1.3 Hybridation des collections pour penser la réintermédiation

Dès le début des années 1990, les bibliothèques ont assisté à un mouvement de concentration horizontale dans le secteur de l’édition commerciale. Le rachat de la maison Pergamon par Elsevier marque au milieu des années 1990 le début d’un phénomène de fusions, de concentration et de rachats. Ce mouvement a réduit considérablement le nombre des éditeurs et augmenté le pouvoir et la marge de manœuvre de mastodontes, tels que Elsevier.

Un mouvement de concentration verticale s’en est suivi : les éditeurs, acteurs monopolistiques de la diffusion de l’information, ont eu pour stratégie de s’aménager un contrôle de la chaîne de diffusion, jusqu’au lecteur, afin de s’assurer un maximum de bénéfices. Pour ce faire, une stratégie éprouvée en économie des marchés est engagée pour réduire les acteurs et se passer des intermédiaires.

Les partenariats redoublent auprès des fournisseurs de documents, des producteurs et serveurs de bases de données pour intégrer de nouveaux rôles, de nouvelles fonctions, de nouvelles compétences de manière à proposer à l’usager final une gamme complète de services. Cette convergence des acteurs vise aussi à proposer des données factuelles, bibliographiques et du texte intégral, à la fois. Pourtant, le rapport de force penche davantage pour les éditeurs. L’économie de l’édition électronique qui se met en place donne le jour à des produits tels que ‘« ScienceDirect ’» d’Elsevier qui intègre dans une seule interface des services documentaires et des services éditoriaux, en vue d’une diffusion de l’information directe à l’usager. Les consortiums de bibliothèques, réaction aux dérives de la politique éditoriale, s’inscrivent donc clairement dans ce large mouvement de désintermédiation 227 . Ce mouvement a pourtant des effets inégaux en fonction des publics, de leurs domaines et de l’importance des acteurs.

En Grande-Bretagne le rapport Follett 228 , est venu souligner l’urgence pour les bibliothèques de redéfinir leurs rôles, notamment à travers une redéfinition de leurs services. Le rapport apporte des recommandations propres à être utilisées comme une stratégie ; il insiste sur :

‘« La nécessité pour les universités d’adopter à l’égard de l’information une stratégie spécifique liée à leurs politiques en matière de recherche, d’enseignement, de propriété foncière, etc. (…) que cette stratégie ne reste pas limitée à la bibliothèque, mais porte sur l’ensemble des ressources documentaires » 229 .’

Le rapport tire la sonnette d’alarme pour les bibliothèques et les incite à composer avec une notion qui leur est peu familière, la compétitivité 230 . Le projet américain Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition - (SPARC) 231 s’est également appuyé sur cette notion pour fédérer les bibliothèques, les mobiliser afin d’œuvrer pour une réintermédiation. Il contribue à financer la revue ‘« PhysChemCom ’», moins onéreuse et concurrente du célèbre titre de l’éditeur Elsevier ‘« Chemical Physics Letters ’».

Par ailleurs, la stratégie des éditeurs qui œuvrent pour une désintermédiation touche de plein fouet les agences d’abonnements 232 , intermédiaires, qui dès 1998 éprouvent des difficultés à justifier de leur valeur ajoutée : ils proposent des liens vers le texte intégral à partir de bases de sommaires, à l’exemple de SwetsNet, puis une aide aux bibliothèques à la négociation des licences. La concentration du marché de l’édition va les toucher à leur tour. Le rachat en janvier 2003 de Rowecom par Ebsco en est le prolongement. Il ne laisse que deux grosses agences d’abonnements sur le marché, Ebsco et SwetsBlackwell. A cette occasion, la liste de diffusion de ‘« Biblio.fr ’» a donné lieu aux messages de désarroi des bibliothécaires, restés sans nouvelles du suivi de leurs abonnements. En outre, une crise dans le milieu des bibliothèques leur a fait prendre conscience du risque de confier leur budget (ou une partie seulement) d’acquisitions à une agence d’abonnement subordonnée au phénomène de concentration induit par les marchés 233 . Cet événement pourrait renforcer les bibliothécaires dans leur idée qu’avec les consortiums, la valeur ajoutée des agences d’abonnements paraît incertaine.

Notes
227.

- Chartron, Ghislaine. – Les chercheurs et la documentation numérique : nouveaux services et usages, Paris : Editions du cercle de la librairie, 2001, p. 118.

228.

- <http://www.ukoln.ac.uk/services/papers/follett/>

229.

- Law, Derek. – « Les bibliothèques universitaires britanniques et le rapport Follett », in : Bulletin des Bibliothèques de France, 1996, t. 41, n°2, pp. 58-61.

230.

- Niels, Mark.- « Opinion paper : Interlending in the hybrid library - how long will we provide the service ? », in : Interlending and document supply, vol.28, n°3, 2000, pp.132-136.

232.

- Marandin, Clarisse ; Chartron, Ghislaine. – « La presse scientifique électronique : analyse de l’offre des intermédiaires », in : Bulletin des Bibliothèques de France, 98, t.43, n°3, pp.28-40

233.

- Compte rendu de la conférence « Redéfinir les relations entre agences d’abonnements, clients et éditeurs », Paris, 24 mars 2003.