1. Construction de la co-présence : un processus symbolique

Dans les films de la quatrième période du cinéma de Philippe Garrel, il arrive fréquemment que la co-présence entre deux personnages soit posée dès le début de la scène. Le film plonge immédiatement personnages et spectateurs au cœur d’une situation de co-présence. C’est le cas, par exemple, dans Les Baisers de secours lors des deux scènes où Jeanne converse avec l’une de ses amies [séq. 7 et séq. 30]. Les deux fois, la scène débute sans prémisse, sans avoir été préparée d’une quelconque manière en amont, sans signe avant-coureur. Pour le spectateur, l’impression est celle de prendre une conversation en cours, dont l’origine se perdrait dans un temps antérieur à la scène, à jamais évacuée par le montage du film. Le film se fait volontairement oublieux. Dans ces deux cas, constituer la co-présence de deux personnages n’a donc pas fait l’objet d’un enjeu. La co-présence est là, donnée immédiatement. Plutôt que de représenter la matière d’un problème dramatique ou d’un problème de mise en scène, elle est l’assise ou le site duel 204 préalable et nécessaire à l’émergence d’autres niveaux de l’interaction (conversations, gestualités, types de postures, etc.) et à l’expression de sentiments ou de malaises (amour paternel, trouble sur la conduite à suivre, inquiétude quant au ressenti de l’autre, etc.). En ces occurrences, la co-présence est le contraire d’un problème : c’est un présupposé. Elle n’est que de le degré zéro de l’interaction et la condition sine qua non de l’« entre deux personnes ».

Notes
204.

Sur la notion de site, cf. Jean-Toussaint Desanti, « Voir ensemble » in Marie José Mondzain, Voir ensemble, Paris, Gallimard, coll. « Réfléchir le cinéma », 2003, p. 20.  Étant donné que Desanti considère chaque individu comme un site, il nous semble possible de parler de site duel pour le regroupement de deux individus.