafond), quel que soit l’âge des enfants (comme nous l’avons vu, dans cette condition, les scores de rappel sont élevés et l’effet de l’âge n’est pas significatif). Ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle, dans la condition de reproduction de mémoire, le codage verbal a un effet à la fois sur l’émergence du PEC et sur la performance de rappel des dessins. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons à nouveau calculé, pour chacun des groupes d’âge, le coefficient de corrélation linéaire de Pearson, en distinguant cette fois les deux types d’items (le score de rappel ainsi que le nombre d’apparitions du PEC étant alors compris entre 0 et 4). Les résultats vont en faveur de notre hypothèse : alors que les capacités de maintien des enfants ne sont pas corrélées à l’usage du PEC pour les items composés de formes élémentaires familières, on relève une corrélation significative entre ces deux variables pour les items constitués de formes simples abstraites, mais uniquement chez les enfants de 9 ans (r=0,68 ; p<.01) et de 10 ans (r=0,61 ; p<.05). Chez lez enfant de 7 ans, l’augmentation des performances de rappel n’est pas associée à un usage plus important du PEC (r=0,07 ; n.s.). Ces données sont contraires à l’idée selon laquelle les enfants emploient plus fréquemment des stratégies, telles que l’organisation, pour mémoriser des groupes d’items familiers que pour mémoriser des groupes d’items moins familiers (Bjorklund, Muir-Broaddus & Schneider, 1990). Ainsi, le PEC jouerait un rôle facilitateur dans le maintien en mémoire des informations visuo-spatiales, lorsque les items mobilisent de manière accrue les ressources mnésiques du sujet, comme c’est le cas dans le rappel de dessins composés de formes non familières.

En outre, si, comme attendu, nous avons relevé un effet significatif du codage pouvant être exploité à la fois sur les performances de rappel et sur l’émergence du PEC, nous avons également pu montrer que le codage verbal jouait un rôle plus ou moins important au cours du développement. Toutefois, contrairement à nos prédictions, le codage verbal s’est avéré bénéfique dans le rappel des dessins non pas pour les enfants les plus âgés, mais surtout pour les enfants les plus jeunes. De nombreux auteurs ont pourtant mis en évidence l’évolution croissante du codage verbal dans le traitement d’informations spatiales (et notamment le rappel) au cours du développement, les enfants les plus jeunes exploitant préférentiellement le codage imagé (Bailleux & al., 2000 ; Fenner & al., 2000 ; Logie & al., 2000 ; Pelizzon & al., 1999). Deux raisons principales pourraient expliquer les raisons du rôle facilitateur du codage verbal dans le rappel des dessins uniquement chez les enfants les plus jeunes.

La première concerne la nature des propriétés, visuelles et/ou spatiales, pouvant faire l’objet de ce codage. Le recours privilégié au codage verbal chez les enfants les plus âgés et les adultes proviendrait de la moins bonne maîtrise du langage des enfants plus jeunes, ces derniers adoptant donc préférentiellement le codage imagé. Aussi, l’utilisation du codage verbal permettrait de traiter non seulement les aspects figuratifs des stimuli explorés (lorsque cela est possible), mais aussi et surtout les propriétés spatiales (positions relatives des éléments). Or, dans le cas du rappel de dessins composés de formes élémentaires emboîtées, le codage verbal serait essentiellement dédié au traitement des propriétés figuratives des dessins. Les relations spatiales unissant les formes élémentaires (emboîtement) étant simples et aisément mémorisables, l’exploitation d’un codage verbal présenterait un intérêt limité. Comme nous l’avons vu, le recours au PEC favorise le rappel des dessins, et pourrait à lui seul remplir cette fonction de codage des relations spatiales.

La deuxième raison pouvant être mise en avant pour rendre compte du rôle facilitateur du codage verbal dans le rappel des dessins uniquement chez les enfants les plus jeunes est que le maintien en mémoire des propriétés visuelles serait avant tout conditionné par la valeur sémantique des formes élémentaires constitutives des stimuli explorés. Les performances de rappel plus élevées pour les items composés de formes élémentaires connues que pour ceux comprenant des formes élémentaires abstraites ne seraient pas tant dues au caractère verbalisable ou non de ces dernières qu’à leur degré de familiarité. Les items composés de figures élémentaires familières permettraient l’activation de connaissances sémantiques stockées en MLT. L’activation de traces mnésiques renforcerait le maintien des données encodées. La récupération de connaissances sémantiques stockées en MLT faciliterait le rappel des dessins, l’activation de représentations (traces mnésiques) relatives à la forme des différentes figures élémentaires composant les dessins explorés étant encline à renforcer le maintien en mémoire des propriétés figuratives de ces derniers, en particulier chez les enfants les plus jeunes qui disposent de capacités mnésiques ou attentionnelles moins importantes ou efficaces que les enfants plus âgés (Case 1985 ; Gallina, 1998 ; Pascual-Leone & Baillargeon, 1994). Quels que soient les stimuli, verbalisables ou non, les enfant auraient recours à des représentations imagées, qui présenteraient une stabilité plus importante pour les dessins composés de formes élémentaires familières, en raison de l’activation de traces mnésiques en MLT.

Les données issues de cette expérience ont notamment permis de montrer que le codage verbal des informations visuo-spatiales joue un rôle facilitateur dans le rappel des dessins chez les enfants les plus jeunes, mais pas chez les sujets plus âgés. Ce résultat est en contradiction avec notre prédiction selon laquelle le codage verbal favoriserait le maintien en mémoire des informations visuo-spatiales avant tout chez les enfants les plus âgés, dans la mesure où ces derniers et les adultes privilégient ce type de codage (ou du moins l’exploitent, conjointement au codage imagé) alors que les enfants les plus jeunes adoptent préférentiellement le codage imagé (Bailleux & al., 2000 ; De Ribeaupierre & al., 2000 ; Fenner & al., 2000). C’est la raison pour laquelle nous avons suggéré qu’en réalité, ce n’est pas l’exploitation de représentations verbales qui serait à l’origine des meilleures performances de rappel pour les stimuli composés de formes élémentaires verbalisables (et donc connues) que pour ceux constitués de formes simples abstraites (parfaitement inconnues), mais plutôt la familiarité de ce formes. La reconnaissance de formes familières serait associée à une activation de traces mnésiques (représentations imagées) qui rendrait le traitement moins coûteux (plus économique en termes de ressources mnésiques) et favoriserait ainsi le maintien des données en mémoire. Le rôle facilitateur de la familiarité des formes élémentaires dans le rappel des dessins deviendrait moindre au cours du développement, en raison de l’accroissement des capacités mnésiques. Ce résultat souligne l’importance de la base de connaissances dans la mémorisation d’informations, en particulier chez les jeunes enfants (Harris, Durso, Mergler & Jones, 1990 ; Siegler, 2001). Ainsi, le rappel des dessins ne serait pas conditionnée par le format, verbal et/ou imagé, d’encodage des informations visuelles. Dans l’expérience qui suit, nous sollicitons des enfants de même âge que ceux ayant participé à la présente expérience (sujets de 7, 9 et 10 ans) dans la résolution d’un problème d’exécution de dessins géométriques complexes, en les exposant directement aux deux formats de présentation des données, imagé ou verbal (propositionnel), afin d’étudier les changements relatifs au mode d’encodage des informations visuo-spatiales au cours du développement.