Ils sont aussi une manière de nous rappeler fermement qu’une même image pose différents types de problèmes, dès lors que l’on fait porter l’accent de l’analyse sur tel ou tel aspect de cette image. Pourquoi est-on ici au-delà de la simple évidence ? Parce que ce sont des problèmes de conditions esthétiques différentes qui peuvent être soulevés et constitués par l’analyse. Des problèmes qui, par exemple, ne prennent leur sens que dans le cadre restreint de l’esthétique particulière d’un auteur. Des problèmes qui, au contraire, prennent leur sens lorsqu’on restitue les choix stylistiques d’un auteur dans le cadre plus général du langage cinématographique et de l’esthétique du cinéma. Or, dès lors que l’on s’intéresse à la relation qui s’établit entre les situations entre deux personnes et les manières de les donner à voir, deux grands niveaux problématiques paraissent pouvoir être distingués, intéressants aussi parce qu’ils semblent se situer aux antipodes dans le travail de problématisation.
À un premier niveau, le travail de problématisation analytique consiste à s’immerger au cœur de la relation qui s’établit entre une situation entre deux personnes et la manière dont elle est montrée. En ce sens, la problématisation peut être dite immanente, parce qu’elle n’entend s’appuyer sur rien d’autre au départ que sur la nature et la description de la relation. Bien entendu, il ne saurait s’agir de s’intéresser par le menu à toutes les séquences entre deux personnes et à la relation particulière qui chaque fois se tisse entre la situation entre deux personnes et le mode de filmage. Mais afin de donner un maximum d’écho aux problèmes rencontrés, il s’agira de s’intéresser à des enjeux cruciaux et dominants dans l’esthétique des films de la quatrième période.
Au second niveau, le travail de problématisation inscrit d’emblée la réflexion dans un cadre esthétique plus large. Il consiste à prendre acte de la particularité de certains choix de représentation dont peuvent faire preuve les films de la quatrième période lorsqu’il s’agit de donner à voir une situation entre deux personnes aussi banale qu’une conversation. Mais il consiste simultanément à constater que ces choix de représentation paraissent venir s’inscrire en concurrence d’une figure reine du langage cinématographique – le champ-contrechamp – pour montrer alors tout ce que ces choix de représentation peuvent avoir de singulier sur le plan représentationnel. La signification naît d’abord ici de la confrontation. De la sorte, on peut dire que la problématisation est ici transcendante, parce qu’elle inscrit la réflexion dans un cadre qui excède pour bonne part les scènes analysées.
Ces deux grands niveaux de problématisation constituent, chacun à leur tour, la matière des lignes qui suivent. Mais l’horizon d’un travail de problématisation à partir des solutions filmiques qui se présentent à l’analyse est nécessairement celui du sens – fût-il suspendu selon la fameuse formule de Roland Barthes 361 . Il s’agit pourtant moins pour l’analyste de rendre compte du sens que de s’engager dans la voie du sens, en se demandant « comment » une image « s’y prend […] pour délivrer son sens. » 362 L’exigence de l’analyse, si elle est, presque fatalement, de se risquer en dernière instance sur la voie de l’herméneutique en posant la question du « pourquoi » 363 , est d’abord de prendre position sur le « comment » se fabrique et se transmet le sens. C’est la raison pour laquelle l’optique des lignes qui suivent sera beaucoup moins de dire le sens que de repérer comment se négocie le sens entre le dramatique et le filmique à travers la question du « donner à voir » quand elle s’enracine dans la monstration de situations entre deux personnes.
Roland Barthes, Le Grain de la voix, Entretiens (1962-1980), Paris, Seuil, coll. « Points essais », 1981, p. 27.
Jacques Aumont, op. cit., p. 246.
Par exemple, Laurent Jullier fragmente et distribue le travail analytique selon trois grands ordres de questions : « quoi ? », « comment ? », « pourquoi ? » Cf. Laurent Jullier, L’Analyse de séquences, op. cit., p. 8.