1.3.2 La voix des auteurs

Les auteurs sont au cœur du processus éditorial, qu’il soit papier ou électronique. Dans certaines communautés de recherche, des mouvements pour constituer des réservoirs d’archives se mettent en place. Ils saisissent l’espace du Web, capable de véhiculer ‘« le caractère hautement socialisé de la production des savoirs, impliquant éléments humains et non humains ’», écrit Jean-Max Noyer 246 .

Pour les auteurs, le Web est porteur d’enjeux, touchant à l’économie de la science 247 . Technologie et production des savoirs scientifiques sont étroitement liés pour un cheminement commun où, tour à tour, les intérêts de l’un se subordonnent à l’autre. Le Web précipite ce cheminement vers une évolution qui permet aux auteurs de se réapproprier le système de communication scientifique en faisant de l’article une unité d’information autonome. Ainsi, s’avance ‘« une connexion virtuelle élargie à la planète entière ainsi que des regroupements virtuels de chercheurs qui dessinent leur propre territoire de cyberespace ’» 248 . La prise de conscience de ces nouveaux enjeux par les politiques encourage ce type de dispositifs dont le soutien peut se mesurer à l’aune des soutiens financiers qu’ils accordent.

Cette réappropriation passerait par un contournement du processus de la validation scientifique, dont la lenteur altère la diffusion de l’information scientifique. Le web et le numérique apportent des opportunités capables de relayer le processus de validation scientifique, valeur ajoutée des éditeurs, par des dispositifs d’archives ouvertes mis en place par les auteurs. Dès lors, la validation de la publication scientifique s’obtient en aval de la diffusion repensée en des termes moins restrictifs.

Jean-Claude Guédon propose l’‘» Agora ’» tandis que Steven Harnad propose l’‘» Open peer commentary ’». Les deux propositions se rejoignent, elles laissent à la communauté le soin et la responsabilité de juger de la qualité du travail. Si l’on considère que le principe de ces deux propositions se rapprochent des commentaires sur les forums, on peut se poser la question de savoir comment concrètement la validation peut s’organiser.

Des expériences réussies par des universitaires, telle que la base d’archives de pré-publications en physique théorique de Los Alamos 249 de Paul Ginsparg ou CogPrints 250 de Steven Harnad en SHS sont là pour illustrer le chemin vers cette ré-appropriation par un modèle de communication scientifique alternatif 251 . D’autres disciplines emboîtent le pas. Les analyses proposées 252 permettent de montrer comment le modèle traditionnel de communication de la science de Garvey et Griffith évolue avec le numérique et sur quels scénarios il débouche, selon les disciplines. Le but ultime reste le même : améliorer la diffusion des travaux scientifiques.

Steven Harnad, infatigable, propose ‘« e-print.org ’» 253 , un logiciel libre, d’auto-archivage en ligne de la publication numérique. Les fonds libres reposent aussi sur des infrastructures informatiques et techniques, parties intégrantes de la réflexion autour des archives et de leur pérennité. Car ‘« les logiciels libres définissent à la fois un état d’esprit (gratuité, libre accessibilité), un mode d’organisation du travail (la coopération), et un modèle économique (les coûts proviennent principalement des développements du produit initial ; ils peuvent être partagés) ’» 254 .

Le débat se développe sur l’interopérabilité entre les bases d’archives, relayé par l’appel de Budapest. En effet, le mouvement des archives libres prend une ampleur internationale avec l’appel de Budapest ou le ‘« Budapest Open Acess Initiative ’», BOAI, signé à la fin 2001. Un texte 255 , écrit entre autres par les plus anciens défenseurs de l’accès alternatif, tels que Steven Harnad et Jean-Claude Guédon, veut mobiliser la communauté des auteurs scientifiques pour prendre en charge la mise en ligne de leurs propres travaux. Deux journées ont été organisées par l’INIST à Paris, afin de faire connaître l’avancement de la question dans son rayonnement international 256 .

En outre, les intervenants insistent sur ‘« l’esprit du BOAI ’» pour créer des périodiques libres donnant une visibilité jamais égalée aux travaux des chercheurs. Les résultats des travaux de Steve Laurence 257 représentés avec la figure 11 258 permettent d’avoir une appréciation du caractère progressif du phénomène.

Figure 11: Augmentation de la visibilité (nombre de citations) des travaux des chercheurs en fonction de l'augmentation du pourcentage des articles disponibles en ligne
Figure 11: Augmentation de la visibilité (nombre de citations) des travaux des chercheurs en fonction de l'augmentation du pourcentage des articles disponibles en ligne - L’auteur n’a pas donné de titre à la figure, l’intitulé est donc une proposition personnelle. (de 1989 à 2000).

En France, à l’initiative des physiciens, le Centre pour la Communication Scientifique Directe – (CCSD) est créé fin 2000, au Centre National Recherche Scientifique – (CNRS). A sa tête, on retrouve un physicien, qui a quasiment assisté à la naissance de l’idée de la base d’archives de Los Alamos. Les sciences de l’information et de la communication (SIC) représentent une des premières disciplines qui a bénéficié des efforts du centre. Elles se sont vues dotées, en 2002 260 , d’une base d’archives de post-publications ‘« @rchivesSIC ’» 261 . Toujours dans la même discipline, à l’aide du logiciel e-print, ‘« memSIC ’» 262 une plate-forme dédiée à l’archivage des mémoires de troisième cycle a été lancée (janvier 04) à l’issue d’une collaboration entre l’INIST, le CCSD/CNRS et l’Unité de Recherche et de Formation à l’IST de Nice.

Cette reconfiguration qui concerne le modèle de fonctionnement global de la publication scientifique inquiète les éditeurs. Ils mettent en avant leur valeur ajoutée par la validation qu’ils garantissent. Ils assouplissent les contrats juridiques pour ne pas être en reste de cette circulation parallèle qui se met en place. Pour les bibliothèques, c’est l’occasion de jeter un regard renouvelé sur leur rôle : la propriété intellectuelle réappropriée par les auteurs ne les livre plus aux mains des éditeurs, et à leurs coûts en augmentation incessante. Dans le même temps, leur mission de diffusion et leurs prérogatives traditionnelles, de mise en place de collections et d’outils de repérages deviennent encore plus urgentes à repenser, à organiser dans une dimension de service, nécessairement élargie. Ainsi, pour les bibliothèques, les archives ouvertes doivent renforcer leur rôle plutôt que de constituer une alternative.

Notes
246.

- Noyer, Jean-Max. -pp.23 – 30, in : « La bibliothèque universelle : défis technologiques », Actes du colloque international organisé par la section INFODOC de l’université libre de Bruxelles.

247.

- Chartron, Ghislaine ; Salaün, Jean-Michel.- « La reconstruction de l’économie politique des publications scientifiques », in : Bulletin des bibliothèques de France, n°2, t.45, 2000, pp.32-42.

248.

- Barden, Phil. – « La fourniture de documents en l’an 2000 : naissance d’une nouvelle industrie ? », in : Bulletin des Bibliothèques de France, t. 41, n°1, 1996, pp.42 – 46.

250.

- <>.

251.

- Dallman, D ; Draper, M ; Schwarz, S. – « Electronic pre-publishing for worldwide access : the case of high energy physics », in : interlending & document supply, vol.22, n°2, 1994, pp.3-7.

252.

- Crawford, Susan Y. ; Hurd, Julie M. ; Weller, Ann C.- From print to electronic : the transformation of scientific comunication.- ASIS, 1996.- 117 p.

253.
254.

- Pintat, Roland. – « Archives ouvertes : une alternative à la subordination des bibliothécaires aux éditeurs numériques ? », in : Bulletin des Bibliothèques de France, 2003, t.48, n°2, pp. 90- 94

257.

- Lawrence, Steve. – « Free online availability substantially increases a paper’s impact », in : Nature, 2001, n°521, vol.411, < www.nature.com/databases/e-access/index.html > (consulté le 28 janvier 03).

258.

- Les chiffres, à la source de ce graphique, étant indisponible, nous n’avons pu proposer un histogramme donnant une plus grande lisibilité.

259.

- L’auteur n’a pas donné de titre à la figure, l’intitulé est donc une proposition personnelle.

260.

- Gallezot, Gabriel ; Noyer, Jean-Max ; Chartron, Ghislaine. – Une archive ouverte des publication en InfoComm. – Place et enjeux des revues pour la recherche en InfoComm (SFSIC), 25 mars 2002, < HYPERLINK "http://archives.ccsd.cnrs.fr" http://archives.ccsd.cnrs.fr > (Consulté le 12 mai 2002).

262.

- Idem.