3. La rencontre amoureuse

« Mais la rencontre qui a nécessairement lieu dans la continuité du monde est précisément ainsi donnée qu’elle rompt cette continuité et s’affirme comme interruption, intervalle, arrêt ou ouverture. […] Dans la rencontre, il y a une dissymétrie, une discordance entre les termes en présence. »
Maurice Blanchot.

« Du coup, on peut dire que le cinéma a été, tout au long du siècle, une école de l’attention à la vulnérabilité des rencontres et aux liens faibles. »
Isaac Joseph.

« Ce ne sont pas les rencontres qui sont importantes, c’est ce qui se passe après. »
Marcus dans La Naissance de l’amour.

Parmi les moments où une situation entre deux personnes prend corps, où une co-présence qui n’existait pas encore se crée, figurent les scènes de rencontres amoureuses. Par rencontre amoureuse, il ne faut pas entendre l’instant d’un coup de foudre (un thème que Philippe Garrel ne traite pas dans la quatrième période mais qui est le sujet même de la rencontre entièrement muette entre Elli et Jean-Baptiste qui ouvre L’Enfant secret 279 ). La rencontre amoureuse est appelée telle uniquement parce qu’elle permet l’émergence de l’amour – le sentiment amoureux pouvant n’être ressenti qu’à retardement 280 par les personnages. Notons-le d’emblée, ces rencontres amoureuses sont exclusivement des rencontres entre hommes et femmes 281 . Mais avec la rencontre amoureuse, en deçà de la différence sexuelle qu’elle charrie, c’est surtout à une rigide mise en scène de la « coupure-lien », c’est-à-dire de « l’entre-deux » que se livre Philippe Garrel. Les séquences amoureuses apparaissent ainsi comme des paradigmes en lesquelles se synthétisent et se dramatisent l’essentiel des conclusions précédentes.

Notes
279.

D’ailleurs, après les premiers moments de la rencontre, l’une des premières phrases qu’Elli dit à Jean-Baptiste est : « Ton cœur bat très fort. »

280.

C’est le cas de Gérard, dans J’entends plus la guitare, qui ne prend conscience du sentiment qu’Aline a réveillé chez lui qu’un certain temps après la rencontre. Il faut qu’Aline lui tende une assiette de pommes de terre alors qu’il est nu dans son bain, qu’elle se laisse embrasser par lui, puis qu’il ait mangé pour que tout à coup il réalise qu’Aline a apporté avec elle l’amour.

281.

Le cinéma de Philippe Garrel est un cinéma profondément hétérosexuel. La question de l’homosexualité n’est, sauf erreur, abordée qu’une fois dans toute sa filmographie, comme une alternative totalement étrangère aux personnages garreliens : dans Rue Fontaine, René, en confiant ses déboires amoureux à Louis, affirme qu’« on peut pas vivre sans femme, à moins d’être complètement homo, à moins d’aimer les hommes. »