3. Le rôle du format des représentations dans l’émergence du PEC : conclusion

Les résultats des trois expériences de ce chapitre ont permis de montrer que si l’imagerie visuelle n’est pas un pré-requis au traitement des informations visuo-spatiales et qu’elle ne constitue pas l’unique moyen de représentation de ces informations. L’expérience 6 a en effet montré que les enfants voyants et aveugles précoces recourent de façon privilégiée au même mode d’organisation de l’exécution dans la reproduction haptique des dessins (prévalence du PEC). Ainsi, comme le suggèrent de nombreux travaux (Cornoldi & al., 1991, 1993 ; D’Angiulli, Kennedy et Heller, 1998 ; Golledge et al., 2000 ; Heller, 2002 ; Heller & al., 2001, 2002 ; Kennedy, 1993, 1997 ; Kennedy & Markas, 2000), l’expérience visuelle n’est pas indispensable à l’analyse d’informations spatiales. Aussi, le format d’encodage des données spatiales pourrait dépendre de l’expérience perceptive du sujet. Alors que, depuis sa naissance, le sujet voyant utilise de manière quasi exclusive la vision pour se représenter l’environnement spatial, le sujet aveugle précoce développe des habiletés d’exploration manuelle pour acquérir des connaissances spatiales. Dans ces conditions, on peut concevoir que le format d’encodage privilégié par les enfants dans le traitement haptique des propriétés spatiales soit déterminé par leur statut visuel. Alors que chez les enfants voyants, les informations explorées manuellement seraient enclines à être converties en images mentales visuelles, par le biais du processus de médiation visuelle (Klatzky et Lederman, 1987), ces mêmes informations feraient l’objet d’un codage moteur ou haptique (basé sur des indices proprioceptifs ou tactilo-kinesthésiques) chez les enfants aveugles précoces.

En outre, comme l’a montré l’expérience 7, la familiarité des informations encodées est susceptible de favoriser l’intégration et le maintien en mémoire des données visuo-spatiales. L’activation de représentations stockées en MLT (traces mnésiques) lors de la reconnaissance de formes connues serait propice à la rétention des stimuli explorés. Ces représentations pourraient du reste revêtir une forme imagée comme motrice ou verbale. Toutefois, comme en atteste l’expérience 8, l’exploitation de représentations verbales ou propositionnelles dans le traitement d’informations visuo-spatiales est liée à l’âge des enfants, ou plus précisément à la maîtrise de la langue (Conant & al., 1997 ; Fastenau & al., 1998 ; Logie & al., 2000). Au cours du développement, les mécanismes sous-tendant la lecture (décodage des mots écrits et compréhension) s’automatiseraient, ceux-ci mobilisant alors de moins en moins les ressources cognitives de l’enfant. Dans le cas de la résolution d’un problème tel que celui proposé dans l’expérience 8, ces dernières, davantage disponibles, pourraient ainsi être mobilisées pour les autres opérations ou traitements requis en vue d’atteindre le but fixé par la tâche. En particulier, les capacités d’intégration et de maintien en mémoire des données en jeu dans la mise en œuvre du PEC seraient préservées (rendues disponibles). A cet égard, nous avons établi une relation (corrélation positive) entre la capacité de maintien des informations en mémoire et l’usage du PEC dans le rappel des stimuli (expérience 7). Dans cette tâche, l’enfant ne disposant que d’un temps limité (quelques secondes) et unique (une seule consultation) relativement à l’exploration des stimuli, il doit nécessairement construire une représentation globale ou unifiée des dessins (c’est-à-dire intégrant l’ensemble des informations contenues dans chacun des items). Aussi, nous avons vu que les enfants disposant de capacités mnésiques suffisantes pour élaborer de telles représentations sont ceux qui utilisent le plus souvent le PEC. Ce résultat peut toutefois s’expliquer de deux façons :

  1. l’intégration cohésive des données visuo-spatiales en mémoire (rendue possible par la rétention des propriétés d’ensemble des stimuli) favoriserait l’émergence du PEC.
  2. ou/et le recours au PEC faciliterait le maintien en mémoire des informations encodées.

La relation entre l’usage du PEC et le maintien des informations visuo-spatiales pourrait être non pas univoque, mais réciproque (les capacités mnésiques importantes d’un enfant pourraient s’avérer propices à l’adoption du PEC, et cette dernière pourrait en retour faciliter la rétention des stimuli). Dans les deux cas, le PEC constituerait un procédé d’exécution organisé (relevant de la structuration perceptive des stimuli explorés) efficace dans l’accomplissement de la tâche.