2.2.3. Discussion

Nous avons ici constaté que les enfants de 7 ans adoptent plus souvent le PEC dans la résolution du problème de coordination des informations locales lorsque les données sont présentées dans un format imagé que lorsqu’elles sont présentées dans un format textuel ou propositionnel, alors que la mise en œuvre de la stratégie de l’exécution centripète ne s’avère pas conditionnée par la version chez les enfants de 9 et 10 ans. Ce résultat conforte l’idée du recours privilégié au format imagé chez les enfants les plus jeunes dans le traitement d’informations visuo-spatiales (Bailleux & al., 2000 ; De Ribeaupierre & al., 2000 ; Fenner & al., 2000). L’évolution observée quant à l’usage du PEC dans la résolution du problème peut témoigner : 1/ soit d’une préférence de plus en plus marquée au cours du développement en faveur du codage propositionnel dans le processus d’intégration des informations spatiales, 2/ soit d’une plus grande difficulté des enfants les plus jeunes à construire une représentation globale ou unifiée des dessins-cibles (c’est-à-dire intégrant les propriétés d’ensemble de ces derniers).

La première interprétation pouvant être mise en avant afin d’expliquer l’effet différencié de l’âge dans les deux versions résiderait dans la mobilisation de représentations qualitativement distinctes dans chacune des conditions. La stabilité du PEC dans la version imagée et son évolution croissante pour la version textuelle entre 7 et 10 ans reflèteraient le recours efficace à des représentations différentes au cours du développement dans la résolution du problème (Case, 1985 ; Siegler, 2001). A l’âge de 7 ans, les enfants se représenteraient les données du problème et opèreraient des inférences sur celles-ci dans un format imagé. Aussi, les informations propositionnelles seraient alors converties en mémoire sous la forme d’images mentales (format analogique), ce qui rendrait le traitement des données plus coûteux dans la version textuelle que dans la version imagée (d’où la différence significative entre les deux versions quant à l’usage du PEC). Plus tard au cours du développement, par le biais des apprentissages relatifs à la lecture et à l’écriture permettant une plus grande maîtrise du langage, les enfants deviendraient progressivement capables de se représenter les informations du problème et d’effectuer mentalement des transformations sur ces dernières dans un format propositionnel (d’où l’absence de différence significative quant à l’apparition du PEC entre les deux versions à 9 et 10 ans). Dans le cas de la version textuelle, la résolution du problème s’avèrerait d’autant plus difficile pour les enfants les plus jeunes que ceux-ci disposent de capacités mnésiques plus réduites que les sujets plus âgés.

L’idée selon laquelle le codage verbal se substituerait progressivement au cours du développement au codage imagé des informations spatiales et à leur intégration en mémoire nous apparaît difficile à soutenir si l’on considère les résultats de l’étude conduite chez l’adulte par Blanc et Tapiero (2000) relative à l’effet du mode de présentation des informations dans l’apprentissage d’un environnement (virtuel) spatial (une île comprenant six éléments). En effet, il ressort clairement de leur recherche que les adultes apprennent plus facilement et rapidement l’environnement lorsque celui-ci est présentée sous la forme imagée d’une carte (mots isolés disposés dans un espace à deux dimensions) que lorsqu’il est décrit textuellement (série de propositions dont chacune indique les positions relatives de deux des éléments qui constituent l’île). Aussi, comme d’autres auteurs, nous pensons qu’aussi bien dans le cas de la présentation d’une carte que dans celle d’un texte décrivant une configuration spatiale, les sujets s’engagent dans la construction de représentations spatiales imagées (Kulhavy, Lee & Caterino, 1985 ; Kulhavy, Stock, Verdi, Rittschoff & Savenye, 1993). Cependant, les étapes pour parvenir à l’intégration en mémoire des informations spatiales ne sont pas les mêmes dans les deux conditions. Alors que la carte offre un accès direct aux informations permettant la construction d’un « modèle spatial », le texte implique la construction d’une représentation de niveau intermédiaire : le niveau sémantique (Johnson-Laird, 1983 ; Perrig & Kintsch, 1985 ; Van Dijk & Kintsch, 1983). C’est pourquoi le modèle spatial construit à partir d’informations perceptives imagées s’avère plus précis et plus rapidement accessible que celui élaboré à partir d’informations textuelles.

Dès lors, il est possible d’envisager la raison majeure pour laquelle les enfants les plus jeunes témoignent d’une plus grande capacité de coordonner et d’intégrer en mémoire les informations visuo-spatiales locales afin de construire une représentation globale des dessins-cibles (l’émergence du PEC témoignant de cette capacité) pour la version imagée par rapport à la version textuelle de la tâche, alors que cette capacité n’est pas conditionnée par la version chez les enfants plus âgés. La capacité de conversion des informations textuelles en informations imagées serait liée à la maîtrise du langage écrit. Les enfants les plus jeunes possédant des compétences langagières supérieures à celles des enfants plus âgés, ils éprouveraient davantage de difficulté à transformer les données textuelles en images mentales. Cette opération mobiliserait une partie des ressources cognitives des enfants qui ne serait pas sollicitée pour la version imagée (cette dernière fournissant un accès direct aux informations imagées). L’absence de différence significative entre les deux versions quant à l’émergence du PEC chez les sujets de 9 et 10 ans pourrait s’expliquer par le fait qu’à cet âge, les enfants possèdent déjà une assez bonne maîtrise du langage écrit, la conversion des informations textuelles en images mentales pouvant se faire aisément (les phrases lues étant d’une grande simplicité). Au développement dec compétences langagières peut en outre s’ajouter celui des capacités mnésiques. Les opérations mentales relatives à l’activité inférentielle ou déductive et à la planification de l’action mises en jeu dans la tâche s’effectueraient plus facilement et plus efficacement avec l’accroissement de la capacité de maintien des informations en mémoire (Baddeley, 1996 ; Case, 1978 ; Case & Sandlos, 1980 ; Cowan, 1997 ; Siegler, 2001) nécessaire à la coordination des informations locales et à la construction de représentations unifiées des dessins-cibles. Les enfants les plus jeunes seraient par conséquent moins enclins à recourir au PEC que les enfants plus âgés dans la condition de présentation textuelle parce que cette dernière mobiliserait de manière plus accrue les ressources cognitives du sujet, ce qui serait notamment susceptible de provoquer une surcharge mnésique.