L’« entre deux personnes » : un paradigme de composition

Les films de la quatrième période du cinéma de Philippe Garrel favorisent ainsi l’expression de relations duelles. Ils semblent intérieurement travaillés par un mouvement centripète de resserrement autour du motif de l’« entre deux personnes ». Il s’agit là d’un nouveau point saillant stylistique. Pour user d’une formule rapide : même quand il n’est pas là, l’« entre deux personnes » est bien souvent là. Que telle ou telle situation dramatique présente un plus grand nombre de personnages, et son caractère peuplé est soit « dénoncé » comme exceptionnel et hétérogène, soit dénié d’une manière ou d’une autre par le traitement filmique. En ce sens, les scènes à nombreux personnages donnent le sentiment de former un seuil-limite, une sorte de frontière figurative que les films franchissent par instant mais pour mieux faire retour sur le motif privilégié de cette esthétique : l’« entre deux personnes ». De la sorte, le motif s’affiche comme la situation dramatique fondamentale de l’esthétique garrelienne – peut-être même comme son épicentre. Il n’en dit pas le tout. Il n’en épuise pas l’ensemble des formes. Mais lorsqu’il n’existe pas au niveau profilmique, les films le retrouvent par un usage délibérément orienté de la syntaxe cinématographique. En ce sens, l’« entre deux personnes » apparaît être l’un des « paradigmes de composition » 114 fondamentaux de la quatrième période. Pour user d’une métaphore, les films semblent comme incurvés autour de lui et le font apparaître plus épais, à la manière d’un objet reflété dans un miroir déformant. Le motif de l’« entre deux personnes » se trouve ainsi doté d’une présence comme en relief dans les films de la quatrième période – il semble l’hologramme de cet ensemble esthétique.

Notes
114.

Nous empruntons cette expression à Paul Ricœur. Cf. Paul Ricœur, Temps et récit, 2. La configuration dans le récit de fiction, Paris, Seuil, coll. « Points essais », 1984, p. 41.