1.1.1 L’après-guerre

La guerre froide et son corollaire, la course aux armements, ont contribué à la stimulation de la recherche scientifique qui prend, dès lors, une place centrale. L’une des premières retombées réside dans l’augmentation du nombre de chercheurs qui a mené naturellement à l’augmentation de la production scientifique. Une augmentation telle, qu’elle a caractérisé par son ampleur la seconde moitié du siècle. C’est ce que les professionnels de la documentation ont appelé ‘« l’explosion documentaire ’». A ce sujet, Yves Le Coadic écrit :

‘« La conjonction des deux phénomènes de l’explosion de l’information et de l’explosion du temps conduit à l’apparition de flux d’information très élevés, c’est-à-dire à la circulation d’importantes quantités d’information par unité de temps » 8 . ’

Cette explosion de l’information a attiré l’attention des historiens des sciences qui se sont penchés alors sur ce phénomène. Les travaux de Derek John de Solla Price 9 , un des pères fondateur de la scientométrie, décrivent ce phénomène d’explosion documentaire. La figure 1, ci-dessous 10 , (voir traduction ci-après), issue des travaux de Price, illustre cette explosion. Ces mêmes travaux ont annoncé une croissance exponentielle qui se confirme à ce jour mais qui, d’après l’auteur, finirait par ralentir.

Figure 1 : Répartition du nombre total des titres de périodiques et résumés scientifiques d'après la date de leur fondation.
Figure 1 : Répartition du nombre total des titres de périodiques et résumés scientifiques d'après la date de leur fondation.

L’axe des abscisses de ce graphique représente les dates, ou plus précisément les siècles. L’axe des ordonnées représente le nombre de périodiques. La première et plus importante courbe du graphique commence en 1665, date officielle de la naissance de la première revue scientifique 11 . Son évolution représente l’explosion du nombre de périodiques scientifiques. La seconde courbe, de moindre ampleur, représente le recueil des résumés qui débute vers le milieu du XIXème siècle. En observant les deux courbes, on remarque que c’est à partir de 300 périodiques que les résumés apparaissent.

A partir d’une observation empirique qui a rencontré des fondements théoriques, les travaux de Derek John de Solla Price 12 ont souligné le caractère contemporain de la ‘« science moderne ’» en mettant en évidence l’évolution démographique du nombre des chercheurs.

‘« Tout jeune savant actuellement débutant et envisageant la fin de sa carrière au terme d’une durée de vie normale, devrait être conscient que 80 à 90 du travail scientifique accompli à la fin de cette période l’aura été sous ses yeux, 10 à 20 % ayant précédé son expérience personnelle » 13 .’

Le nombre de scientifiques dans le monde a été estimé en 1800 à 1000 scientifiques, à 10.000 en 1850, à 100.000 en 1900 et à un million en 1950. En France, entre 1954 et 1960, la population universitaire a augmenté d’un tiers. De 1960 à 1975, elle passe du simple au quadruple 14 . Cette évolution qui poursuit son cours favorise la promulgation de la loi Edgar Faure, par laquelle le nombre des universités françaises passe, dans les années 1970, de 22 à 57.

Cette croissance démographique des universitaires est accompagnée de la règle du ‘« publier ou périr ’» ou ‘« publish or perish ’ » qui engage les chercheurs dans une concurrence pour publier le plus de résultats possibles, le plus vite possible. L’explosion documentaire est survenue comme une conséquence directe : les masses documentaires doublent tous les dix ans en moyenne 15 .

De façon corollaire, la collaboration internationale s’est accrue entre chercheurs et a donné naissance à de ‘« nouvelles sciences ’» et de nouvelles universités, capables de relayer une nouvelle ère, inscrite dans l’interdisciplinarité et le décloisonnement intellectuel 16 . Price, qui aborde longuement cette question dans son ouvrage, la résume par son intitulé, ‘« Little science, big science ’ », que la traduction française restitue en ‘« science, suprascience ’». La spécialisation des domaines et la mise en évidence de la règle du ‘« publish or perish » ’ont été des moteurs du processus de production des savoirs scientifiques d’après-guerre. La recherche scientifique s’est dès lors pratiquée à l’échelle internationale, avec principalement l’anglais pour langue d’expression.

Notes
8.

- Le Coadic, Yves-François. – La science de l’information, PUF, 1994. – (Que sais-je ?) - 118 p.

9.

- Price, Derek John de Solla.- Science et suprascience, Fayard, 1972. – 124 p.

10.

- Cette figure, ainsi que d’autres issues des travaux de Price sont disponibles à l’adresse suivante : < www.ib.hu.de/~wmsta/price14.html > (Consulté le 1er février 04).

11.

- L’Angleterre et la France ont connu au même moment la naissance d’une première revue scientifique. En France c’est le « Journal des Sçavants ».

12.

- Price, Derek John de Solla.- Science et suprascience, Fayard, 1972. – 124 p.

13.

- Idem, pp. 1-2

14.

- Pallier, Denis.- « Les bibliothèques universitaires de 1945 à 1975 : Chiffres et sources statistiques », in : Bulletin des Bibliothèques de France, 1992, n°3, pp. 58 - 69.

15.

- Price, Derek John de Solla.- Science et suprascience, Fayard, 1972. – p. 8

16.

- Lecoq, Benoît.- « Un aspect de la crise des universités : L’interuniversitaire en question », in : Bulletin des Bibliothèques de France, 1996, n°2, pp.16-19