Longues focales : extraire le profilmique de l’afilmique

On peut commencer par rappeler, comme le fait Vincent Pinel, que « plus la focale est longue, plus l’ouverture angulaire est faible et le champ couvert étroit […]. » 172 Il est possible de conclure de ce simple fait, qui relève du B-A BA des techniques de prise de vue avec une caméra, qu’user d’une longue focale peut avoir une valeur métafilmique : celle de témoigner que les objets qui trouvent place dans le champ ont été sélectionnés au sein d’un espace afilmique de plus grande envergure, parce qu’eux seuls devaient retenir l’attention de la caméra. De la sorte, le profilmique ne fait pas que s’extraire de l’afilmique : il manifeste cette extraction. L’étroitesse du champ est ainsi la marque d’une élection. Dans Le Cœur fantôme, le premier des deux plans dans lequel Justine confie son passé d’anorexique à Philippe est un très gros plan électif du visage de la jeune femme, filmé en longue focale [séq. 44]. Ce visage, qui semble comme grossi par une caméra-télescope, en acquiert presque un aspect disgracieux. Par ce filmage, qui semble vouloir témoigner d’un comble de proximité entre Justine et la caméra, ce visage n’est pas seulement posé à l’intérieur du champ : il est exhibé comme le seul et unique élément à voir. Le visage de Justine subit en quelque sorte un effet-ventouse qui semble l’aspirer et le faire décoller de l’écran. Les deux grands yeux, qui semblent lire à même le passé de Justine, et la bouche par laquelle passe de l’intérieur vers l’extérieur cette confession teintée de douleur, deviennent ainsi les sites d’une parole fermement ancrée à son destinateur. Alors, tout au service de la confession, la parole de Justine devient une parole incarnée – le meilleur moyen sans doute de faire résonner en elle le traumatisme et les dommages que Justine infligea à son corps.

Notes
172.

Vincent Pinel, Vocabulaire technique du cinéma (1996), Paris, Nathan, coll. « réf. », 1999, p. 173.