1. Rôle du contenu et du format des représentations dans l’émergence du PEC

L’ensemble des données issues des deux séries d’expériences conduites dans le cadre de cette recherche nous amène à dégager deux conclusions principales :

  1. Si l’émergence ou la mise en œuvre du PEC dépend du contenu des représentations construites, les mécanismes ou les fonctions qui sous-tendent à l’usage de ce principe diffèrent selon la tâche accomplie par les enfants. Trois épreuves résidant dans l’exécution de dessins complexes ont été proposées ici : la copie, le rappel et la résolution d’un problème de coordination d’informations locales. L’adoption du PEC dans chacune de ces tâches ne repose pas sur les mêmes processus.
  2. Le contenu des représentations (processus d’intégration des informations) est conditionné par le format d’encodage des données. La capacité de construction de représentations unifiées des dessins est liée à la nature (imagée, textuelle, motrice) des représentations que les enfants peuvent élaborer ou exploiter efficacement. Il existe donc une interaction entre le contenu et le format des représentations.

Dans ce qui suit, nous revenons sur les mécanismes en jeu dans l’émergence du PEC dans les tâches de copie, de rappel et de coordination d’informations locales ainsi que sur leur développement, en montrant que ces processus peuvent être déterminés conjointement par le contenu et le format des représentations.

Les divergences relatives à l’évolution du PEC au cours du développement dans les tâches de copie, de coordination d’informations locales et de rappel suggèrent que l’usage de ce procédé d’exécution résulte de l’intervention de processus différents dans les trois épreuves :

  • Dans la tâche de copie, la forte prégnance de ce principe chez les enfants les plus jeunes (à partir de cinq ans) et sa stabilité au cours du développement (expériences 1, 2 et 5) suggèrent que la mise en œuvre du PEC relève essentiellement de mécanismes sensoriels (de bas niveau), liés à l’appréhension perceptive des stimuli déterminée par les caractéristiques configurales des stimuli explorés (agencement des différentes formes élémentaires) donnant naissance à une propriété émergente. Nous avons montré que l’existence de cette dernière est conditionnée par le mode de traitement et les caractéristiques visuelles des stimuli. Le PEC s’est en effet avéré moins prégnant en exploration visuelle qu’en exploration haptique (expérience 1), la modalité visuelle permettant un traitement global des stimuli alors que le traitement séquentiel caractérisant la modalité haptique conduit à une appréhension morcelée des dessins. Nous avons également constaté l’effet perturbateur de la suppression de feedback visuel sur le PEC. Là encore, la suppression des indices visuels tout au long de la production des dessins est susceptible d’entraver le traitement holistique des stimuli explorés, qui ne peuvent dès lors plus être perçus comme des totalités, c’est-à-dire comme des ensembles d’informations unies par des liens configuraux fortement cohésifs. Ces liens cohésifs semblent notamment dépendre des propriétés visuelles des éléments constitutifs des dessins. Nous avons vu que l’introduction de variations de la saillance visuelle d’informations locales (mise en relief de l’une des formes géométriques élémentaires) est susceptible de modifier la perception des dessins et par conséquent l’organisation de l’exécution de ces derniers (expérience 4), en « désolidarisant » les éléments contenus dans les stimuli explorés. La sensibilité du système visuel à certaines irrégularités perceptives prégnantes serait alors à l’origine d’un changement dans le mode d’appréhension ou de structuration des dessins lorsque les informations encodées présentent un caractère hétérogène ou contrasté susceptible d’induire une discrimination des différentes parties des stimuli sur la base de leur valeur ou de leur « poids » perceptif.
  • Dans la tâche de rappel (expérience 7), l’adoption du PEC serait avant tout conditionnée par la capacité de rétention des informations encodées, nécessaire dans la construction de représentations globales des stimuli. La capacité de maintien en mémoire des données encodées jouerait alors un rôle crucial dans l’adoption du PEC. Nous avons observé que les enfants de 7 et 9 ans obtiennent des peformances supérieures dans le rappel de stimuli lorsque ces derniers comportent des informations familières que lorsqu’ils sont constitués d’éléments abstraits, inconnus. La base de connaissances constitue ainsi une aide importante dans le maintien en mémoire des informations, en particulier chez les enfants les plus jeunes, qui disposent de capacités mnésiques moindres. Aussi, le lien (corrélation significative) existant entre la performance de rappel et l’usage du PEC chez les enfants de 9 et 10 ans suggère que la manière dont les enfants se représentent les stimuli (qui détermine le procédé d’exécution auquel ils ont recours) pourrait être conditionnée par leur capacité de maintien des données en mémoire, et/ou que, inversement, le mode d’appréhension ou de structuration perceptive des stimuli (à l’origine du choix d’utiliser ou non le PEC) influe sur l’intégration et la rétention des informations. Dans la mesure où, dans la situation de copie, dès l’âge de 5 ans le PEC s’avère très prégnant et demeure stable au cours du développement (expériences 1, 2 et 5), les enfants appréhendant donc les stimuli de façon similaire quel que soit leur âge, nous privilégions la première des deux hypothèses. Le manque de capacités mnésiques nécessaires au rappel des stimuli rendrait instables et imprécises les représentations construites, qui pourraient dès lors être sujettes à des dégradations ou une destructuration aboutissant à l’usage de procédés d’exécution non organisés.
  • Dans la tâche de coordination d’informations locales, l’élaboration de la stratégie de l’exécution centripète s’appuierait sur une opération de planification de l’action reposant sur une activité inférentielle visant à définir les positions relatives des formes élémentaires constitutives des dessins-cibles recherchés. Dans cette situation, contrairement aux deux précédentes, la mise en œuvre du PEC se base sur des informations ou connaissances non perçues directement, mais nécessite d’opérer des tranformations sur les données préalablement à l’exécution des dessins. L’exercice d’un contrôle pro-actif s’avère alors indispensable. Aussi, la capacité à effectuer des inférences spatiales évolue au cours du développement, ce qui expliquerait l’augmentation de la fréquence d’apparition du PEC entre 6 et 10 ans (expérience 2). Néanmoins, tout comme dans la tâche de copie, la résolution du problème de coordination d’informations locales mobiliserait peu les capacités attentionnelles ou mnésiques des enfants lorsque la quantité d’informations à traiter et/ou le nombre d’inférences spatiales à réaliser sont restreints, la présence de troubles attentionnels n’ayant pas d’incidence sur l’usage du PEC (expérience 3). En revanche, on peut penser que lorsque plusieurs inférences spatiales sont requises dans la tâche (ce qui aurait pour effet une augmentation de la charge de travail en mémoire), la mise en œuvre du PEC puisse, comme dans la tâche de rappel, reposer sur la construction de représentations globales ou unifiées des dessins-cibles, c’est-à-dire de représentations intégrant les données du problème de façon cohésive. L’élaboration de telles représentations ou « modèles mentaux » (Blanc & Tapiero, 2000 ; Johnson-Laird, 1983 ; Van Dijk & Kintsch, 1983 ; Kulhavy & al., 1985, 1993) mobiliserait également la capacité de maintien des propriétés visuo-spatiales.

Ainsi, dans les trois tâches, le PEC reflèterait un traitement holistique des données. Toutefois, ce dernier ne serait pas sous-tendu par les mêmes mécanismes, ce qui explique les variations relatives à l’évolution du PEC au cours du développement entre les tâches.

Les données recueillies dans cette recherche indiquent non seulement que les processus sous-jacents à l’adoption du PEC diffèrent selon la tâche réalisée, mais également que l’efficience fonctionnelle de ces processus (caractère plus ou moins opérationnel) est dépendante du (des) format(s) des représentations pouvant être exploité(s) par les enfants. Nous avons vu que les enfants amblyopes précoces recourent moins souvent au PEC que les enfant voyants et aveugles précoces dans la reproduction haptique des dessins (expérience 6). Une explication possible à ce phénomène est que le traitement des informations visuo-spatiales peut être conditionné par l’expérience perceptive des enfants et la qualité (spécification) des représentations stockées en MLT. En raison de leur expérience perceptive, les enfants voyants et aveugles congénitaux disposeraient de représentations précises (visuelles pour les premiers et haptiques ou tactilo-kinesthésiques pour les seconds), pouvant être exploitées efficacement dans la reconnaissance des formes géométriques élémentaires. L’activation de ces représentations (qui constituent des traces mnésiques) faciliterait la rétention des informations et leur intégration au sein de représentations unifiées des dessins. Les enfants amblyopes précoces présentant un déficit visuel et un exercice de la modalité haptique (exploration manuelle) beaucoup plus réduit que les enfants aveugles précoces, ils ne seraient en mesure de recourir à des représentations visuelles ou haptiques précises susceptibles de faciliter le maintien des informations encodées pour la construction de représentations globales des dessins. De même, nous avons constaté que, chez les enfants de 7 ans (mais pas chez ceux de 9 et 10 ans), l’usage du PEC dans la résolution du problème de coordination d’informations locales est conditionné par le mode de présentation, imagé ou textuel, des données (expérience 8). Ce résultat peut signifier que les représentations imagées sont exploitées de manière privilégiée par rapport aux représentations verbales ou propositionnelles par les enfants les plus jeunes, alors que les enfants plus âgés recourent aussi efficacement à ces deux formats de représentations. L’activation de représentations verbales pourrait alors dépendre de l’expérience langagière des enfants (maîtrise du langage écrit acquise par le biais des apprentissages en lecture-écriture et permettant l’établissement de représentations verbales stables).