2.3. Discussion générale

Les deux expériences venant d’être présentées nous laissent envisager deux hypothèses quant au format des représentations exploitées au cours du développement dans le rappel de dessins complexes (expérience 7) et la résolution du problème de coordinations d’informations locales (expérience 8).

La première d’entre elles est en accord avec l’idée largement soutenue que les enfants les plus jeunes utilisent préférentiellement le codage visuel ou imagé dans la réalisation d’épreuves spatiales, alors que les enfants plus âgés recourent préférentiellement au codage verbal des informations spatiales dès lors que la tâche le permet.

La deuxième consiste à penser que l’exploitation de représentations imagées serait davantage propice que celle de représentations verbales ou propositionnelles au traitement des données visuo-spatiales, quel que soit l’âge des enfants. Les représentations spatiales demeureraient des représentations imagées, mais la capacité de construction de ces dernières dans divers contextes expérimentaux évoluerait au cours du développement.

Dans ce qui suit, nous reconsidérons ces deux hypothèses au regard des résultats des expériences 7 et 8 et des données issues d’autres recherches.

Considérant à priori dans l’expérience 7 le rôle du codage verbal des informations visuo-spatiales dans le rappel des dessins, les résultats obtenus nous ont indiqué que ce type de codage serait davantage exploité par les enfants les plus jeunes que par les sujets plus âgés. Cette conclusion allant à l’encontre de nombreux travaux démontrant le recours privilégié chez les jeunes enfants au codage imagé et l’adoption préférentielle du codage verbal chez les enfants plus âgés ainsi que chez les adultes dans l’encodage d’informations spatiales (Bailleux & al., 2000 ; Fenner & al., 2000 ; Hitch & al., 1988, 1989 ; Miles & al., 1996 ; Pelizzon & al., 1999), nous avons émis l’hypothèse selon laquelle le rappel des informations visuo-spatiales serait facilité chez les sujets les plus jeunes (qui disposent de capacités de maintien des informations en mémoire plus réduites que leurs aînés) par la familiarité des formes géométriques composant les stimuli explorés, en raison de l’activation de traces mnésiques (représentations imagées) en MLT. Comme d’autres auteurs, nous pensons que vraisemblablement, la capacité de transformation d’une information dans un format visuel à un format phonologique dans une tâche mnésique est étroitement liée à l’acquisition de la langue (Conant & al., 1997 ; Fastenau & al., 1998 ; Logie & al., 2000). C’est pourquoi il nous semble peu probable que, chez les enfants les plus jeunes, le maintien des informations visuo-spatiales puisse s’expliquer par l’adoption d’un codage verbal. L’un des moyens de s’en assurer consisterait à recourir au paradigme de double tâche (De Ribeaupierre & al., 2000 ; Miles & al., 1996 ; Pickering, 2001), qui rendrait compte de l’effet de la suppression articulatoire (boucle phonologique rendue inopérante ou perturbée par la prononciation répétée d’une syllabe ou d’un mot) durant la phase d’encodage. La tâche principale de rappel pourrait également être combinée à une tâche secondaire visuo-spatiale visant à perturber le codage imagé des données en demandant à l’enfant de dessiner de façon continue au cours de l’encodage une figure géométrique simple connue. La comparaison des conditions de rappel associé à une tâche concourante verbale, à une tâche concourante visuo-spatiale, ainsi que de la condition contrôle de rappel simple (sans tâche concourante, celle-ci visant à évaluer l’impact des tâches concourantes dans le maintien en mémoire des données encodées) permettrait de déterminer le format de codage des informations visuo-spatiales adopté préférentiellement par les enfants au cours du développement.

Aussi, s’il s’avère que dans la tâche de rappel telle qu’elle est présentée ici la familiarité des informations encodées n’améliore pas la performance chez les enfants les plus âgés, il se peut que ce soit parce que ces derniers disposent de ressources mnésiques suffisamment importantes pour retenir efficacement tous les dessins, même ceux composés de formes élémentaires abstraites. Une méthode pouvant permettre de vérifier cette hypothèse consisterait à mobiliser davantage les ressources mnésiques (capacité de mémoire de travail) des enfants, en diminuant le temps d’exploration des stimuli, ou en augmentant la quantité d’informations devant être encodées (ajout d’une ou de plusieurs formes élémentaires dans chacun des items) ou le délai du rappel (intervalle de temps entre les phases d’exploration et d’exécution des dessins). Dans de telles conditions expérimentales, on pourrait s’attendre, non plus seulement chez les enfants les plus jeunes mais également chez les sujets plus âgés, à une performance de rappel supérieure pour les items contenant des formes élémentaires familières que pour ceux constitués de formes simples abstraites. Toutefois, si tel est le cas, le rôle facilitateur de la familiarité des formes élémentaires chez les enfants plus âgés pourrait être dû à l’activation de représentations imagées ou verbales (ou au double codage, verbal et imagé, des informations visuo-spatiales).

Si l’expérience 8 a en outre permis de conforter l’idée que les enfants les plus jeunes préfèrent recourir au codage imagé qu’au codage verbal ou propositionnel dans le traitement des informations visuo-spatiales, elle n’a néanmoins pas permis de mettre en évidence clairement l’adoption privilégiée du codage verbal chez les enfants plus âgés. Si l’interaction âgeversion peut être interprétée comme un argument en faveur de l’idée d’une évolution croissante de la stratégie de codage verbal des informations visuo-spatiales, la fréquence moyenne d’observations du PEC augmentant au cours du développement pour la version textuelle et demeurant stable pour la version imagée, elle pourrait également correspondre à la plus grande aptitude des enfants de 9 et 10 ans à convertir les informations textuelles en images mentales visuelles comparativement aux enfants de 7 ans (ce qui expliquerait pourquoi le PEC s’avère beaucoup plus prégnant pour la version imagée que pour la version textuelle chez les enfants les plus jeunes, alors que la différence entre ces deux versions quant à l’émergence du PEC n’est pas significative chez les enfants plus âgés). En vue de déterminer laquelle de ces deux interprétations est la plus probable, il serait intéressant d’observer l’évolution du PEC plus tardivement au cours du développement (en ajoutant, par exemple, un groupe de sujets adultes), afin de déterminer si le codage verbal des informations visuo-spatiales devient prévalent par rapport au codage imagé, ou si ces deux types de codage se stabilisent ou évoluent parallèlement.