1.2.2.2 Définition et prise en compte des coûts 

L’analyse comptable est utilisée dès les années 1970 pour le calcul des coûts de la FDD dans les bibliothèques. Dans les années 1980, alors que les fournisseurs commerciaux font leur apparition, l’analyse comptable est instrumentalisée pour comparer les coûts de la FDD des bibliothèques avec celle des fournisseurs commerciaux. Les études faites autour de cette question ont fait le recensement des coûts directs et indirects 157 des transactions. Le coût ‘« moyen ’» estimé aux Etats-Unis est passé entre 1977 et 1995 de 17,29 à 36 $ 158 . Cependant, les variations relatives à la diversité des critères pris en compte ne permettent pas d’arriver à des résultats concluants.

En France, les premières études qui ont tenté de déterminer les coûts des activités des services de PEB afin d’en fixer les tarifs n’ont pas plus abouti. Ces études n’ont donné que ‘« des indicateurs grossiers sur les coûts du prêt-inter et de la manière dont ces coûts sont répartis entre les participants ’» 159 . Le coût d’une transaction, d’une bibliothèque à une autre, peut varier selon les différents critères pris (ou pas) en compte. Nos interlocuteurs illustrent par leur réflexion sur leurs pratiques les difficultés de l’analyse :

‘« Je ne fais que lire ce qui est écrit à ce propos puisque certaines personnes disent que la transaction coûte 150 F, je dis que c’est possible, si on inclut tout, et surtout le coût des abonnements avec les revues que nous avons, cela ferait vraiment cher de la transaction ». CA Méd. 1’ ‘« Je pourrais mettre également les frais des abonnements de périodiques dans les frais masqués, mais l’achat d’un périodique n’est pas destiné exclusivement au PEB, il ne me semble pas tout à fait juste de compter les frais d’acquisition de périodiques ou d’ouvrages de les imputer directement au PEB ; si on le fait, il faut le faire en proportion de ce que l’on fournit, et ce serait un calcul compliqué et fallacieux. » Sci. 5’

Une tentative de calcul faite par l’ADBS – (Association des professionnels de l’information et de la documentation) dans ce sens, en 1981, a été réalisée dans le cadre général du calcul des coûts d’accès. Elle semble davantage être une proposition de méthode à des fins de calculs 160 .

‘« Une étude a été faite il y a longtemps. Mais je ne saurais vous citer exactement des chiffres, néanmoins j’ai souvenir que le coût de la transaction, ou du moins le coût moyen, était supérieur au prix pour les ouvrages et approximativement égal pour les photocopies d’articles. » Méd. 5’

Pour le prêt d’un ouvrage, entraînant de facto des coûts pour la bibliothèque prêteuse et pour la bibliothèque emprunteuse, c’est la réciprocité qui est d’abord adoptée. C’est une option arrangeante du point de vue de la facturation dont les coûts disparaissent. Mais, avec la création des Services Communs de Documentation, ‘« le principe de réciprocité est affaibli par l’autonomie des universités qui privilégient les liens associant les bibliothèques et les universités de tutelle ’» 161 .

En 1996, la franchise postale est abolie. Les usagers sont invités à avancer les frais de franchise. Toutefois, une subvention a été reversée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur afin de limiter la répercussion des coûts sur les usagers. La disparition de la franchise postale n’a pas eu de conséquences ou alors très marginales, sur les coûts des transactions de prêt entre bibliothèques. A partir de 1996, la réciprocité de la gratuité est de moins en moins souhaitée par les agents comptables des universités qui font pression sur les responsables des services de PEB pour refuser le principe.

‘« Il y a une subvention qui est versée pour les prêts, après la suppression de la franchise postale, mais qui n’est pas suffisante pour couvrir la totalité, donc le conseil de l’université a décidé de faire payer, de demander une participation soit aux bibliothèques soit au lecteur, la participation demandée au lecteur est très basse. Elle était dix francs et maintenant elle est 20F. C’est loin de couvrir les frais étant donné que les bibliothèques à qui nous demandons vont nous demander quelque fois 50F. Et puis nos frais d’envois sont à peu près de 38 F. La subvention doit couvrir environ 30F. » CA Sci.1 ’

Pour la photocopie d’articles, ce sont les coûts de la bibliothèque fournisseuse qui mobilisent le plus l’attention. Les coûts de la bibliothèque demandeuse se résument aux coûts du personnel, du matériel et du réseau. Il n’est pas simple pour autant de préciser les coûts qui sont à prendre en compte pour connaître ce que coûte la fourniture d’une photocopie d’article. A ce jour, il n’existe pas de méthode commune pour calculer le coût d’une transaction, de PEB ou de FDD.

Dans un cadre coopératif, les coûts standards du réseau sont les plus faciles à identifier 162 . Il est plus difficile de définir les coûts variables de personnel, de facturation, de vérification 163 , d’emballages, de TVA, etc. Lors de nos entretiens, nous avons pu comprendre que la difficulté de cette tâche parfois entreprise mais toujours abandonnée dans les BU françaises, a fait renoncer les professionnels à son aboutissement.

‘« Il y a eu une tentative, mais on a pas pu aller jusqu’au bout, ça n’a pas été possible. Car il y a eu une demande à une époque émanant du Ministère, ils voulaient tout calculer, personnel, papier, matériel, bref tout et on y est pas arrivé. On avait commencé et puis on n’a pas donné suite, je me suis arraché les cheveux avec les coûts directs, indirects... et il n’y a pas eu de suite. » CA Dseg 2 ’

Les travaux de Daniel Eymard - appliqués aux bibliothèques françaises - ultérieurs à ces premières études, font état de calculs dans les services de PEB dans les BU relevant plus ‘« d’approximation ou d’imitations ’» 164 . Les conclusions auxquelles nous sommes arrivés concernant notre terrain ne sont pas très éloignées des travaux de Daniel Eymard. La diversité des tâches qu’entraîne une activité de prêt entre bibliothèques et de fourniture de documents n’est pas étrangère à la difficulté que ressentent les professionnels pour évaluer ses coûts 165 . Les  coûts de la bibliothèque prêteuse et de la bibliothèque emprunteuse ne sont pas calculés de la même façon suivant les flux qu’elles assurent. Etablir des méthodes communes de calculs devient a fortiori peu probant.

‘« Cela donne toujours des choses très drôles ce genre de calculs, quand on fait une évaluation du travail de la journée en nombre d’heures, on arrive à 53% du temps occupé, il y a toujours autre chose à faire, c’est un service très prenant et en même temps très dispersé dans les tâches. « nous ne cherchons pas à réaliser des bénéfices, nous essayons à tout le moins de réduire les coûts ou les alléger, si tant est que c’est possible » CA LSHS 2 ’

De plus, l’absence de prise en compte du droit d’auteur est générale. Les professionnels des bibliothèques interrogés sur la question considèrent avoir été légitimement épargnés car c’est l’université, sur ses fonds publics, qui met en œuvre les moyens pour la production scientifique par l’intermédiaire d’auteurs. Ainsi, le tarif appliqué aux chercheurs serait de leur point de vue une couverture des frais à la fourniture d’une ‘« copie privée ’», concept retenu par la législation du droit d’auteur.

Notes
157.

- Eymard, Daniel.- Economie comparée de l’achat de périodiques et de l’accès aux articles, p.213, dans : Salaün, Jean-Michel.- Economie et bibliothèques.- Editions du cercle de la librairie, Paris, 1997, 234 p.

158.

- Lapèlerie, François. – « Le prêt entre bibliothèques universitaires scientifiques existe-t-il ? », in : Bulletin des Bibliothèques de France, t.41, n°4, 1996, pp.56-72

159.

- Smith, Malcolm D.- « Le coût des activités du prêt-inter », in : Bulletin des Bibliothèques de France; 1983, n°4, pp.391-396.

160.

- ADBS. – L’accès aux documents primaires. – La documentation française, 1981, p.81

161.

- Eymard, Daniel.- Economie comparée de l’achat de périodiques et de l’accès aux articles, p.213, dans : Salaün, Jean-Michel.- Economie et bibliothèques.- Editions du cercle de la librairie, Paris, 1997, 234 p.

162.

- Line, Maurice B. – « Accéder ou acquérir : une véritable alternative pour les bibliothèques ? », in : Bulletin des Bibliothèques de France, t.41, n°1, 1996, pp. 32- 41

163.

- Parry, David. – « Why requests fail », in : Interlending and document supply, 1997, vol.25, n°4, pp.147-156

164.

- Eymard, Daniel.- Economie comparée de l’achat de périodiques et de l’accès aux articles, p.200, dans : Salaün, Jean-Michel.- Economie et bibliothèques.- Editions du cercle de la librairie, Paris, 1997.- 234 p.

165.

- Cornish, P. Graham.- « Interlending and document supply : A review of recent literature » : XVI, In : Interlending and document supply, 1989, n°3, pp.101-107