Complexité du positionnement

Dans le cheminement de notre réflexion, la question du positionnement des bibliothèques ou plus précisément la difficulté de leur positionnement, s’est retrouvée de manière transversale. Les questions économiques abordées dans le chapitre II sont significatives. La tarification en bibliothèque est avant tout, une question politique qui remet à plat le positionnement d’un acteur. Les questions sous-jacentes abordées telles que ‘« accéder ou acquérir ’» (Chapitre II), sont aussi un avatar du positionnement des bibliothèques confrontées aux lois du marché de l’information. La saturation des services de PEB qui intervient à la fin de la première période (1975-1994) abordée dans notre travail, rappelle la nature publique des bibliothèques et leur mode de financement constitué, notamment de subventions.

L’urgence d’une clarification du positionnement des bibliothèques s’exacerbe avec le numérique et les phénomènes de désintermédiation qu’il implique (Chapitre III). La baisse conséquente et progressive des transactions de cette seconde période de l’évolution nationale globale (1995-1999) s’interprète comme un contournement des bibliothèques en faveur d’autres sources, mais s’interprète aussi comme un positionnement déficitaire de médiateur avec des services encore liés au papier, un engagement dans la réflexion autour du contexte numérique hésitant, et des moyens humains et financiers alloués, insuffisants.

Le modèle de la bibliothèque virtuelle s’impose alors pour la réintermédiation des bibliothèques. La notion de ‘« bibliothèque virtuelle ’», proposée dans le titre de la thèse, et l’analyse par le service que nous avons retenue (Chapitre IV) restituent la dimension dynamique de la bibliothèque traditionnelle projetée dans l’environnement numérique pour y étendre des prérogatives. Dans ce but, la mutualisation des achats paraît aux bibliothèques comme un moyen de réagir, pour faire face à un marché inélastique. Le consortium est présenté comme une solution ; il est surtout vécu par les professionnels français comme une épreuve réussie, celle de formaliser une coopération nationale autour de dispositifs multidisciplinaires (Couperin), régionaux (Campra), ou thématiques (réseau national de bibliothèques de mathématiques).

Cependant, cette mutualisation n’a pu se réaliser qu’en amont, par une politique d’acquisition concertée. L’aval de la mutualisation produite traditionnellement par la circulation et la diffusion de photocopies d’articles (autrement dit, la FDD) ne peut plus se réaliser compte tenu des conditions de négociations restrictives des licences que les bibliothèques ont elles-mêmes menées avec les éditeurs. Les éditeurs permettent un nombre très limité de fourniture de documents sous forme de fichiers électroniques (cinq exemplaires par an). Quelques bibliothèques tentent de continuer à répondre à la demande de FDD par une impression de la version électronique de l’article et l’envoi de celle-ci par la voie postale traditionnelle.

Cependant, cette pratique reste très marginale et pas toujours ‘« avouée ’». Ainsi, les premières limites du modèle économique renouvelé de la bibliothèque par le numérique sont dessinées par les services de PEB. L’évolution du modèle éditorial des périodiques scientifiques vers le numérique restreint les articulations coopératives des bibliothèques en réseau autour de la base-arrière des bibliothèques, lieu de constitution des collections.

Par ailleurs, l’observation du stade n°3 de la figure18, représenté par la bibliothèque numérique, nous rappelle que les bibliothèques se sont substituées aux agences d’abonnements en négociant elles-mêmes les tarifs et les conditions d’utilisation des périodiques. Tout le savoir-faire de la bibliothèque, basé sur la constitution de collections cohérentes ayant un sens pour un public d’usagers, est supplanté par l’abonnement collectif et homogène aux portefeuilles des éditeurs. A cela, s’ajoute la conservation du numérique, autre fondement du modèle traditionnel de la bibliothèque, dont la solution ne peut avoir qu’une envergure nationale. Enfin, les usagers qui ont un accès direct à ce foisonnement de ressources électroniques ne perçoivent pas toujours la médiation par les bibliothèques. Dès lors, les bibliothèques doivent se remettre en question et remettre en cause leur modèle, leur fonctionnement, leurs services.