3. Filmer en longues focales

« Je comprends cette “lecture”, mais si j’avais pris une longue focale, c’était tout simplement pour qu’on n’entende pas le moteur très bruyant de la caméra. »
Philippe Garrel.

L’une des constantes esthétiques les plus soulignées 169 et les plus connues de la quatrième période du cinéma de Philippe Garrel est son utilisation quasiment exclusive des longues focales – nouveau point saillant stylistique. Ce qui peut se constater à la vision des plans est confirmé par le paratexte. Caroline Champetier, directrice de la photographie sur J’entends plus la guitare et Le Vent de la nuit énonce ainsi :

‘« Sur le plateau [Garrel] tourne en rond comme un animal. Il détermine les cadres avec son viseur toujours entre le 75 et le 100 millimètres – c’est sans doute le cinéaste qui utilise le plus couramment les longues focales […]. » 170

Le choix d’un type de focale est un parti pris esthétique fort. On sait l’usage qu’Orson Welles a fait des focales courtes. On sait aussi que Robert Bresson avait la religion de la focale moyenne, le 50 mm, ce qui cadre parfaitement avec les principes d’aplatissement de l’image qu’il revendiquait et recherchait 171 . Le choix du type de focale est un parti pris esthétique fort parce qu’il est l’une des manifestations les plus concrètes de la vision du monde que veut traduire un cinéaste. Dans le cas de Philippe Garrel, il résulte du choix des longues focales des effets de figuration qui ont d’abord pour vertu de mettre en relief les figures humaines et par surcroît les « entre deux personnes ».

Notes
169.

Colette Mazabrard souligne, par exemple, dans son article critique sur Les Baisers de secours, que l’objectif est le 100 mm. Cf. art. cit., p. 26. Ce que Philippe Garrel confirmait déjà au moment du tournage du film : « J’ai fait presque tout le film à la focale 100 (longue focale qui supprime la profondeur de champ). » Cf. Thierry Jousse, « En toute intimité » in Cahiers du cinéma n° 415, janvier 1989, p. 37.

170.

Marie-Anne Guérin, Frédéric Strauss et Serge Toubiana, « Le Goût de la lumière, entretien avec Caroline Champetier » in Cahiers du cinéma n° 500, mars 1996, p. 91.

171.

« Aplatir mes images (comme avec un fer à repasser), sans les atténuer. » Cf. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe (1975), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1995, p. 23. Souligné par l’auteur.