Conclusion générale
Ce travail a voulu retracer la ‘« reconstruction sociale d’un média ’», les bibliothèques universitaires et de recherche. Notre analyse s’est faite dans les limites de l’analyse économique du modèle de la bibliothèque. Cela rejoint l’un des objets d’étude des sciences de l’information, à savoir les processus de construction, de communication et d’usage de l’information, nécessaires pour la lecture des différentes configurations d’accès que nous avons eu à observer, tout au long de ce travail. C’est pourquoi, cette étude s’est faite dans le cadre général des sciences de l’information qui nous ont permis de tenir compte des dimensions qui construisent et déterminent l’économie de cet accès, tel qu’il est organisé dans les Bibliothèques Universitaires – (BU).
Notre démarche a pris comme point de départ les processus d’organisation de la circulation des documents dans le réseau universitaire français, sur deux grandes périodes significatives : ‘« 1975-1994 ’» et ‘« 1995-1999 ’». Pour ce faire, la grille d’interprétation adoptée a été celle de David J. Brown 414 ; elle structure cette circulation et son évolution autour de huit stades distincts : le premier étant ‘« le prêt entre bibliothèques ’», le dernier étant ‘« les périodiques électroniques ’».
Notre démarche étant liée à l’étude d’une évolution, il était important d’aborder la régulation de l’économie du document papier qui précédait le déploiement des ressources électroniques. En outre, l’analyse de la première période n’ayant pas, à notre connaissance, fait l’objet d’étude basée sur le terrain du réseau des BU françaises, ce travail était l’occasion de proposer une première contribution dans ce sens.
La première période (1975-1994) abordée dans le chapitre I, regroupe les trois premiers stades de notre grille que l’on peut résumer par l’activité du Prêt Entre Bibliothèques, le marché de la Fourniture de Documents – (FDD) et le marché de l’information bibliographique. Le réseau universitaire français a permis aux BU de renforcer leurs dispositifs de circulation des documents par une coopération en amont (mise en place du réseau des CADIST, de catalogues collectifs,…) et une coopération en aval (mise en place du réseau national ‘« PEB ’»), tout en allant dans le sens des objectifs de leurs tutelles publiques.
Toute une chaîne d’acteurs s’est organisée autour de la fourniture de reproductions d’articles. Les bibliothèques universitaires organisées en réseaux, côtoient des éditeurs, des fournisseurs de documents primaires, des producteurs de bases de données,… avec qui elles tissent des relations de partenariats, ou de concurrence. La croissance considérable des transactions de FDD caractérisera cette période où les BU peuvent être assimilées à des bibliothèques de diffusion (figure 18 415 , stade n°2). Une économie propre les caractérise dont la régulation aurait soutenu l’inflation des coûts de la documentation scientifique.
La croissance importante et régulière des transactions de FDD dans le réseau français a mis en évidence une tarification cachée qui a apporté aux bibliothèques l’opportunité de réaliser des recettes (figure 18, stades 1 et 2). Compte tenu des budgets des BU, inélastiques aux coûts et à l’offre documentaire, ces recettes sont destinées à compléter les budgets d’acquisitions documentaires, en amont. Il est question de la BU de recherche comme sphère publique, de plus en plus intégrée dans la sphère marchande de l’information scientifique. Pour autant, cette intégration n’est pas issue d’une réflexion stratégique. Elle se fait par tâtonnements successifs qui s’orientent vers une plus grande conscience des enjeux économiques de la propriété intellectuelle, jusque-là méconnus des bibliothèques et de leurs professionnels.
Or, nous avons assisté de manière inédite à un renouvellement du modèle de la bibliothèque. Les fondements restent les mêmes, en revanche les logiques de fonctionnement sous-jacentes évoluent et posent la problématique du positionnement de la bibliothèque entre sphère publique et sphère marchande. Cela va conduire, à mesure que les deux sphères se confrontent, à la remise en cause de la partie apparemment la plus stable de son modèle de fonctionnement : la collection.
